Intervention de Catherine Chapalain

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 10h15
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Catherine Chapalain, directrice générale de l'Association nationale des industries alimentaires (ANIA) :

L'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA) regroupe 17 000 entreprises, dont 98 % de PME présentes sur tout le territoire. L'industrie agro-alimentaire constitue la première industrie du pays : elle réalise un chiffre d'affaires de 180 milliards d'euros et un solde commercial positif de 7,2 milliards d'euros ; elle implique 430 000 emplois directs et 2,5 millions d'emplois induits. Elle entretient un lien très fort avec l'agriculture, car nous transformons aujourd'hui 70 % des ressources agricoles françaises, ce qui explique sans doute que les deux sujets aient été liés dans le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable. Elle est incarnée par des chefs d'entreprise, des hommes et des femmes engagés au quotidien, qui sont fiers de leurs produits et des procédés qu'ils emploient. Le consommateur est au coeur de leurs préoccupations.

L'ANIA a pour mission, bien sûr, de représenter les entreprises, mais aussi de les accompagner, en particulier les PME et les très petites entreprises (TPE) dans leur adaptation aux évolutions d'une réglementation très complexe et des attentes changeantes des consommateurs. Cette mission d'accompagnement des entreprises est très importante car les Français sont de plus en plus exigeants en ce qui concerne la qualité de leur alimentation. Les entreprises de l'industrie agro-alimentaire s'efforcent de continuer de répondre à leurs attentes et s'engagent dans un plan d'action intitulé « 1 000 jours pour manger mieux ».

Je voudrais commencer par restituer le contexte dans lequel nous nous trouvons. En premier lieu, l'industrie alimentaire s'est toujours transformée en lien avec les évolutions de la société. Elle est vieille comme le monde, ou plutôt elle date de 10 000 ans avant Jésus-Christ, au moment de l'avènement de l'agriculture. En effet, nous avons toujours transformé les aliments pour pouvoir les consommer.

La bière, par exemple, a été créée 7 000 ans avant Jésus-Christ ; le salage et le fumage des aliments existent depuis 5 000 ans avant Jésus-Christ ; la conserve a été inventée en France à la fin du XIXe siècle. L'industrie agroalimentaire a accompagné toutes les évolutions de la société, telles que le travail des femmes, l'urbanisation ou les nouveaux modes de consommation.

Au cours des cinquante dernières années, une distanciation est probablement advenue. Avec l'ensemble de la filière, avec les agriculteurs, les industriels et la grande distribution, nous avons accompagné ces nouvelles attentes des consommateurs. En somme, les consommateurs nous ont réellement fait confiance en nous déléguant leur alimentation.

Deuxièmement, notre modèle est dans une phase de transition. Du reste, cette situation n'est pas spécifique à l'agroalimentaire ; nous entrons dans une société de défiance généralisée, qui vise aussi les médias traditionnels, la science ou les pouvoirs publics. Ainsi, le lien de confiance qui nous unissait aux consommateurs s'est finalement distendu. Toutes les enquêtes expriment en effet un besoin de confiance et une inquiétude des consommateurs pour leur santé, qui prend son origine dans des scandales alimentaires largement médiatisés, dans des fraudes inexcusables qui portent le discrédit sur l'ensemble de la filière. Enfin, les consommateurs sont perdus, en raison d'une cacophonie nutritionnelle produite par des amalgames et des injonctions contradictoires : un jour on leur dit de manger plus de viande, le lendemain moins de sucre, pas de gluten, plus de gras… Comment rassurer les consommateurs dans ces conditions ? Cette inquiétude est paradoxale, car l'alimentation des Français n'a jamais été aussi sûre. Ainsi, dans la classification de l'OMS, la France est le troisième pays au monde en ce qui concerne la sécurité alimentaire et pourtant 30 % des Français n'ont pas confiance dans leur alimentation ! Par un second paradoxe, le monde entier nous envie notre modèle alimentaire, achète nos fromages, nos charcuteries et nos chocolats, et pourtant c'est en France que le niveau de food bashing est le plus élevé.

Il est vrai que nous avons une part de responsabilité dans ces évolutions. Nous l'assumons : l'industrie agroalimentaire n'a sans doute pas été suffisamment transparente et a mis du temps à prendre en compte ces nouvelles attentes. Nous n'avons sans doute pas fait assez de pédagogie, nous n'avons sans doute pas suffisamment expliqué et ouvert nos usines. Aujourd'hui, les industriels du secteur agroalimentaire, que je représente, ont pris la mesure de ces responsabilités et se sont engagés. Nos engagements sont fondés sur plusieurs convictions.

Tout d'abord, l'alimentation est essentielle pour notre santé. En outre, elle porte des affects, une culture, une histoire, qui en font l'importance pour les Français. Contrairement aux pays anglo-saxons, nous ne raisonnons pas en termes comptables, en quantifiant les glucides, les protéines ou les lipides, mais en termes de plats, de couscous, de kouign-amann...

