Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 9h45
Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la santé :

Je vous remercie d'effectuer cet important retour d'expérience. Le ministère réalise actuellement le même type de travail.

Monsieur le président, vous m'avez interrogée sur le rôle de la direction générale de la santé (DGS). Il est clairement défini ; c'est un rôle d'alerte. La DGS n'est pas chargée de la gestion de crise, dévolue à la DGAL et à la DGCCRF.

La DGS a été pleinement efficace : elle a donné l'alerte. Je rappelle d'ailleurs qu'aucun autre pays européen n'a relevé de contamination, alors que les produits Lactalis sont distribués partout en Europe. Cela prouve que le système d'alerte français a fonctionné : les centres nationaux de référence ont identifié les souches de salmonelles et déclenché l'alerte lorsque le seuil épidémique a été atteint, grâce à des techniques de séquençage très raffinées que nous finançons.

Nous avons ainsi pu mettre en évidence que la souche Agona, identifiée par le CNR de Pasteur, était la même chez tous les enfants Mais cela a nécessité des recoupements, qui expliquent ce qui a pu être perçu comme de la lenteur : lorsque les laboratoires qui reçoivent des coprocultures identifient des salmonelles, ils les envoient au centre de référence. Le centre de référence doit ensuite identifier Agona puis réaliser le séquençage.

Dès que l'alerte a été donnée par l'Institut Pasteur, la DGS a immédiatement transmis l'alerte aux deux directions concernées – la DGAL et la DGCCRF – par conférence téléphonique. C'était le 1er décembre à 14 heures 32. Nous avons ensuite immédiatement alerté les professionnels concernés – médecins généralistes, pédiatres, sages-femmes des hôpitaux. Un dispositif, appelé message d'alerte rapide sanitaire (MARS), permet d'envoyer rapidement ces alertes à toutes les agences régionales de santé (ARS), qui les adressent ensuite à tous les établissements de santé. Ces alertes ont été transmises dès le 2 décembre, puis le 3, le 10 et le 21 décembre, les 11, 12, 14 et 19 janvier, le nombre de lots incriminés ayant augmenté au fur et à mesure.

Vous l'avez dit, monsieur le président, ce système classique d'alerte a essentiellement été pensé pour les médicaments. Or le lait infantile se trouve dans une zone grise – ce n'est pas un médicament, mais il est plus sensible qu'un produit alimentaire.

Nous avons également alerté toutes les sociétés savantes et professionnelles – généralistes, pédiatres, infectiologues, sages-femmes, etc. – et le Conseil national de l'Ordre des médecins et des pharmaciens, qui ont ensuite utilisé leur réseau de communication pour faire en sorte que les acteurs prennent des mesures de gestion. Pour autant, la DGS ne dispose pas de corps de contrôle chargé de vérifier la bonne application de ces mesures – et cela ne figure légalement pas dans ses missions. En conséquence, même si la DGS a clairement rempli ses missions, nous devons collectivement nous poser la question de cette zone grise.

C'est également grâce aux centres nationaux de référence que nous avons été capables d'effectuer le rapprochement avec les contaminations de 2004 et 2005, issues de la même souche de salmonelle, déjà présente dans le lait infantile produit par Lactalis. Cette bactérie contamine probablement l'environnement de l'usine depuis très longtemps… Je le répète, la DGS a donc été parfaitement réactive dans le cadre de ses missions.

La réunion hebdomadaire de sécurité sanitaire permet l'échange d'informations. Elle est évidemment insuffisante pour traiter les alertes et ne sert d'ailleurs pas à cela. Elle vise à vérifier que la coordination fonctionne et que les différents acteurs se connaissent. Elle permet également de réaliser un état des lieux hebdomadaire des alertes.

La gestion de ce type d'alertes passe surtout par des conférences téléphoniques assurées par le centre opérationnel de réception et de régulation des urgences sanitaires et sociales (CORRUSS), centre de crise de la DGS qui fonctionne sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En dehors du ministère de l'intérieur, peu de des directions d'administration centrale fonctionnent avec une telle amplitude horaire ! Notre système d'alerte sanitaire est donc plutôt performant.

En décembre et janvier, la DGS a vérifié la bonne coordination des acteurs et organisé huit réunions téléphoniques et points avec la DGCCRF et la DGAL – qui font partie de la réunion de sécurité sanitaire du mercredi matin et se connaissent donc très bien.

