Intervention de Bérengère Poletti

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 17h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBérengère Poletti, rapporteure :

Je commencerai également par remercier mon collègue Rodrigue Kokouendo, car c'était une mission dense et très intéressante, et nous avons partagé énormément de choses. Aller au Niger et à Londres a été très important pour nous, car c'est en allant sur le terrain qu'on peut se faire une idée des choses.

Le second axe de travail de la mission a consisté à s'intéresser, en plus du cadre institutionnel et budgétaire de l'aide, à ses priorités thématiques.

Il nous a donc paru utile de revenir sur l'évolution récente de l'aide publique au développement. Avec l'adoption des objectifs du développement durable, ou ODD, en 2015, l'aide au développement a pris un caractère universel et s'identifie désormais à un champ infiniment vaste où figurent à la fois la base de l'aide au développement, c'est-à-dire les objectifs de lutte contre la pauvreté traditionnels de l'aide, et des objectifs plus variés, environnementaux ou sociétaux. Sans nier en aucune façon l'importance de ces nouvelles thématiques, il nous a semblé que l'aide au développement ne devait pas faire passer au second plan ce qui a été sa première vocation : la sortie du sous-développement des pays qui n'y sont pas encore parvenu. Alors que la plus grande partie de l'Asie et de l'Amérique latine ont accompli des progrès énormes au cours des vingt dernières années, l'Afrique subsaharienne, en particulier le Sahel reste une zone de grande pauvreté, d'instabilité politique et de forte croissance démographique.

Le déplacement que nous avons effectué au Niger visait ainsi à nous permettre d'observer une région où la question du développement se pose en termes d'accès aux besoins premiers de la population : la nutrition, l'éducation de base, l'accès aux soins, la sécurité.

C'est pourquoi nous avons choisi d'insister sur deux thématiques très larges mais qui nous ont paru devoir occuper une place centrale dans la stratégie d'aide au développement de la France.

La première concerne les secteurs régaliens et la gouvernance. Le développement favorise la stabilité, mais la stabilité est une condition nécessaire au développement. Le rôle de l'aide publique au développement dans ce domaine passe d'abord par l'expertise, et ce de plusieurs manières.

Tout d'abord, l'expertise doit permettre aux États destinataires de l'aide de faire en sorte que les projets puissent être véritablement mis en oeuvre. En effet, des projets peuvent être bloqués pendant des mois en raison de la faiblesse des administrations locales. Or, si les budgets consacrés à notre aide directe augmentent au cours des prochaines années, il faudra que les administrations des pays destinataires soient renforcées, ne serait-ce que pour permettre leur simple mise en oeuvre.

Mais plus généralement, et particulièrement dans le Sahel, c'est la présence même de l'État qui fait défaut dans des régions entières, et ces dernières ont besoin d'un renforcement urgent des administrations locales, un domaine dans lequel la coopération décentralisée peut jouer un rôle essentiel

L'action des collectivités territoriales s'avère être une contribution significative à la coopération française, dans l'esprit d'une diplomatie démultipliée. C'est parce qu'elles sont plus près du terrain, des acteurs universitaires, économiques, associatifs, hospitaliers, touristiques et dans les dynamiques de croissance et de compétence comme l'aide aux entreprises, les infrastructures de transport, la formation, l'eau, l'assainissement, la gestion des déchets, que leurs approches et leurs expertises sont véritables.

Elles mènent ainsi les interactions de pair à pair avec les collectivités du Sud, permettant le renforcement de la démocratie et du développement à la base, y compris auprès de la société civile, qui pallie parfois la faiblesse des institutions décentralisées.

Encore faut-il que nous puissions suffisamment mobiliser suffisamment le vivier d'expertise que constituent nos propres collectivités territoriales.

