Intervention de Anthony Fardet

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Anthony Fardet, chercheur au département nutrition humaine de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et à l'Université Clermont Auvergne, spécialiste en nutrition préventive :

Pourquoi me suis-je intéressé aux produits ultra-transformés ? C'est parti d'un constat. Je ne comprenais pas pourquoi, malgré la somme de données nutritionnelles et les recommandations existantes, la prévalence des maladies chroniques continuait à augmenter.

Certains chiffres m'ont alerté.

L'espérance de vie en bonne santé, qui a diminué entre 2008 et 2010, se situe actuellement à 65 ans pour les femmes et à 62 ans pour les hommes. L'espérance de vie théorique se situe à près de 86 ans pour les femmes et à 80 ans pour des hommes. On vit de plus en plus longtemps mais malade. L'espérance de vie n'augmente pas et l'espace de morbidité – pendant lequel on est malade – s'allonge : il est de 21 ans pour les femmes et de 19 ans pour les hommes. Entre 2004 et 2016, cet espace de morbidité a augmenté de deux ans, ce qui est énorme pour la sécurité sociale et la société en général. En 1982, l'espérance de vie en bonne santé d'une Française était de 67 ans. Depuis les années 1980, nous avons en moyenne perdu trois ans d'espérance de vie en bonne santé. Ce mouvement est concomitant avec l'arrivée massive des produits ultra-transformés dans les années 1980.

Autres indices alarmants : ceux qui émanent d'une étude publiée en France en 2015 et qui montrent que la mauvaise alimentation est la première cause de mortalité dans notre pays. Les facteurs alimentaires sont impliqués dans environ 15 % des cas, et les dérégulations métaboliques – excès de poids, hyperglycémie, hypercholestérolémie et hypertension – dans 26 % des cas. Plus d'un décès sur trois est donc lié – directement ou non – à une mauvaise alimentation, puisque celle-ci est aussi la première cause des dérégulations métaboliques.

Ces chiffres ont suscité chez moi une interrogation : comment avons-nous pu en arriver là alors que nous disposons de données en nutrition gigantesques ? Je me suis alors intéressé au logiciel qui servait de base à nos recherches et nos réflexions. Je ne me suis pas contenté de dire que d'autres études étaient nécessaires, comme aiment souvent à le faire les chercheurs, pour que nous n'en restions pas au même point dans mille ans ! J'ai creusé le sujet, décidé à comprendre les causes de cette situation.

Cette démarche m'a conduit à m'intéresser à la philosophie de l'alimentation. Qu'on le veuille ou non, les recherches actuelles sont fondées sur un paradigme philosophique. J'en suis venu à l'approche holistique de l'alimentation qui, selon moi, est la clé. L'augmentation des maladies chroniques résulte de deux causes : un manque cruel d'éducation nutritionnelle – et nous savons que l'ignorance conduit à faire de mauvais choix d'autant qu'elle rend plus facilement manipulable ; une pensée réductionniste devenue dogmatique.

À ce stade, j'ai fait un lien entre pensée réductionniste, aliments ultra-transformés et explosion des maladies chroniques. Selon la pensée réductionniste, l'aliment n'est qu'une somme de nutriments, c'est-à-dire que le tout est égal à la somme des parties ou que deux est égal à un plus un. Ce paradigme domine la recherche en nutrition depuis 1850 et la découverte des protéines, des calories, des lipides, des vitamines et des minéraux. La découverte des vitamines a certes permis de sauver des millions de vies, mais cette approche est désormais dans une impasse.

L'aliment n'est pas une somme de nutriments ; les calories et les nutriments ne sont pas interchangeables ; on mange des aliments et non pas des nutriments. Il faut donc raisonner au niveau de l'aliment.

Tout ce qui est fait actuellement – recommandations alimentaires ou recherches sur les molécules isolées – participe de cette vision réductionniste. L'aliment ultra-transformé est le fruit de cette pensée : si l'aliment n'est qu'une somme de nutriments, on peut bien le fractionner à l'infini, ce que l'on appelle le cracking, en isoler les constituants puis les assembler en faisant des dosages. Cet aliment ultra-transformé est le stade ultime d'une pensée réductionniste poussée à l'extrême au point d'exclure des approches plus globales, même si les choses sont un peu en train de changer.

