La loi « informatique et libertés »… Que diraient les médecins s'ils avaient pour consigne, en cas d'épidémie de méningite, de masquer le nom des écoles dans lesquelles la méningite s'est déclarée ? Il ne s'agit pas de trahir un secret commercial ou industriel, mais, dans les situations où le danger est avéré, nous devons faire en sorte que l'information soit connue.
J'ai appris à leur contact, moi qui étais un économiste distingué et qui suis aujourd'hui un économiste repenti, que les médecins sont des gens concrets, qui ont une force de rappel constante : l'état de santé de leurs patients. Si nous leur livrons trop d'informations, ils s'enfuient. Ils ont besoin d'une information précise, au moment où il le faut.
Nous avons constaté – je tiens les statistiques à la disposition de la commission – qu'entre 1994 et 1998, quand nous avons commencé notre informatisation, le nombre de déclarations de maladies professionnelles effectuées par les médecins généralistes de notre réseau avait brutalement été multiplié par huit, ce qui avait beaucoup inquiété la CARSAT. Ce qui veut dire que, quand le médecin dispose de la bonne information concernant l'exposition de son patient, il se livre aux examens et aux raisonnements nécessaires pour conclure ensuite à la non-imputabilité ou à l'imputabilité de la maladie au facteur de risque.
Malheureusement, comme cela est fait dans le golfe de Fos-sur-Mer, on remet au médecin une liste appelée « fiche d'exposition » sur laquelle 30 noms d'agents nocifs sont couchés – décabromodiphényl, chlorure de vinyle monomère, hydrocarbure aromatique polycyclique (HAP), etc. Des agents toxiques que le médecin ne rencontre jamais dans sa pratique médicale – et qu'il n'a d'ailleurs pas à rencontrer. Alors il prend cette fiche, la met sous le dossier du patient et passe aux choses sérieuses.
Le médecin généraliste a besoin d'être informé du risque de survenue de telle ou telle maladie. Le risque doit être nommé – cancer, surdité, bronchite chronique, etc. – pour que le médecin procède aux examens nécessaires pour sa recherche. Si le patient n'est pas malade, il lui propose une surveillance qui prend en compte le risque auquel il a été exposé. Une surveillance qui peut être très motivante.
À la cokerie, le risque de bronchite chronique est connu, puisque les salariés sont exposés aux poussières de charbon et à la silice. Or les médecins savent qu'en dessous d'un certain seuil, la bronchite chronique est réversible. L'information qu'ils reçoivent doit donc être immédiatement compréhensible et utilisable. D'autant que les médecins sont débordés, notamment par des actes administratifs.
Quand on évoque la question des maladies professionnelles avec les médecins, ils vous disent que leur mission est de faire disparaître les symptômes de leurs patients et rien de plus. Par ailleurs, en 2011, a été mise en place la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) dans laquelle le dépistage des infections professionnelles n'est pas pris en compte – au moins dans le périmètre du golfe de Fos.
Les médecins généralistes pourraient constituer les terminaux vigilants d'un système de repérage des affections liées à l'environnement. L'assurance maladie dispose dans ses archives des données qui permettraient de produire des cartes suffisamment parlantes pour que, sur les six risques prioritaires que j'ai évoqués, une action résolue soit menée pour arrêter le gaspillage humain et financier que représentent ces maladies.