Un domaine particulièrement essentiel de la gouvernance est celui de l'administration fiscale. Le financement des États d'Afrique subsaharienne repose aujourd'hui pour l'essentiel sur l'aide internationale, les douanes, l'imposition de grandes entreprises étrangères et, dans certains cas, des rentes tirées de l'exportation de matières premières. La mise en place de fiscalités et d'administrations fiscales dans ces États permettrait à la fois de lutter contre les flux financiers illégaux, une véritable saignée qui représenterait plus de 5 % du revenus de ces États, mais aussi et surtout d'impliquer la population et de faire des citoyens des contribuables dont le bien-être économique serait dans l'intérêt des gouvernements.

On nous a indiqué par exemple, pendant le déplacement au Niger, que si ces pays réussissaient à installer une fiscalité performante, le revenu pourrait atteindre dix fois les montants de l'aide publique au développement. C'est dire l'importance de ce type de mesures.

La sécurité est bien sûr un autre domaine dans lequel l'aide aux pays en développement peut prendre plusieurs formes. L'aide au développement n'a pas vocation à devenir une composante des opérations militaires de stabilisation, mais de l'avis même des acteurs de la sécurité, elle forme un élément indispensable à la stabilisation à long terme des régions concernées. C'est un sujet particulièrement important pour la France.

Nous avons pu examiner l'articulation entre aide au développement et sécurité sous trois aspects. L'exemple de la politique suivie par la Banque mondiale vis-à-vis des États fragiles nous a fourni un exemple de coordination entre une grande organisation internationale qui agit strictement dans le cadre de son mandat, et d'autres acteurs qui peuvent agir directement dans le domaine de la sécurité, comme l'Union européenne ou la France, à travers l'AFD. L'Alliance Sahel nous a fourni l'exemple d'une structure de coordination qui cherche à accélérer la mise en oeuvre de projets dans une région menacée par l'instabilité, avec un objectif de stabilisation à long terme de la région. Enfin, la Haute autorité à la Consolidation de la Paix du Niger, dont nous avons rencontré le président à Niamey, nous a fourni l'exemple d'un organisme qui met en oeuvre des projets de développement ciblés, à la fois dans le temps et dans l'espace, afin de restaurer la présence de l'État dans les régions les plus démunies et les plus menacées par l'instabilité politique et l'insécurité.

Dans chacun de ces cas, l'aide au développement doit être disponible et rapide. Elle doit répondre à des besoins locaux qu'il faut évaluer, et elle doit souvent s'appuyer sur des ONG locales car des projets doivent souvent être mis en oeuvre dans des régions où la sécurité de personnels étrangers ne peut être assurée de façon satisfaisante. Tout cela demande non seulement des financements, mais surtout une véritable vision stratégique basée sur des objectifs clairement identifiés. Ainsi, la création de l'Alliance Sahel n'a pas donné lieu à la constitution d'un nouveau fonds, mais s'est appuyé sur un portefeuille de projets en cours de sept milliards et demi d'euros, qui demandait simplement à être mis en oeuvre plus rapidement et plus efficacement, en mettant la priorité sur l'effet stabilisateur de ces projets.

La deuxième thématique qui nous a paru fondamentale est celle de la démographie. C'est un sujet à la fois délicat et complexe. Délicat parce que les États, de façon compréhensible, ne souhaitent pas toujours qu'on leur demande de faire en sorte que leur population soit moins nombreuse. Complexe parce que la maîtrise de la fécondité démographique ne répond pas à une recette connue.

Mais c'est un sujet qu'il faut regarder en face. Avec une fécondité proche de huit enfants par femme, comme c'est le cas au Niger où nous nous sommes rendus, le développement ne peut avoir lieu, les besoins augmentant plus vite que le revenu national.

L'une des conséquences de la croissance démographique de l'Afrique subsaharienne est l'augmentation de l'immigration vers l'Europe, mais également vers d'autres régions. L'immigration peut avoir un effet favorable sur le développement de la région, à condition toutefois qu'elle soit gérée de façon adéquate. C'est pourquoi nous proposons de réfléchir à un type de visa permettant à des étudiants africains de circuler plus facilement au cours de leur vie entre la France et l'Afrique, à la fois pour éviter qu'ils ne restent en France par simple crainte de ne pas pouvoir revenir s'ils quittent le territoire, mais aussi et surtout pour les inciter à contribuer au développement de leur pays d'origine, afin de lutter contre la fuite des cerveaux qui pénalise aujourd'hui ce continent.