Ce lien est fondamental : pensée réductionniste, aliments ultra-transformés, explosion des maladies chroniques. Dans les pays occidentaux, l'explosion des maladies chroniques est concomitante avec l'arrivée massive des produits ultra-transformés dans les rayons des magasins à partir des années 1980. Carlos Monteiro, chercheur brésilien qui est à l'origine de la classification NOVA, a engagé sa réflexion à la suite de ce constat.

Quelle est l'influence du degré de transformation d'un aliment sur son potentiel en matière de santé ? Quelles sont les conséquences d'une différence d'approche – réductionniste ou holistique – sur la chaîne alimentaire ? Selon l'approche holistique, l'aliment est un tout et le potentiel santé du tout est supérieur à la somme des potentiels des nutriments pris isolément. On ne peut plus résumer le potentiel santé d'un aliment à quelques nutriments. Il faut prendre l'aliment dans sa globalité. Il faut tenir compte de ce que j'appelle l'effet matrice : le résultat de l'interaction des constituants entre eux. La matrice de la pomme est ronde, verte, dure, solide, plus ou moins poreuse. Celle du yaourt est visqueuse et liquide.

La matrice de l'aliment, qui se caractérise de manière qualitative, correspond à une vision plus holistique. On s'intéresse au résultat de l'interaction. On considère que le tout est supérieur à la somme des parties et que deux est supérieur à un plus un. Pourquoi ? Parce qu'il existe une synergie d'action entre un et un. Les composés sont protecteurs, mais en synergie les uns avec les autres. Pour lutter contre les maladies chroniques, il faut se libérer de la dictature des nutriments qui font le jeu des seuls industriels et des vendeurs de régimes. Il faut mettre l'accent sur la matrice, donc sur le degré de transformation qui modifie celle-ci.

Deux aliments, qui ont strictement la même composition mais des matrices différentes, n'ont absolument pas le même effet sur la santé. Si l'on consomme des amandes entières, la quantité de lipides arrivant au colon ne sera pas la même que si les amandes avaient été broyées finement. La cinétique de libération des nutriments est essentielle pour la santé et pour le métabolisme : vous connaissez tous les effets des sucres lents ou rapides.

Cette matrice est essentielle car elle joue sur des paramètres jusqu'alors un peu négligés, tels que le rassasiement ou la satiété. Le pourcentage de nutriments absorbés par l'organisme est variable : la biodisponibilité du fer dans la viande rouge n'est que de 30 % à 40 %, alors qu'elle oscille entre 5 % et 15 % dans les lentilles et les végétaux. La composition ne dit pas tout. L'index glycémique de pâtes cuites al dente est bas, tandis que celui de pâtes très cuites à l'anglo-saxonne dans des conserves est très élevé. Pourtant, la composition est la même. Cette matrice joue sur la vitesse de transit, la sécrétion des hormones et le degré de mastication. Tous ces paramètres sont fondamentaux car ils participent d'une approche beaucoup plus holistique de l'aliment.

Le potentiel santé d'un aliment résulte de la combinaison de sa composition et de sa matrice, c'est-à-dire de ses fractions réductionniste et holistique. Si les politiques de prévention ne donnent pas de résultat, c'est parce qu'elles sont conçues selon le logiciel réductionniste. On ne peut pas résoudre des problèmes complexes et multidimensionnels avec une partie du tout. On ne peut pas expliquer le tout avec seulement une partie.

Pour la suite de mon intervention, je vais utiliser le support visuel, qui est désormais disponible, et contextualiser mes propos précédents.

L'alimentation doit protéger la santé humaine mais aussi le bien-être animal et l'environnement naturel, c'est-à-dire les trois dimensions de la vie sur terre. L'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) définit des systèmes alimentaires durables en tenant compte de nombreuses dimensions. Un système alimentaire durable doit protéger la santé, la biodiversité, l'environnement, le climat, le commerce équitable, les besoins nutritionnels, la sécurité alimentaire, une alimentation de qualité accessible à tous et aussi l'héritage culturel. Les aliments standardisés comme les produits ultra-transformés, qui se répandent dans le monde entier et se substituent à l'alimentation traditionnelle, menacent la durabilité culturelle. Aux critères de la FAO, j'ajoute toujours le bien-être et la biodiversité animale.

