Intervention de Brigitte Kuster

Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Kuster, rapporteure :

Je tiens en tout premier lieu à vous remercier de m'accueillir au sein de votre commission, ma commission d'origine étant la commission des Affaires culturelles. J'ai l'honneur de siéger parmi vous en tant que rapporteure de la proposition de résolution, déposée par le groupe Les Républicains, visant à la création d'une commission d'enquête relative à la lutte contre les groupuscules prônant la violence, un phénomène inquiétant qui s'est d'ailleurs particulièrement manifesté à la faveur des derniers mouvements sociaux, et qui, par son ampleur et les menaces qu'il fait peser sur la société, mérite, je crois, que nous, élus de la nation, nous y attardions et agissions en conséquence.

Comme vous le savez, une partie de notre jeunesse ne se reconnaît pas dans la politique ni dans la société dans laquelle elle vit. Elle ne se reconnaît pas dans la politique, du moins dans l'organisation politique telle qu'elle est définie par la Constitution de notre Ve République. Aucun parti concourant à l'expression du suffrage, selon les termes de l'article 4 de la Constitution, ne trouve grâce à ses yeux. Cette jeunesse rejette l'État, ses institutions et toute forme d'autorité qui s'y rapporte. À ses yeux, le débat démocratique est un outil de désinformation destiné à tromper le peuple, et les élections un moyen de domination et d'oppression.

Cette jeunesse ultra-politisée n'a qu'un seul recours pour parvenir à ses fins : la violence. Une violence que justifie, selon elle, ses buts politiques : abattre l'État capitaliste et parfois, pour certains, faire rempart à l'immigration. Par violence je ne veux pas uniquement parler d'attaques contre les symboles de la mondialisation ou du multiculturalisme, mais aussi contre des personnes, policiers et gendarmes en tête. Pour bon nombre d'activistes, notamment issus de l'ultragauche, l'hypothèse de tuer des policiers est même parfaitement assumée. Chacun garde en mémoire les images de policiers s'extrayant de leur voiture incendiée par des militants antifascistes le 18 mai 2016 à Paris. Loin d'être un fait isolé, cette agression illustre au contraire la détermination et le jusqu'au-boutisme qui anime ces groupuscules.

Cette jeunesse qui évolue aux extrêmes marges de la vie publique vient grossir les rangs de nébuleuses parfois anciennes et pour la plupart méconnues du grand public. Elles se dénomment anarchistes, antifas, MILI, Génération Ingouvernable pour l'ultragauche, Génération Identitaire, Bastion social, Troisième Voie, Œuvre Française pour l'ultradroite. Certaines ont été dissoutes, pour mieux réapparaître sous d'autres formes, qui sont rarement d'ailleurs des formes officielles. Leurs militants se déploient sur internet et les réseaux sociaux pour diffuser leurs mots d'ordre violents. Ils se singularisent par un vocabulaire et des codes qui n'appartiennent qu'à eux et qui s'inspirent souvent d'une littérature datée et érudite.

Combien sont-ils ? Difficile à dire avec précision : 2 000 activistes de part et d'autre, c'est le chiffre qui revient le plus souvent.

Mais il est impensable de devoir se résigner à voir ces groupuscules commettre lors de chaque manifestation ou mouvement social des dégradations toujours plus violentes, avec toutes les conséquences sur l'ordre républicain, mais aussi sur l'image de la capitale à l'étranger, car c'est bien souvent à Paris que ces violences ont lieu, sans parler de l'impact sur les commerces placés sur les axes concernés par ces différentes manifestations.

Les très graves débordements survenus lors du défilé du 1er mai dernier à Paris sont d'ailleurs là pour rappeler la montée en puissance de ces groupuscules. Ce sont 1 200 Black Blocs qui ont infiltré le cortège et se sont livrés à des violences inadmissibles. De l'aveu même du ministre de l'intérieur, ils étaient deux fois plus nombreux que prévu. « Du jamais vu », a même affirmé un syndicaliste policier. Et il a fallu le sang-froid et le professionnalisme des forces de l'ordre pour parvenir à limiter autant que possible les dégâts humains et matériels.

Comment expliquer une telle recrudescence et pourquoi n'a-t-on pas su l'anticiper ? Comment autant d'activistes vêtus de noir, cagoulés et munis de marteaux et d'engins incendiaires ont-ils pu intégrer aussi facilement le cortège de tête ? Les Français, que ces déchaînements de violence laissent à chaque fois médusés, se posent à raison toutes ces questions. Mais les gouvernants d'hier et d'aujourd'hui semblent incapables de trouver la parade. Ils donnent surtout l'impression de gérer au plus pressé, avec une obsession bien légitime en tête : éviter des blessés, voire des morts, parmi les manifestants et les forces de l'ordre.

À chaque fois, les mêmes polémiques agitent le débat public : comment cela a-t-il était possible ? Les pouvoirs publics ont-ils fait le nécessaire ? Doit-on dissoudre ces groupuscules violents ? Mais comment dissoudre ceux qui, pour certains, n'ont pas d'existence légale ? Aurait-il fallu maintenir l'état d'urgence, qui à l'évidence permettrait un encadrement plus strict des manifestations ? Et chaque fois le soufflé médiatique finit par retomber avant qu'une réponse valable ait été trouvée.

L'enjeu de cette commission d'enquête est précisément de répondre à toutes ces interrogations, un travail qui doit, à mes yeux, éviter plusieurs écueils. D'abord, notre rôle n'est pas de nous substituer à la justice dans l'établissement des faits survenus le 1er mai ou lors de tout autre événement violent récent. Les procédures judiciaires en cours doivent aller à leur terme sans que le Parlement interfère.

De plus, cette commission d'enquête ne doit pas se borner aux questions du maintien de l'ordre. Des dizaines de rapports existent déjà sur le sujet. Elle doit essayer de comprendre l'origine de cette radicalité politique, de gauche comme de droite, et d'en percer les motivations profondes.

Ensuite, il faut éviter les procès ad hominem. Il ne s'agit pas de juger l'action du ministre de l'intérieur, comme j'ai pu le voir dans la presse récemment par l'un des parlementaires du groupe de la majorité. Si l'on s'en tient aux quinze dernières années, des événements de nature équivalente se sont déroulées sans que l'action des exécutifs successifs ait permis d'enrayer le phénomène. Nul n'est ici mieux placé qu'un autre pour donner des leçons.

L'enjeu, mes chers collègues, est de dépasser nos différences pour mieux comprendre un phénomène en plein essor et de trouver les solutions pour le combattre efficacement. C'est la démarche que je vous propose.

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