Intervention de Anthony Fardet

Réunion du mercredi 6 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Anthony Fardet, chercheur au département nutrition humaine de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et à l'Université Clermont Auvergne, spécialiste en nutrition préventive :

Oui, les quatre scores testés étaient réductionnistes.

Le problème de ces scores, c'est qu'ilsi sont réducteurs, puisqu'ils sont basés sur le paradigme que l'aliment est une somme de nutriments. Ils peuvent avoir une vertu pour comparer des produits identiques au sein d'une catégorie très définie, qui ont à peu près la même matrice. Si je prends les céréales du petit-déjeuner pour enfants qui sont, à plus de 90 %, ultra-transformés et que je considère comme étant une catastrophe nutritionnelle, le logo nutri-score va pouvoir indiquer au consommateur celui qui est le moins riche en sucre, gras et sel, donc le moins mauvais. Toutefois, ces scores réductionnistes n'encouragent pas à manger de la nourriture moins transformée. Comme ces scores classent A ou B de nombreux produits ultra-transformés, cela ne peut pas encourager les gens à manger des aliments moins transformés. En fait, je n'ai pas compris pourquoi les industriels s'étaient élevés contre ce logo. Cela ne les dérange pas tant que cela puisqu'ils peuvent très bien rester dans un cercle vertueux « Moins gras, moins salé et moins sucré » en reformulant à l'infini les produits ultra-transformés avec des ingrédients et des additifs.

Il y a quelque chose qui n'est pas suffisamment vertueux parce que, et c'est aussi simple que cela, une partie ne peut pas expliquer le tout. Ce logo est une première étape : il peut aider les consommateurs à choisir dans une catégorie de produits le moins gras, moins salé et moins sucré, avec le risque d'avoir tout de même un produit ultra-transformé.

Je ne parle pas de l'étiquetage nutritionnel en tant que chercheur à l'INRA mais en tant que président du comité scientifique de Siga, une start-up que j'ai aidée pour développer scientifiquement un score holistique basé sur NOVA, classification holistique et globale qui comporte quatre groupes qualitatifs et non quantitatifs, ce que lui reprochent d'ailleurs beaucoup de gens. Nous avons élaboré un schéma un peu compliqué philosophico-nutritionnel qui comporte une approche holistico-réductionniste, et nous avons créé des sous-groupes. Nous avons pris en compte l'effet matrice dans le groupe des aliments peu transformés, c'est-à-dire par exemple qu'un fruit entier, ce n'est pas la même chose qu'un jus de fruit – A0 et A1 sur la diapositive. S'agissant des aliments transformés, cela ne revient pas au même de mettre dans un yaourt un ou cinq morceaux de sucre – B1, B2. Enfin, en ce qui concerne les aliments ultra-transformés, on a créé des sous-groupes basés sur la nature, le nombre et la fonction des additifs, le degré de transformation des ingrédients. En effet, même les ingrédients peuvent être transformés. Prenons le sucre par exemple : un sirop de fructose est ultra-transformé, un sucre de table est transformé, un miel est un sucre peu transformé. Autre exemple : une huile hydrogénée trans est ultra-transformée, une huile raffinée est transformée, une huile vierge « première pression à froid » est peu transformée.

On retrouve donc aussi le degré de transformation dans les ingrédients ajoutés. C'est en cela que cette classification est holistique.

Je souhaite que l'information du consommateur soit assez simple sur le degré de transformation des aliments, mais il ne faut ni stigmatiser les gens, ni les culpabiliser, ni leur donner l'impression de recevoir des ordres.

Je souhaiterais que les gens sachent reconnaître un aliment ultra-transformé. Pour cela, j'encourage les gens à prendre des loupes, des lunettes, et à lire les étiquettes : plus la liste est longue, moins ils connaissent les noms et moins c'est bon signe. C'est aussi simple que cela. À la limite, on n'a pas besoin de score, il faut juste sensibiliser les gens. Le premier ingrédient est celui qui est présent en plus grande quantité dans l'aliment. Si la liste comprend tout de suite après des produits que vous ne pouvez pas acheter à la supérette ou au marché – par exemple, du sirop de fructose, du gluten vital, des isolats de protéines, etc. – il faut être méfiant. Vous avez alors deux possibilités : soit vous décidez de l'acheter tout de même, auquel cas il faut le manger seulement à l'occasion – je ne suis pas contre les produits ultra-transformés, même la science n'est pas contre –, soit vous le remplacez par l'équivalent non ultra-transformé. Si vous achetez un saucisson qui contient du dextrose, peut-être faut-il éviter qu'il soit aussi composé d'additifs par exemple.

Comment l'industrie a-t-elle perçu cette nouvelle approche ? Je dialogue beaucoup avec les industriels, et ça se passe très bien. Ils ont vraiment compris l'esprit de la classification selon Saga, qu'il s'agit d'un travail scientifique colossal puisqu'on a répertorié plus de 15 000 ingrédients et les 475 additifs européens. D'ailleurs, 84 % de ces 475 additifs sont de type cosmétique, les autres étant des conservateurs et des antioxydants. Vous savez, les industriels sont curieux, ils tâtent le terrain, ils se renseignent, mais je ne sais pas ce qu'ils veulent faire derrière. En tout cas, le but est de les accompagner à moins transformer, par paliers, par étapes. Si vous leur demandez de passer d'un produit ultra-transformé à un produit peu transformé, c'est l'usine qu'il faut remplacer. Si l'on ne procède pas par étapes, ça ne marchera pas.

Pourriez-vous me rappeler quelle est votre dernière question ?

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