Les aliments ultra-transformés menacent toutes les dimensions de la durabilité. Ce sont donc des indicateurs holistiques des risques en la matière. Plus la population mondiale consommera ces aliments, plus les différentes dimensions de la durabilité seront menacées.

S'agissant de l'espérance de vie, vous voyez sur cette diapositive qu'entre 2004 et 2016, nous avons gagné – si je puis dire – deux années en mauvaise santé. Pour résumer, le Français est en bonne santé jusqu'à sa retraite et malade jusqu'à sa mort ! Pour autant, ne soyez pas déprimés, je vais vous proposer des solutions. Il y a toujours de l'espoir avec moi ! (Sourires.)

Vous retrouvez ici les résultats de l'étude à laquelle je faisais allusion précédemment. Elle montre que la mauvaise alimentation est – directement ou non – la première cause de mortalité, ce qui n'est pas anodin. Vous avez aussi des données de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES), qui montrent l'évolution sans cesse croissante des principales maladies chroniques en France. La courbe orange – qui concerne la tranche d'âge 45-75 ans – est la plus inquiétante.

L'obésité touchait 16 % des adultes l'an dernier, et le taux devrait passer à 20 % en 2030. Le diabète a doublé entre 2006 et 2013. Selon l'étude INCA 3, la troisième grande étude de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) sur les consommations et les habitudes alimentaires de la population française, publiée en 2017, l'assiette des Français contient une grande part d'aliments transformés. Quand l'expertise a été faite, l'ANSES n'avait pas connaissance du concept d'aliment ultra-transformé.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Tous les scientifiques s'accordent à décrire une transition nutritionnelle. Avant-guerre, les Français avaient une alimentation monotone et plutôt végétale. Cette alimentation était constituée de produits peu transformés. De nos jours, les Occidentaux ont une alimentation riche en calories animales et en calories transformées voire ultra-transformées, et ils ont moins d'activité physique. Pour ma part, j'ajoute deux causes qui représentent la face immergée de l'iceberg : un cruel manque d'éducation nutritionnelle et donc une ignorance qui conduit à faire de mauvais choix et qui rend faible face à la pression du marketing ; l'approche réductionniste poussée à l'extrême. Cette dernière approche décrit des relations linéaires de cause à effet : calcium-ostéoporose-fractures ; cholestérol-hypercholestérolémie-athérosclérose. Or nous savons que ce raisonnement est faux : une maladie est multifactorielle et le fruit de dérégulations métaboliques différentes.

Le coupable est Descartes qui a systématisé la pensée réductionniste. Gyorgy Scrinis est celui qui a le mieux décrit le réductionnisme nutritionnel en vigueur depuis 1850 dans un ouvrage remarquable intitulé Nutritionism. Tous les termes que vous voyez apparaître au bas de cette diapositive – « aliments ultra-transformés », « alicaments », « nutraceutiques », « compléments alimentaires », « aliments fonctionnels » et « ingrédients alimentaires » – sont le fruit de la pensée réductionniste. Ces concepts n'ont pas empêché l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques. Cette pensée réductionniste est dogmatique car elle exclut toute autre approche. Ses défenseurs pensent que la démarche holistique n'est pas scientifique, ce qui est évidemment faux.

Il existe une relation de transitivité entre la pensée réductionniste dogmatique, les aliments fractionnés, recombinés, ultra-transformés et raffinés, et les maladies chroniques. Les recommandations par nutriments ont échoué. Dans les années 1970, la campagne menée aux États-Unis en faveur des produits allégés en gras a provoqué une explosion de l'obésité parce que les industriels ont remplacé le gras par du sucre. Voyez ce qui se passe quand on raisonne par nutriment : on aggrave le problème qu'on cherche à résoudre. Force est de constater que les campagnes « Manger moins gras, moins salé, moins sucré » ne donnent pas non plus des résultats très probants. On ne mange pas du gras, du sel et du sucre ; on mange des aliments. Inciter à manger moins gras peut laisser penser qu'il ne faut pas manger de fromage. En fait, le fromage est un aliment peu transformé qui ne pose pas de problème pour la santé. Les régimes par nutriments et calories ne fonctionnent pas non plus : 90 % des personnes échouent et nombre d'entre elles reprennent même plus de poids qu'elles en avaient perdu.