Elle a également contribué à l'information du public et a d'ailleurs demandé à la société savante de pédiatrie de rédiger un référentiel de prise en charge des enfants – notamment s'agissant de la substitution de lait – immédiatement après le début de la crise. Ce référentiel a été transmis aux autres sociétés savantes, à tous les acteurs de santé, mais également aux opérateurs du numéro vert chargé d'informer les familles.

La DGS n'a pas de pouvoir d'investigation, contrairement à la DGAL et à la DGCCRF. Elle n'a normalement pas de compétences pour informer les consommateurs sur les retraits-rappels et passe pour ce faire par ses réseaux habituels – professionnels et établissements de santé.

La gestion a été complexe, la succession de lots incriminés ayant obligé à élargir progressivement l'information délivrée. On peut regretter que l'alerte n'ait initialement concerné que quelques lots, alors que le problème était en réalité beaucoup plus important. Il est évident qu'un retrait massif et plus rapide de l'ensemble des produits aurait facilité la gestion de l'information…

Nous attendons avec impatience les conclusions du comité national de la consommation concernant la méthode d'information du grand public. Mais le problème est général et touche également les médicaments. Sur ce dernier point, j'ai lancé également une mission. Nous serons particulièrement vigilants quant à la mise en oeuvre de leurs conclusions, en utilisant peut-être un site d'alerte unique, pour lequel vous plaidez.

Vous m'interrogez ensuite sur la répartition actuelle des rôles. La DGS est une direction administrative à caractère médical. Elle est dans son rôle lorsqu'elle effectue des recommandations sanitaires à destination des professionnels et des familles. Elle est également chargée de la coordination interservices des mesures de gestion et de l'information des professionnels de santé et des établissements.

J'ai du mal à imaginer comment la DGS pourrait assurer une mission de contrôle avec les moyens dont elle dispose. Par ailleurs, elle n'est pas formée pour cela. Enfin, à vouloir lui faire jouer un rôle qui n'est pas le sien, on risque de diluer ses compétences et de prendre des risques quant à la robustesse des informations transmises.

Vous m'avez également interrogée sur les crèches. Vous avez raison, ces structures sont extrêmement nombreuses. Par ailleurs, elles travaillent dans le champ social – et non sanitaire. C'est la raison pour laquelle notre chaîne d'alerte n'a absolument pas accès à elles. C'est effectivement problématique, mais tout notre système a été pensé pour gérer les produits de santé, les médicaments et les produits du sang. Ce type de produits alimentaires n'en fait pas partie.

Vous suggérez de confier cette mission aux services de la protection maternelle et infantile (PMI). C'est une bonne idée, car l'État seul ne dispose actuellement pas des informations concernant toutes les structures d'accueil du jeune enfant – crèches, microcrèches, crèches familiales, assistants maternels. Seuls les départements – et notamment leur PMI – disposent d'une liste exhaustive.

Ce serait une amélioration : l'État pourrait se mettre d'accord avec les départements et imaginer un dispositif spécifique d'alerte pour les crèches.

Les laits infantiles doivent-ils revenir dans le champ du médicament. Je ne peux pas répondre à votre question dans l'immédiat ; elle doit faire l'objet d'une instruction par mes services. Ils doivent analyser les bénéfices et les risques d'une telle décision : bénéfices en termes de sécurité et pour les enfants, mais risques en termes d'augmentation des prix et de lourdeur des procédures.

Vous le dites, actuellement, le prix est un frein pour certaines familles. Vous avez raison, les Restaurants du Coeur distribuent énormément de lait infantile. Il ne faudrait pas qu'une décision prise dans la précipitation soit un frein supplémentaire…

La question mérite d'être posée, d'autant plus que certains laits sont déjà considérés comme des médicaments – ce sont des laits particuliers, vendus en pharmacie. Ces laits font, sans difficulté, l'objet des mêmes procédures que n'importe quel médicament.

Actuellement, les dispositifs qui fonctionnent bien passent par les pharmacies. D'ailleurs, nous l'avons constaté dans les établissements de santé : quand le lait infantile était acheté par la pharmacie ou la pharmacie centrale des hôpitaux, la procédure de retrait-rappel s'est très bien déroulée, contrairement aux hôpitaux où le lait était acheté par les services de restauration. Dans ce dernier cas, la direction de l'hôpital et la pharmacie ne disposaient pas d'informations et les retraits n'ont pas été opérés correctement. Ce retour d'expérience va probablement nous amener à élargir nos procédures à ce type de produits.