Les besoins d'une population en croissance rapide peuvent être différés dans le temps, comme en matière d'emploi, ou immédiats comme en matière d'éducation, et notamment d'éducation primaire.

Par exemple, la ville de Niamey est débordée car 500 000 enfants supplémentaires arrivent chaque année sur les bancs de l'école en raison d'une fécondité particulièrement dynamique. Il faut former chaque année 10 000 instituteurs pour répondre à cette pression démographique.

C'est en effet dès maintenant qu'il faut multiplier le nombre d'écoles et d'enseignants pour que la population puisse bénéficier d'un niveau d'éducation suffisant au développement économique, même dans les secteurs les moins exigeants en termes de formation. Or, avec une population qui double quasiment à chaque génération, l'effort à fournir est immense. L'accroissement de la contribution française au Partenariat mondial pour l'éducation, annoncée récemment, est donc à saluer mais il faudra aller plus loin si nous voulons que notre action dans ce domaine ait un effet mesurable. Nous recommandons par conséquent que la part de l'aide allouée à l'éducation soit augmentée.

S'il est facile d'expliquer pourquoi il est nécessaire de maîtriser la fécondité, il est plus difficile d'expliquer comment on y parviendra. Les mentalités jouent un rôle important et la thématique de l'égalité entre hommes et femmes prend évidemment ici toute sa place. Nous recommandons toutefois de favoriser l'appropriation de cet objectif par les gouvernements des pays destinataires et par les populations en le rendant plus explicite.

La maîtrise de la fécondité est indispensable au développement, mais le développement peut aussi y contribuer. L'accès à l'éducation, rendu plus difficile par la croissance démographique, peut aussi contribuer à la réduire si l'accent est mis sur l'éducation des jeunes filles et si ces dernières s'orientent plus souvent vers une participation active à la vie professionnelle, avec notamment un mariage plus tardif. La proportion du budget national allouée à l'éducation est d'ailleurs plus élevée au Niger qu'en France. Chaque année, le budget nigérien de l'éducation augmente, et chaque année, le budget par enfant diminue. Le Niger vient également de publier un décret interdisant les mariages précoces, espérant ainsi retarder la date des premières naissances.

Des initiatives existent aussi en direction des hommes, comme « l'école des maris », une initiative soutenue par le gouvernement du Niger et mise en oeuvre par une ONG locale. Toute cette activité vise essentiellement à convaincre une population dont les traditions et les habitudes plaident généralement en faveur de familles nombreuses, et les résultats ne sont pas garantis à ce stade.

Cependant, un autre obstacle, cette fois-ci bien identifié, à la maîtrise de la fécondité est tout simplement le manque de centres de soins et la faible disponibilité de moyens contraceptifs pour les femmes qui souhaitent en disposer. C'est un point sur lequel la Fondation Bill et Melinda Gates insiste, et il nous paraît urgent d'améliorer la disponibilité des moyens contraceptifs pour les femmes dans les pays dont la fécondité démographique est particulièrement élevée. La Fondation Gates nous dit en effet que des programmes sont commencés, des centres de soins mis en place, puis, une fois le programme terminé, on passe à autre chose et ce qui a été mis en place disparaît et les femmes ne bénéficient pas de la continuité qui serait indispensable. La continuité et la persévérance dans ces domaines sont absolument fondamentales.

Pour conclure cette présentation, je dirai simplement que l'ensemble des recommandations contenues dans ce rapport visent à inscrire visent à donner à notre politique d'aide les moyens et les objectifs dont elle a besoin pour jouer son rôle dans le monde d'aujourd'hui. Il s'agit de faire en sorte que la trajectoire d'augmentation budgétaire ne se réduise pas finalement à un simple affichage, que l'aide française soit un outil à part entière de notre politique étrangère et que les fameux « trois D », défense, diplomatie, développement, forment un ensemble à la fois coordonné et équilibré.

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