Holisme vient du grec holos qui veut dire entier. C'est l'idée que les systèmes naturels et leurs propriétés devraient être vus comme entiers et non pas comme une collection de parties. Deux est supérieur à un plus un parce qu'il y a une synergie d'actions entre un et un. Le grain de blé contient trente-quatre molécules antioxydantes. Le pouvoir antioxydant du blé ne tient pas à une molécule mais à la synergie d'action de ces trente-quatre molécules.

Colin Campbell a aussi été l'une de mes sources d'inspiration. Il explique la manière dont l'information nutritionnelle circule selon les paradigmes holistique ou réductionniste. La situation est plus extrême aux États-Unis que chez nous, mais nous nous en approchons parfois.

Dans un raisonnement réductionniste à l'extrême, on pose une question rentable et on développe des modèles scientifiques pour y répondre le plus vite possible. On obtient alors des évidences scientifiques étroites et parfois contradictoires qui descendent vers les médias, les gouvernements, les organisations professionnelles et le consommateur, parfois sous l'influence de l'industrie qui veut développer de nouveaux produits. Cette dernière caractéristique est plus marquée aux États-Unis.

Cela produit confusion, maladie et mort. Vous allez me dire que j'exagère, mais ce n'est pas le cas. La confusion est réelle. On vous recommande d'éviter la viande, puis de manger hyperprotéiné, moins gras, moins salé, moins sucré, sans gluten, etc. Les recommandations tous azimuts sont souvent fondées sur des classements qui distinguent des bons et des mauvais nutriments ou aliments. Les maladies chroniques continuent à augmenter. Elles causent des morts précoces, au point que l'on se demande si l'espérance de vie théorique ne pourrait pas, elle aussi, cesser d'augmenter dans certains pays.

Dans le monde idéal des Bisounours, comment fonctionne l'information holistique ? On pose une question de société importante, éthique et complexe. On réunit le maximum de scientifiques de tous horizons pour faire le tour de la question, quitte à prendre du temps. On obtient une évidence scientifique solide et non contradictoire qui descend vers le gouvernement, les médias et le consommateur. Les résultats de santé sont améliorés.

Dans deux articles publiés récemment, j'ai développé cette réflexion et j'ai abouti à la conclusion suivante : les deux approches doivent coexister ; il est fondamental d'éviter tout dogmatisme.

Nous faisons des erreurs. Nous généralisons à partir du spécifique, c'est-à-dire que nous résumons le potentiel santé d'un aliment à partir d'un seul constituant. Nous associons produits laitiers et calcium, agrumes et vitamine C, viande et protéines. Ce raisonnement dangereux laisse penser que les autres aliments ne contiennent pas de calcium ou de protéines.

Il faut toujours aller du global vers le spécifique. Quand c'est nécessaire, une fois que la question a été pensée de manière globale et holistique, il faut alors mener des recherches réductionnistes qui vont nourrir de manière vertueuse la pensée holistique. Le réductionnisme devient alors vertueux. En réalité, le réductionniste s'est progressivement détaché des questions sociétales, éthiques et complexes pour tourner sur lui-même. Des chapelles se créent sur une partie du tout, chacun proclamant qu'il a raison ! Les recommandations alimentaires doivent appréhender l'aliment dans sa globalité, sachant que son potentiel santé dépend de la combinaison entre sa matrice et sa composition.

L'humanité a vécu quatre grandes transitions nutritionnelles : du cru au cuit ; des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs-éleveurs ; du traditionnel à l'industriel ; du transformé à l'ultra-transformé. Le premier aliment industriel a été la conserve, procédé mis au point par Nicolas Appert après l'invention de la machine à vapeur.

