Je remercie les nombreux intervenants qui ont bien voulu apporter leur soutien à cette proposition de loi, notamment nos collègues du groupe Les Républicains, qui ont avantageusement complété mon propre argumentaire, mais aussi ceux d'autres groupes, qui ont su s'affranchir des clivages politiques traditionnels pour donner leur point de vue personnel sur la disposition proposée.
Pour ce qui est de la question du réglementaire et du législatif, évoquée par plusieurs d'entre vous, je veux rappeler que ce ne serait pas la première fois qu'une loi empiéterait sur le domaine réglementaire. Au demeurant, ce dont il est question avant tout, c'est de liberté individuelle de circulation et de pouvoir décisionnel des collectivités locales, autant de thèmes relevant du pouvoir législatif. Cela dit, je ne verrais aucun inconvénient à ce que le Premier ministre tranche ce débat en inscrivant mes propositions dans le projet de décret qu'il a prévu de rendre public d'ici au 1er juillet : tout le monde serait ainsi satisfait, à commencer par nos concitoyens.
L'argument emprunté par M. Pont au délégué interministériel à la sécurité routière, selon lequel les accidents se produiraient majoritairement sur le réseau des routes secondaires, ne peut suffire à nous convaincre, car il y a à cela d'autres raisons que la vitesse ; par ailleurs, quand il me dit que les chocs frontaux n'interviennent que sur notre réseau, c'est une évidence, puisque ce réseau se caractérise par une absence de séparateur central ! À force d'entendre cet argument, je pourrais finir par en concevoir un certain agacement – qui ne serait toutefois pas dirigé contre vous, monsieur Pont, car vous vous êtes exprimé de façon très mesurée sur ce point. De même, quand vous dites ne trouver aucun motif réaliste dans mon argumentaire, je ne veux pas y voir de la mauvaise foi de votre part, mais une simple erreur d'appréciation, liée à une méconnaissance de notre réseau. En effet, celui qui prétend que la réduction de la vitesse autorisée n'aura pas d'incidence en termes de temps de trajet méconnaît de toute évidence le réseau secondaire qui constitue le quotidien de millions de nos concitoyens.
Sans vouloir me lancer dans un débat local en citant l'exemple du Cantal, j'insiste sur le fait que ce qui nous est promis avec cette mesure, c'est de revenir aux temps de déplacement des années 1980 – ce qui est d'autant plus insupportable que la notion de mobilité est sur les lèvres de tous les membres de ce gouvernement, qu'il s'agisse de la mobilité du quotidien, du véhicule autonome, ou des taxis volants de demain ! Vous conviendrez que, dans ce contexte, il est pour le moins frustrant de se voir proposer le ralentissement pour seule perspective. Notre proposition de loi n'est pas un texte sur la sécurité routière, mais sur l'impératif de mobilité des territoires ruraux, que je souhaite concilier avec la décision prise par le Premier ministre.
Sur la question de la mobilité et du gain de temps, ne venez pas nous dire que nous ne cherchons qu'à grappiller quelques minutes dont nous pourrions facilement nous passer, alors que les trois dernières décennies ont été marquées par une course au gain de temps. Les uns se sont, à juste titre, battus pour avoir une gare TGV sur leur territoire, les autres ont plaidé pour qu'il n'y ait pas de gare TGV située entre eux et la capitale, et, en définitive, l'implantation du réseau TGV a révolutionné la carte de France. En termes d'isochrones, les villes du Sud-Est ont la chance de se retrouver maintenant en Seine-et-Marne – parce qu'on peut résider à Avignon et travailler à Paris –, alors que les villes du Massif central se retrouvent à la frontière espagnole, parce qu'elles ont, à l'inverse, perdu du temps dans le même délai. Il n'est donc guère étonnant que nous attachions de l'importance à la question du gain de temps, dans une société où tout le monde cherche sans cesse à gagner en productivité et en attractivité.
M. Latombe a été le plus sévère de tous en employant, pour parler de notre proposition, les termes d'« erreur » ou de « faute » Avec ces mots, on se rapproche dangereusement de ce que je souhaite éviter, à savoir un débat caricatural qui opposerait les fous du volant aux sachants responsables. Il n'y a ni erreur ni faute, d'autant que j'ai pris soin de préciser en préambule que notre proposition de loi ne visait que l'une des dix-huit mesures d'un projet global – et que nombre de ces mesures me paraissaient pertinentes.