Ensuite, nous sommes convaincus que l'alimentation a une valeur. Cette valeur est au coeur des débats sur le projet de loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable. L'alimentation a donc une valeur nutritionnelle, sociétale, environnementale, mais aussi une valeur économique importante. C'est pourquoi tous les acteurs de la filière se sont battus contre la guerre des prix, qui détruit de la valeur et empêche une montée en gamme qui est pourtant espérée par tous. Comme on dit, « Quand c'est plus vert, c'est plus cher ».

Ces convictions nous ont amenés à établir des objectifs. Notre première mission est de fournir aux consommateurs une alimentation plus saine, plus sûre et plus durable. Notre deuxième objectif est de créer de la valeur pour mieux la répartir entre les acteurs de la filière, c'est-à-dire les agriculteurs, les industriels de l'agroalimentaire et la distribution. C'est dans ce cadre que nous avons défini avec l'ensemble de nos entreprises et de nos professions un plan d'action sur lequel nous nous engageons. Nous vous remettrons un document afin de vous le présenter. Ce plan d'action fait suite à une concertation lors des États généraux de l'alimentation (EGA) : nous avons eu un dialogue exigeant et constructif avec les organisations non gouvernementales (ONG) et avec les associations de consommateurs. Nous n'étions pas toujours d'accord, mais nous sommes parvenus à un consensus autour d'un certain nombre d'attentes. Peu avant, nous avions effectué une consultation citoyenne et plus de 9 000 consommateurs nous avaient fait part de leurs attentes. Nous avons ensuite réalisé un manifeste intitulé « 1 000 jours pour mieux manger », dans lequel nous prenons des engagements extrêmement précis. Plutôt que de tous les détailler, je mettrai en lumière trois actions qui me semblent illustrer nos engagements actuels.

Notre premier engagement, extrêmement important, consiste évidemment à optimiser la qualité nutritionnelle de l'alimentation et donc à adapter la taille des portions. Cela fait partie du modèle alimentaire français qu'il faut préserver. Nous aurons l'occasion de vous présenter les démarches en cours, qu'il faut poursuivre, valoriser et approfondir.

Nous nous engageons également à passer à la vitesse supérieure en termes de transparence. C'est la première attente des consommateurs : ils veulent savoir pour pouvoir faire leurs choix. Les consommateurs attendent de plus en plus d'informations sur la qualité nutritionnelle, les modes de production, l'origine des produits et l'empreinte environnementale. Le consommateur souhaite donc une information augmentée, or il est impossible de l'inscrire sur l'étiquette des produits. Nous travaillons donc au lancement en septembre 2018 d'un portail qui regroupera l'ensemble des données numériques disponibles. Nous menons cette démarche avec les agriculteurs, les distributeurs et l'ensemble des industriels de l'alimentaire, pour fournir une base de données fiable qui contiendra des informations communiquées par les entreprises. Ce seront des données ouvertes, accessibles directement aux consommateurs, aux scientifiques ou à n'importe quelle start-up qui voudrait y accéder. Nous nous engageons donc vraiment à une transparence maximale pour répondre à cette nouvelle attente du consommateur. Demain, sur votre smartphone, avec une application, vous pourrez savoir dans quelle parcelle ont été cultivés les petits pois de la boite que vous avez entre les mains. Nous avons décidé de porter ce projet ambitieux avec l'ensemble des acteurs.

En outre, nous sommes convaincus de l'importance de l'éducation et de la prévention. Peut-être nous sommes-nous trop reposés sur nos lauriers. Regardons ce que font les autres pays européens en matière d'éducation à l'alimentation à l'école. En effet, le rapport à l'alimentation se construit dès le plus jeune âge ; aussi faut-il former les enfants et les jeunes à l'alimentation et non pas seulement à la nutrition. En outre, nous nous engageons dans des démarches de terrain qui ont fait leurs preuves afin de prévenir la fracture nutritionnelle et alimentaire. Nous reconnaissons en effet que l'on n'a pas réussi à réduire l'écart entre les populations les plus favorisées et les populations les plus défavorisées qui sont encore victimes de cette fracture.

Nous avons toujours été favorables à une meilleure information du consommateur et à une information plus simple sur l'étiquetage nutritionnel. Au moment des débats sur la loi de santé publique, nous l'avons indiqué de façon tout à fait transparente. Nous avions souhaité qu'une expérimentation en grandeur réelle soit menée pour que ce soit le consommateur qui choisisse, parmi les quatre systèmes d'information qui existaient, celui qui serait le plus efficace pour orienter ses choix. Il se trouve que le Nutri-Score l'a emporté dans cette expérimentation. Dès lors, nous accompagnons les entreprises qui le souhaitent dans sa mise en place, puisque ce système repose sur le principe du volontariat.

Nous avons ainsi organisé il y a une quinzaine de jours un atelier avec la direction générale de la santé (DGS) et plus de 60 entreprises, en majorité des PME, pour appréhender le système Nutri-Score et le déployer. Un certain nombre de grands acteurs ont pris position.

Enfin, je voudrais dire que, lorsque nous avons découvert l'intitulé de cette commission d'enquête, nous avons été très étonnés et perplexes. Je ne vous cache pas que nos entreprises adhérentes se sont demandé si cette commission d'enquête avait pour objectif de faire le procès de l'industrie alimentaire. Nous serions donc évidemment intéressés par vos réponses sur ce point.

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