Intervention de Jean-François Naton

Réunion du jeudi 7 juin 2018 à 14h00
Commission d'enquête sur les maladies et pathologies professionnelles dans l'industrie risques chimiques, psychosociaux ou physiques et les moyens à déployer pour leur élimination

Jean-François Naton, conseiller confédéral de la CGT, en charge du travail, de la santé et de la protection sociale :

Le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT) réfléchit à l'évolution des tableaux de maladies professionnelles, mais celle-ci est très lente, malheureusement. Le Conseil n'est toujours pas parvenu à caractériser les troubles psychosociaux à ce jour.

C'est pourquoi les confédérations syndicales revendiquent des moyens de fonctionnement pour les CRRMP. En effet, si une règle générale ne peut être définie, il faut travailler sur chaque cas particulier, et pour ce faire, nous avons besoin de disposer des éléments nécessaires, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Cela devient le parcours du combattant et nous sommes pris dans une formalité impossible, qui fait qu'il n'y a finalement pas de reconnaissance, car tout est épuisé avant que le but soit atteint.

En attendant que la situation évolue, il faut que les CRRMP disposent effectivement des moyens nécessaires et que la réflexion sur l'objectivation des troubles psychosocioaux soit poursuivie jusqu'à une inscription au tableau, même si nous avons conscience que le sujet est vaste. Des travaux ont déjà été conduits afin de permettre la prise en compte d'éléments factuels aisément identifiables, comme l'épuisement ou la dépression. Restera ensuite à franchir le pas et inscrire les RPS dans un tableau.

Lorsque j'ai évoqué le contexte dans lequel se déroulent les travaux concomitants de la commission d'enquête et de la mission dont est chargée Mme Lecocq, je songeais notamment à l'électrochoc – et la médiatisation – du suicide, ressenti par tous.

Il y a une vingtaine d'années, le Conseil économique et social (CES) a produit un rapport sur le suicide et, en 2003, MM. Michel Debout et Christian Larose ont publié l'ouvrage Violences au travail : agressions, harcèlements et plans sociaux, qui alertait sur ce qui se jouait au travail. Malheureusement, ces documents ne sont pas assez pris en compte, mais c'est bien la médiatisation de ce qui s'est passé à France Télécom hier, à Orange aujourd'hui, ainsi que chez Renault, qui a créé cet électrochoc dans la société.

La question a été posée : que se joue-t-il dans le travail lorsque des cadres, des ingénieurs, des informaticiens se jettent par la fenêtre ou sous un pont ? La comparaison avec l'amiante peut sembler déplacée, mais je l'établis : lorsque c'est la classe ouvrière qui meurt prématurément, on le vit dans une forme de normalité, alors que le différentiel d'espérance de vie ne cesse de croîter ; mais lorsque c'est la faculté de Jussieu qui est concernée par l'amiante, cela commence à faire le buzz.

Quand des personnels de niveau cadre ont commencé à se suicider, cela a fait réagir. Un rapport Bien-être et santé au travail a été produit par Mme Pénicaud, M. Lachmann et M. Larose et cela a été un élément d'accélération, de prise de conscience qu'il se jouait dans les entreprises une crise du management, que le top management devait être pointé du doigt parce que l'organisation du travail était pathogène. France Télécom en est l'illustration ; on n'a pas pensé à faire mourir les gens mais on a pensé qu'il fallait organiser le travail pour que les gens s'en aillent, sans penser qu'ils partiraient en se jetant des ponts.

Ce qui s'est noué à ce moment-là a été un électrochoc aussi pour les organisations syndicales. Comment avons-nous pu passer à côté ? Cela nous a amenés à faire un retour sur notre propre action ; nous avons produit des documents visant à sonner l'alarme et lancé des formations.

C'est pourquoi nous avons combattu de manière déterminée la disparition des CHSCT. Nous pensons que ce gouvernement s'est trompé en voulant concentrer, rationaliser, professionnaliser cette instance. Il fait fausse route : ce n'est pas la professionnalisation qui est requise, mais la capacité à entendre celui qui fait et qui sait, c'est-à-dire le travailleur. Il faut organiser l'écoute du monde du travail plutôt que de créer des systèmes déconnectés de la situation de travail. Maintenant que c'est fait, il faudra voir comment les CSE, avant de parler de l'économie, parlent du travail et de l'organisation du travail.

Le nouvel axe prioritaire revendicatif face à cette évolution est en débat à l'actuel congrès de la CFDT. Cela traversera le prochain congrès de la CGT à Dijon.

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