Pour ce qui est du fait de présenter la réduction de la vitesse autorisée comme une simple expérimentation, j'y vois un leurre contre lequel je vous mets en garde. Comme je l'ai dit, le projet global du Gouvernement comporte dix-huit mesures, dont certaines sont très intéressantes, notamment celle consistant à lutter contre le manque de vigilance lié à l'usage du téléphone portable. Il y a donc fort à parier – et je l'espère de tout coeur – que dans deux ans, à l'issue du déploiement de ces mesures, le nombre de victimes sur les routes diminue – c'est d'ailleurs déjà ce que l'on constate actuellement, alors qu'aucune mesure nouvelle n'a encore été introduite. Dans deux ans, qui sera en mesure de dire quel aura été l'impact de la réduction de la vitesse maximale au sein de l'ensemble constitué de dix-huit mesures ? Même le délégué interministériel ne peut nous répondre sur ce point, et je répète que le fait de présenter cette mesure sous la forme d'une expérimentation est un leurre, pour ne pas dire un abus de confiance : si cette mesure devait entrer en vigueur sans aucune adaptation, elle aurait sans aucun doute vocation à être pérennisée au bout de deux ans.
M. Benoit, qui connaît bien les territoires ruraux, a exprimé le soutien de son groupe à notre proposition et je lui en suis reconnaissant. Il a, comme d'autres après lui, exprimé l'incongruité qu'il y a à s'entendre invité à ralentir sur un réseau national que l'État a « oublié » d'aménager pour que nous puissions y circuler à une vitesse raisonnable. À mon sens, il est même à craindre qu'on ne se trouve dans un cercle vicieux : si tout le monde considère aujourd'hui que quelques minutes sur un trajet n'ont pas d'importance, on peut penser que, demain, l'État ne sera pas très motivé pour investir dans la création d'un créneau de dépassement ne faisant gagner que quelques secondes aux automobilistes et ne présentant donc pas d'intérêt par rapport à l'investissement qu'il nécessite.
Je remercie également Thibaut Bazin, qui a évoqué la question essentielle des poids lourds. Je ne prétends pas être un expert en sécurité routière, j'essaie simplement de faire preuve de prudence quand j'utilise ma voiture et je ne suis pas à l'abri d'être un jour confronté à des difficultés sur la route. En tant que conducteur moyen, donc, j'estime qu'il y a de quoi être inquiet au vu de l'impréparation de cette mesure. Du jour au lendemain, tout le monde va se mettre à rouler à 80 kmh en toutes circonstances : les poids lourds comme les jeunes conducteurs – alors que ces derniers étaient jusqu'alors soumis à une période de probation –, par temps sec comme par temps de pluie. En effet, faire accepter la nouvelle limitation de vitesse étant déjà suffisamment périlleux en termes d'acceptabilité, le Gouvernement a décidé de ne pas s'embarrasser de fioritures et donc d'abandonner les exceptions qui existaient auparavant.
À compter du 1er juillet prochain, un jeune en conduite accompagnée, n'ayant que 80 heures d'expérience de conduite, pourra se retrouver coincé entre deux camions par temps de pluie, car il ne pourra pas dépasser. On risque de voir se multiplier des convois lents sur les routes, qui vont considérablement compliquer les conditions de dépassement.
La question n'est pas celle de la vitesse moyenne : ceux qui connaissent ce réseau savent que c'est une succession de zones sinueuses où l'on peut rouler à 50 kmh – il y a des zones limitées à 50 kmh sur la route nationale qui traverse le Cantal – et de portions rectilignes qui ne dépassent pas 500 mètres. Elles nous servent aujourd'hui à effacer les véhicules lents. Demain, si nous voulons respecter la nouvelle réglementation, elles ne pourront plus offrir ce service et nous devrons aller à la vitesse du véhicule lent jusqu'à la bretelle autoroutière. Pour éclairer le débat, d'Aurillac à l'autoroute A75 qui rejoint Clermont-Ferrand, la nouvelle capitale régionale – plus éloignée que la précédente, mais je n'ouvrirai pas ici ce débat – il y a quatre-vingt- trois kilomètres, que l'on parcourt en une heure quinze. J'habite à 110 kilomètres de la bretelle autoroutière : celui qui me promet la perte de seulement quelques poignées de secondes est invité à parcourir ce trajet avec moi.
M. Jean-Paul Dufrègne a lui aussi soutenu cette proposition, et je l'en remercie. Il a cité l'exemple de la route Centre-Europe Atlantique, qui illustre parfaitement la difficulté que nous pointons.
Monsieur Bernalicis, je vous ai écouté avec beaucoup d'attention. Vous avez proposé de recueillir un avis conforme du préfet. Cela viderait le texte de sa substance, car je souhaite précisément donner le pouvoir d'adaptation aux élus. Dans l'hypothèse où le Premier ministre prendrait un décret le 1er juillet, je vois mal comment un préfet satisferait avec enthousiasme aux desiderata de Vincent Descoeur en contrariant le Premier ministre.