À part Carlos Monteiro au Brésil, personne ne parle de la quatrième transition qui s'est opérée dans les années 1980 : le passage du transformé à l'ultra-transformé. Depuis quarante ans, ce qui est très court, les hommes – spécialement dans les pays occidentaux – ont massivement soumis leur organisme à des matrices artificielles, des additifs et des ingrédients d'origine strictement industrielle que le corps humain n'avait jamais connus auparavant.

Carlos Monteiro a décidé de classer les aliments en quatre groupes, selon leur degré de transformation : les aliments peu ou pas transformés, les ingrédients culinaires, les aliments transformés, les aliments ultra-transformés. Les ingrédients culinaires sont extraits d'aliments peu ou pas transformés et on peut les trouver en faisant nos courses : huile, sucre, beurre, farine, crèmes, épices et sel. Les aliments transformés sont une combinaison des deux premiers groupes : préparations culinaires faites à la maison ; plats traditionnels des terroirs du monde entier ; aliments fermentés, salés et fumés comme le fromage, le pain, la bière, le vin. Les Brésiliens ont démontré qu'un régime équilibré devait être élaboré à partir des produits de ces trois premiers groupes.

La cassure est arrivée avec le passage des vrais aux faux aliments, c'est-à-dire les aliments ultra-transformés. L'équipe des chercheurs brésiliens donne de l'aliment transformé une définition détaillée. Sans la trahir, j'ai cherché, avec d'autres collègues, à la rendre plus simple et accessible au grand public. Nous sommes parvenus à la définition suivante : « Les aliments ultra-transformés sont caractérisés dans leur formulation par l'ajout d'au moins un ingrédient ou additif cosmétique à usage principalement industriel pour imiter, exacerber ou restaurer des propriétés sensorielles – texture, goût, couleur ». Ces ingrédients ou additifs étant à usage industriel, vous ne pourrez pas les trouver en faisant vos courses. Le marqueur de l'ultra-transformation est la présence d'au moins un colorant, un exhausteur de goût ou un texturant. Est-ce sévère ? Non, c'est vertueux parce que les vrais aliments n'en ont pas besoin.

Il y a deux grandes catégories d'aliments ultra-transformés : les faux aliments et les plats préparés. Les premiers sont des matrices artificielles qui ne contiennent quasiment aucun vrai aliment : les barres chocolatées, les sodas, les yaourts à boire. Les seconds contiennent de vrais aliments, mais aussi des ingrédients ou additifs de type cosmétique : le saucisson ou le jambon avec ajout de dextrose.

Même si les pyramides alimentaires anciennes ont une valeur en elles-mêmes, il semble désormais plus intéressant de classer les aliments selon leur degré de transformation, au regard de la santé des populations. Un poisson frit ou bouilli est peu transformé ; des sardines à l'huile sont transformées puisque l'huile est un ingrédient culinaire ; des nuggets de poissons sont ultra-transformés puisque ce sont des chairs de poissons broyées, souvent issues de plusieurs poissons, et pas forcément de leurs parties nobles. Dans les produits ultra-transformés vendus à bas prix, les parties nobles sont souvent remplacées par une kyrielle d'ingrédients et d'additifs.

Comme vous le voyez sur ces diapositives, nombre d'études montrent un lien entre la consommation excessive d'aliments ultra-transformés et l'augmentation des maladies chroniques. Dans mes trois derniers articles, j'ai aussi montré que plus un aliment est transformé, moins il est rassasiant et plus il est hyperglycémiant, donc source de sucres rapides. Les aliments ultra-transformés sont riches en sucre et en gras, nutriments peu rassasiant contrairement aux fibres et aux protéines que l'on trouve davantage dans les vrais aliments dont ils constituent la structure. Souvent friables, semi-solides voire liquides, les aliments ultra-transformés demandent un temps mastication moins long : sodas, yaourts à boire, desserts lactés, et autres. Or, plus un aliment est solide, plus il est rassasiant.

L'aliment ultra-transformé est un indicateur holistique car il est le reflet de divers problèmes : maltraitance animale, perte de biodiversité, changements climatiques, maladies chroniques, déficiences. Ces dernières sont dues au fait que ces aliments apportent des calories vides de fibres, minéraux, vitamines et antioxydants. D'où le recours à des compléments alimentaires.

