Oui. J'ai l'occasion et la chance de donner des conférences dans des milieux très variés – diététiciens, médecins, scientifiques. J'interviens aussi dans les écoles et j'ai mis au point un petit jeu que les enfants comprennent tout de suite : je leur présente un aliment que j'ai décliné en trois degrés de transformation selon NOVA, et je leur demande de le classer du moins transformé au plus transformé. Cet exercice marche très bien. À chaque fois, les gens comprennent très vite et me disent que c'est du bon sens. C'est d'ailleurs parce que la société comprend qu'il y a un tel écho. On est parti de la société et on a utilisé la science pour répondre à la société. L'autre erreur que l'on fait parfois, en effet, c'est de partir de la science théorique et réductionniste et de vouloir la plaquer sur la société. Cela ne marche pas, que ce soit vis-à-vis des industriels ou de la société, parce que les industriels se braquent. C'est en coconstruisant et en dialoguant avec les industriels que l'on peut faire avancer les choses.
Vous me demandez si les pouvoirs publics doivent agir. Sans dépasser mon rôle de scientifique, je répondrai que deux éléments sont essentiels.
D'abord, l'éducation comme discipline à part entière, dès le plus jeune âge – à l'âge de trois ans – à l'alimentation mais pas aux nutriments. Il faut apprendre aux enfants d'où viennent les aliments, comment ils sont faits, comment on peut les cuisiner facilement, comment on reconnaît un aliment ultra-transformé, et quel est l'impact d'un acte d'achat. Si j'achète cet aliment ultra-transformé, peut-être que j'appauvris le petit paysan qui habite à l'autre bout du monde, peut-être que je renforce la souffrance animale, peut-être que je détruis l'environnement. Ce qu'il faut, c'est une approche holistique et globale de l'alimentation et laisser tomber les nutriments que l'on pourra apprendre peut-être plus tard si l'on veut se perfectionner.
Ensuite, le rôle d'une société est de protéger les plus faibles. On sait que ce sont les plus pauvres qui consomment le plus ces produits qui sont de l'énergie bon marché, comme l'ont montré les travaux de Nicole Darmon, chercheuse de l'INRA à Montpellier, et que les risques de diabète et d'obésité sont multipliés dans ces populations. On pourrait appliquer des taxes sur les produits ultra-transformés, mais cela ne marchera pas si parallèlement on ne rend pas accessibles au plus grand nombre les vrais aliments. Il n'est pas normal que ces vrais aliments donc bons pour la santé et vertueux soient plus chers que ceux qui ne le sont pas !
Les aliments ultra-transformés sont délétères pour la santé lorsqu'ils sont consommés en excès, pour trois raisons principales. Premièrement, ce sont des calories vides, très riches en énergie, donc pauvres en composés protecteurs, antioxydants, fibres, minéraux, vitamines qui, on le sait, sont essentiels pour prévenir des maladies chroniques qui sont justement multifactorielles et le fruit de plusieurs dérégulations métaboliques. Plus vous apportez une diversité de composés protecteurs, plus vous prévenez la multitude de ces dérégulations métaboliques.
Deuxièmement, ils sont peu rassasiants – la satiété est essentielle dans la santé – et on les mastique peu – plus on mastique, puis on stimule les hormones de satiété. Quand des aliments très friables, comme les céréales soufflées, ou très liquides, ou encore très visqueux sont consommés, la satiété est moins stimulée, ce qui peut encourager à consommer entre les repas, malheureusement souvent au profit de produits ultra-transformés. Nous avons tous fait l'expérience de continuer à consommer des bonbons ou des chips par exemple, alors que nous n'avions plus faim.
Troisièmement, ce sont des sources de sucres rapides pour deux raisons. D'abord, la matrice est déstructurée et c'est la matrice dans sa préservation qui fait que ce sont des sucres lents. Notre organisme est habitué à des sucres lents, pas à des sucres rapides dans des quantités massives. Ensuite, ce sont souvent des aliments enrichis en sucres simples tels que glucose et saccharose, le saccharose étant une molécule de fructose et de glucose. On consomme beaucoup trop de sucres rapides. L'OMS recommande de ne pas dépasser idéalement 5 % de sucre de jus de fruit ajouté et de miel, lactose du lait et sucre des fruits mis à part. Or aujourd'hui on peut voir allègrement des adolescents en consommer entre 30 % et 40 %.
Notre organisme n'est pas programmé pour une telle quantité de sucres rapides, mais pour des sucres lents à libération lente. Ce qui est très intéressant d'ailleurs, c'est que tout est lié : ce sont souvent ces produits peu transformés et ces sucres lents qui sont aussi très rassasiants, comme les céréales complètes ou les légumineuses.
Quant à la question des additifs, ce n'est pas mon domaine. Je sais seulement que la mise sur le marché des additifs est basée sur des études, le plus souvent chez le rat, c'est-à-dire qu'elles sont assez réductionnistes. Je n'ai pas l'impression que l'on ait fait le tour de la question de manière holistique, que l'on ait mesuré l'« effet cocktail » notamment.
Pour avoir discuté avec un gastro-entérologue, je sais que des études en cours semblent montrer que même certains additifs non classés « à risque » pourraient modifier la microflore, notamment l'adhésion de bonnes bactéries à la muqueuse digestive. Mais je n'en sais pas plus.
Vous le voyez, l'approche holistique est moins rapide que l'approche réductionniste, mais elle permet au moins de faire le tour de la question et de ne pas jouer aux apprentis sorciers.