Vous avez évoqué les statistiques, et je vous rejoins : il y aurait en effet des explorations à faire en la matière. Ainsi, les calculs effectués par un éminent Suédois n'ont pas été faits à l'époque des véhicules capables de se déformer sur un choc. Il faudrait réactualiser toutes ces données. Peut-être que M. Villani pourrait nous prêter main-forte, nous pourrions lui proposer de modéliser tout cela ! (Sourires.)
Madame Untermaier, je partage tous vos arguments sur le cas par cas, la pertinence, les études et les jeunes conducteurs. Tous ces points méritent une vraie réponse. On ne pourra pas simplement dire à nos concitoyens qu'ils pourraient relever du domaine réglementaire.
Madame Lorho, vous m'avez demandé d'aller vers plus de flexibilité. C'est l'esprit de ce texte, je n'étais pas loin de penser que nous aurions pu opter pour le maintien de la limitation à 90 kmh. Si je m'en tiens à la proposition qui vous est soumise, c'est pour qu'elle soit acceptable, mais je ne suis pas loin de partager votre point de vue.
M. Diard a rappelé que le Président de la République ne s'est jamais dit favorable à ce type de mesures. Sans ouvrir un débat politique, je rappellerai aussi que cette majorité est censée mettre en oeuvre ce qu'elle avait annoncé – discours tout à fait acceptable. Or, personne ne s'était trop avancé sur la réduction de la vitesse à 80 kmh – ce qui était d'ailleurs assez prudent à la veille d'échéances électorales.
M. Cinieri a défendu ses arguments de fort belle manière, et Fabrice Brun a brandi l'exemple de la RN 102. Je me demande si tout le monde n'aurait pas un axe dans sa circonscription pour faire la démonstration du bien-fondé de l'adaptation. Il est excellent de souligner que dans certains territoires, 100 % du réseau sera concerné, ce que nos concitoyens n'ont pas complètement compris. On continue à me demander si la nationale ou les départementales seront concernées, malgré la croisade dans laquelle je me suis lancé. Je crains l'effet de la publication du décret.
M. Viala a soulevé à juste titre la question de la communication. Le combat est déséquilibré : la campagne de communication à laquelle nous devons faire face, sans même évoquer la question de son coût, ne facilite pas l'exposé de nos motifs.
Je pense avoir répondu à M. Rebeyrotte sur la nature réglementaire des mesures. Je le répète une fois encore, je juge pertinentes les autres mesures proposées par le Gouvernement. Il n'y en a qu'une parmi les dix-sept qui me pose problème, c'est celle qui porte atteinte à la mobilité. Le Premier ministre avait utilisé l'argument du port obligatoire de la ceinture de sécurité pour me répondre lors des questions au Gouvernement, en rappelant que cette disposition aussi avait été impopulaire. Je suis d'accord, à la nuance près que lorsque l'Alsacien, le Cantalien ou le Corse ont bouclé leur ceinture, leur mobilité n'a pas été affectée. Ce n'est pas le cas avec cette mesure.
M. Schellenberger a apporté des arguments très forts sur la nature réglementaire de cette mesure. Il est vrai que le doggy bag ou les téléphones portables ont fait l'objet de textes de loi, on peut imaginer que la mobilité de nos concitoyens soit également abordée.
M. Jean-Jacques Gaultier, qui est très engagé sur cette question, a rappelé aux uns et aux autres qu'il fallait éviter la caricature.
Notre collègue Solignac a utilisé des termes forts. Il a cité le président Pompidou, ce qui ne peut pas laisser indifférent un Cantalien (Sourires), et il a très justement dit que le sujet mérite discussion. Comme l'a souligné Philippe Gosselin, si, au-delà du débat de juristes, nous ne saisissons pas de cette question, dont tout le monde s'est emparé, nous serions suspects de nous désintéresser des préoccupations de nos concitoyens.
M. Aurélien Pradié a abordé un thème très important : le lien entre l'efficacité et l'acceptabilité d'une mesure. C'est d'autant plus vrai en matière de sécurité routière. Si nous voulons que les résultats s'améliorent, il faut que tout le monde s'approprie les décisions prises. D'autres ont pointé du doigt la question de la répression et d'éventuels procès, ou les préoccupations budgétaires. Ce n'est pas anodin à l'heure où l'on envisage de privatiser un certain nombre de contrôles.
M. Pierre Morel-À-L'Huissier a évoqué la RN88, qui pourrait fédérer les interventions de tous les élus du Massif Central.
Et j'en termine par M. Masson, par qui j'avais commencé. Il a fait une référence très juste à l'expérimentation qui pourrait trouver là une traduction tout à fait concrète.
Voilà tout ce que je souhaitais dire en réaction à vos interventions, plutôt caractérisées par la modération, et très agréables à entendre s'agissant des soutiens.