Carlos Monteiro et les épidémiologistes brésiliens associent aussi les aliments ultra-transformés à une détérioration de la vie sociale et des traditions. En 2014, ils avaient publié le premier guide national nutritionnel fondé sur les recommandations holistiques de l'alimentation. Hyperstandardisés et fabriqués à partir des mêmes recettes pour le monde entier, ces aliments ultra-transformés peuvent se substituer aux cultures locales, au point de donner aux jeunes le sentiment d'une fausse appartenance à une culture moderne autour de cette consommation. Ils ont aussi un impact sur la vie sociale car ils s'adressent plutôt à des gens qui mangent seuls et sur le pouce, ce qui induit des portions individuelles et un suremballage et peut donner le sentiment que le partage de la nourriture à table est inutile.

Dans le même guide, les chercheurs établissent aussi un lien entre l'environnement et ces aliments qui sont reconstitués à partir d'ingrédients produits massivement dans le monde entier et issus de monoculture intensive. Le fait de fractionner la matière première, de répandre tous ces ingrédients dans le monde entier et de les recombiner est plus coûteux pour l'environnement que de prendre directement l'aliment local et entier et de le consommer. La monoculture de matières premières dépend de l'utilisation intensive d'engrais. La production et la consommation de ces produits, elles entraînent une multiplication de déchets sous forme d'emballages en plastique.

En tant que chercheur, je ne fais que des suggestions dont les autorités publiques comme l'ANSES ou d'autres organismes peuvent s'inspirer. J'ai voulu élaborer des règles scientifiques et holistiques qui s'affranchissent des nutriments. C'est ainsi qu'est née la règle des 3V : « Végétal, Vrai, Varié ». Tous les résultats scientifiques tendent à un régime protecteur universel, c'est-à-dire riche en produits végétaux, à base d'aliments vrais et variés.

Évidemment, il ne s'agit pas de varier sa consommation de produits ultra-transformés, en diversifiant les marques issues de stratégies marketing. Je propose des ratios qui sont détaillés dans mon ouvrage mais aussi dans un article qui vient d'être accepté par un journal de nutrition international. Je recommande de ne pas dépasser 15 % de calories animales, ce qui peut vous sembler peu. Mais, outre la santé, il faut protéger l'environnement et les animaux. Pour les calories animales et végétales, je recommande de ne pas dépasser 15 % de produits ultra-transformés.

Le faisceau de présomptions est suffisamment important pour alerter sur le danger de consommer trop d'aliments ultra-transformés. C'est le principe de précaution. Je tiens à préciser que l'on ne pourra jamais prouver le lien de causalité stricto sensu : il est impossible de recruter 50 000 ou 100 000 personnes, et de leur demander de consommer 80 % de calories ultra-transformées pendant dix, vingt ou trente ans pour mesurer l'effet de cette alimentation sur leur santé. Les comités d'éthique refuseraient le lancement d'une telle étude.

D'ailleurs, les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS) sont souvent fondées sur des études réalisées en associant des données, et pas uniquement sur des travaux prouvant des liens de cause à effet. Cette méthode de l'association a une valeur intrinsèque même quand elle ne traduit pas un strict lien de cause à effet.

Je propose quatre changements de paradigme : plus de holisme, plus de préventif, reclasser les aliments selon leur degré de transformation, mettre l'accent sur l'effet matrice et la structure de l'aliment.

À mes trois règles d'or et quatre changements de paradigme, j'ajouterais quelques préconisations. Il faudrait prévoir une éducation à l'alimentation préventive holistique dès le plus jeune âge à l'école. Il faudrait aussi protéger les plus pauvres qui consomment le plus ces produits ultra-transformés et qui présentent des risques d'obésité de trois à quatre fois supérieurs à ceux des gens plus éduqués ou plus riches. Le produit ultra-transformé est un marqueur des inégalités sociales. Je préconise enfin des procédés technologiques moins drastiques. NOVA est un bon outil pour essayer de réduire la transformation. J'ai développé un autre projet de classification, baptisé Siga, qui prend en compte tous les aspects de l'aliment : effet matrice, degré de transformation, additifs.

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