Je travaille à ArcelorMittal Florange : je suis animateur sécurité et je partage mon temps pour moitié entre mon activité syndicale et l'animation sécurité.
Je me suis longtemps occupé d'un laminoir et je travaille maintenant dans les bureaux, où je rencontre des problématiques d'accidentologie. Il y a quelques années, j'ai eu affaire à un accident mortel et je vous assure que c'est une chose dramatique pour la famille de la personne et ses amis, mais aussi pour tous les gens du secteur. Car, globalement, le secteur ne fonctionne plus de la même façon une fois que le malheur est passé par là, les gens sont fortement traumatisés, et lorsque nous passons, nous en parlons encore.
Je vis cela tous les jours ; des gens viennent me voir pour me dire que leur père, leur mari, a travaillé dans l'entreprise il y a des années, qu'il est à la retraite depuis quelques années, et qu'il souffre d'un cancer de la plèvre lié à l'amiante qu'il a respiré chez nous, etc.
Nous rencontrons des difficultés pour constituer des dossiers et défendre les victimes auprès des instances officielles ; les choses sont extrêmement compliquées et nous faisons le maximum pour être à la portée des gens. Nous vivons de très près toute la partie technique, tout ce qui concerne le risque chimique et mécanique propre à la métallurgie. Aujourd'hui, dans les bureaux, nous vivons les risques psychosociaux (RPS), les gens qui subissent des pressions largement supérieures à ce qu'ils peuvent supporter, ce qui les conduit parfois à « péter les plombs ». C'est le quotidien.
Nous avons la chance de disposer encore sur le site d'une équipe de médecine du travail particulièrement efficace. Des infirmières sont présentes, et quand quelque chose ne va pas, on a quelqu'un à qui adresser la personne qui se sent mal – et je vous assure que les choses ne sont pas toujours faciles.
Nous sommes confrontés à deux types de problèmes.
La maladie professionnelle, comme l'accident, tend à diminuer quelque peu au vu des statistiques – mais il y a ce qui est reconnu et ce qui ne l'est pas. L'amiante et les TMS ont tendance à baisser légèrement. Nous avons obtenu la reconnaissance de TMS et la mise en place de plans d'action nous a occasionné beaucoup de travail.
De leur côté, les risques psychosociaux ont fait leur apparition et se sont imposés comme un nouvel aspect de la maladie professionnelle. Nous avons affaire à des gens soumis à un maximum de pression, qui vont exploser, mais il y en a aussi d'autres, au sein de grandes entreprises en cours de restructuration, qui sont mis au placard du jour au lendemain dans des directions excentrées à Paris, à Dunkerque ou ailleurs. Lorsque l'on a été un responsable local chargé de diriger une équipe de cinquante personnes, avec d'importantes responsabilités, et que l'on se retrouve à faire trois tableaux Excel à adresser à Dunkerque pour que le collègue puisse faire ses statistiques, on le vit très mal.
Je vis donc les deux aspects du risque : accident et maladie. Je suis encore beaucoup sur le terrain, car je suis toujours formateur, animateur sécurité et secrétaire du CHSCT, je rencontre les dirigeants et les collègues. Nous nous rendons compte que ça ne marche pas très fort et que nous rencontrons aujourd'hui d'énormes problèmes.
Pour rebondir sur ce que disait mon collègue, il est vrai que l'on cherche à réparer, à payer – cela vaut pour les accidents du travail comme pour les maladies professionnelles. Mais on ne réparera jamais le drame une fois qu'il est survenu. Lorsque vous dites à une dame que son mari est décédé et que vous lui donnez 50 000 ou 100 000 euros, qu'est-ce que cela change ? Rien. Le mari ne rentrera pas, les enfants ne verront plus leur père. Lorsqu'on a compris ça, on a une approche tout à fait différente de tout ce qui concerne la santé et la sécurité au travail.