Un site d'information en santé – Santé.fr – devrait voir le jour en 2019. En effet, à l'heure actuelle, nous ne disposons d'aucun outil de communication grand public. Il s'agira d'une application que les usagers pourront télécharger gratuitement. Elle diffusera des messages d'alerte sanitaire et donnera des informations sur les médicaments.

Vous m'avez interrogée sur les numéros verts en santé. Ils sont gérés par des opérateurs formés à la gestion de crise. En fonction de la crise, ces opérateurs disposent d'un certain nombre de réponses. À mon avis, nous prendrions un très grand risque à vouloir substituer ces numéros aux professionnels de santé ou à laisser croire qu'un professionnel de santé peut donner des conseils médicaux aux familles par téléphone : un enfant doit être examiné pour bénéficier du bon diagnostic !

Nous devons nous en tenir à la structure actuelle : les numéros verts informent – lots incriminés, types de substitution, dispositifs en place – puis conseillent aux familles de consulter leur médecin traitant ou d'aller aux urgences.

Par le passé, j'ai géré des numéros verts – comme Cancer Info Service. En aucun cas, des opérateurs ne peuvent donner de conseils médicaux, au risque de devoir ensuite gérer des erreurs médicales. Ces numéros peuvent réassurer le public sur la compréhension de l'information, mais ne doivent pas faire de la régulation médicale.

Je comprends que les familles attendaient peut-être d'autres informations. Malgré tout, 9 000 appels ont été traités par des opérateurs formés, disposant d'informations transmises par des professionnels de santé et d'une liste de questions-réponses. Mais, dès que l'on bascule dans des questions d'ordre médical, pour des raisons de sécurité, les personnes malades ou les familles doivent aller voir un médecin.

Enfin, vous m'interrogez sur la possibilité pour les CNR d'étendre le dispositif d'identification à l'ensemble des souches de salmonelle. Cela pose la question de l'efficience du système : pourquoi réserver cet élargissement aux seules salmonelles ? Je ne le comprends pas. Le réseau de CNR français est extrêmement performant pour toutes les souches bactériennes, que les épidémies soient liées à une salmonelle, une schigelle ou toute autre bactérie. Doit-on décider que toute la bactériologie française – coprocultures, examens bactériologiques des urines et hémocultures – est transmise aux CNR, chargés ensuite de faire de la génomique à haut débit ? À vouloir tout embrasser, au vu du nombre d'examens bactériologiques réalisés en France, nous perdrions en qualité d'information et risquerions de ne pas être alertés à temps lors de la survenance des épidémies.

Notre système est efficient, car seuls les professionnels jugent du caractère anormal de l'émergence d'une souche. Si nous les noyons sous toute la bactériologie française, nous prenons un risque majeur, pour un coût considérable – il s'agit de centaines de milliers d'examens !

En l'espèce, l'épidémie, liée à une salmonelle, a été repérée par notre système d'alerte. Nous sommes le seul pays au monde à l'avoir repéré et disposons probablement d'un des systèmes d'alerte les plus performants, du fait qu'il est décentralisé, organisé et coordonné.

Je ne suis pas donc pas favorable à votre proposition.

Vous m'avez également demandé qui était chargé de vérifier l'effectivité du rappel dans les hôpitaux. Normalement, pour tout ce qui concerne les médicaments, c'est la pharmacie. Les pharmaciens le font, sauf quand ils n'ont pas la trace de l'achat, parce que celui-ci n'est pas passé par eux. C'est ce qui s'est passé pour le lait qui a été acheté par certains services de restauration.

L'Ordre des pharmaciens a donné l'alerte, et ceux qui ne se sont pas soumis au retrait des lots se verront appliquer des sanctions ordinales. La présidente de l'Ordre des pharmaciens est très ferme sur ce point.

Le problème est que le lait n'est pas un produit de santé et que, de ce fait, les circuits ne sont pas adaptés aujourd'hui à vérifier le retrait-rappel. En revanche, nous avons identifié l'alerte, et donné l'alerte extrêmement tôt.

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