Il me revient la charge et l'honneur de rapporter le troisième texte de cette matinée, et je souhaite en premier lieu vous dire un mot du contexte dans lequel s'inscrit la procédure que nous avons à avaliser aujourd'hui.
Ce projet de loi ratifie une ordonnance. Ce n'est pas aussi banal qu'on pourrait le penser, car c'est une ordonnance au titre de l'article 74-1 de la Constitution, et le Parlement n'en examinera pas beaucoup au cours de cette législature : c'est en effet un instrument juridique qui, en termes de temps, présente un petit avantage et un gros inconvénient.
L'avantage, c'est que le Gouvernement peut publier une ordonnance de ce type sans habilitation du Parlement, du moment qu'elle ne concerne que des adaptations du droit commun aux spécificités des collectivités d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie. L'inconvénient, c'est que l'ordonnance devient caduque dix-huit mois après sa publication si elle n'a pas été ratifiée. La procédure s'achève donc dans une forme de course contre la montre.
C'est précisément la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui, puisque l'ordonnance en question, qui porte sur le droit de la concurrence en Polynésie française, a été prise le 9 février 2017. Les plus agiles parmi vous en mathématiques en auront déduit que la ratification doit être promulguée avant le 10 août prochain. Je coupe donc court à tout suspense en recommandant instamment un vote positif de la Commission ce matin, et de l'Assemblée nationale dans quelques semaines.
L'ordonnance dont il est question porte sur le droit de la concurrence, ou plutôt sur une partie du droit de la concurrence en Polynésie française. En effet, le statut organique de ce territoire lui donne compétence pour régir cette matière de façon autonome. Les autorités polynésiennes s'en sont saisies, puisqu'une loi du pays du 25 février 2015 a créé un code local de la concurrence et institué une Autorité polynésienne de la concurrence (APC) afin de le faire respecter.
Je précise tout de suite, pour prévenir d'éventuelles polémiques, que ce code local de la concurrence fait actuellement l'objet d'une réforme. L'un des objectifs poursuivis consiste à retirer certains pouvoirs très forts qui avaient été attribués à l'APC, notamment l'injonction structurelle qui permet d'imposer la vente d'une partie de ses installations ou de ses droits à un acteur en position dominante sur un marché. Le Sénat a été assez surpris de cette initiative. Pour ma part, je me bornerai à une position de principe : on décentralise ou on ne décentralise pas. À partir du moment où la France a fait le choix de faire confiance à ses territoires, ici ultramarins, ce n'est pas pour que des institutions au niveau central viennent remettre en cause les appréciations portées au niveau local. Les Polynésiens décident pour eux ; ce qu'ils décident est bien décidé.
Vous vous demanderez alors : pourquoi une ordonnance prise par l'État si la Polynésie est compétente ? Parce que l'enquête et la répression des infractions au droit de la concurrence, puisqu'elles concernent les libertés publiques et le droit pénal, sont pour leur part demeurées une compétence de l'État. Nous venons donc en complément de ce qu'a fait la loi du pays, pour permettre à l'APC de disposer de facultés comparables à celles de l'Autorité de la concurrence nationale.
Le Sénat s'est déjà saisi de ce texte, qui ne comportait à l'origine qu'un seul article. Il a évidemment approuvé le principe d'une ratification, mais a ajouté deux articles additionnels.
Le premier ajout, l'article 2, découle d'une réaction d'humeur, à mon sens parfaitement compréhensible. En effet, pour s'appliquer correctement, la procédure contentieuse prévue par l'ordonnance renvoie à un décret. Celui-ci, depuis la publication de l'ordonnance, n'a toujours pas été pris par le Gouvernement. Le Sénat en a pris ombrage. Il a constaté que certaines dispositions manquantes, comme les délais de recours ou la compétence juridictionnelle de la cour d'appel de Paris, figuraient déjà dans la loi pour ce qui concerne la procédure très voisine applicable en Nouvelle-Calédonie. Les sénateurs ont donc décidé d'inclure dans la loi, sans attendre le règlement, les dispositions applicables pour la Polynésie. Le Gouvernement en a pris acte. Je vous proposerai de faire de même et de n'apporter à l'article 2 qu'une modification légistique.
Le second ajout, l'article 3, fait suite à une recommandation de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), qui surveille les déclarations d'intérêts et de situation patrimoniale des élus et des politiques, mais aussi celles des membres et des agents les plus haut placés des autorités administratives indépendantes. La raison est évidente : quand on régule un secteur, on doit être transparent sur ses liens éventuels avec les acteurs dudit secteur. Or, si l'autorité nationale de la concurrence figure bien dans le périmètre de surveillance de la HATVP, les autorités calédonienne et polynésienne ont été oubliées.
Le Sénat a voulu rectifier cette erreur en soumettant au contrôle de la HATVP les membres du collège de ces autorités, ainsi que les directeurs généraux, secrétaires généraux et leurs adjoints. Je précise que les présidents des deux autorités se sont montrés très favorables à cette initiative. Seul problème : il n'existe pas actuellement dans les deux autorités concernées de directeur général mais un rapporteur général nanti de pouvoirs appréciables, comme la possibilité de lever ou de maintenir le secret des affaires dans les affaires qu'il instruit. Ne pas le mentionner est problématique : la violation des obligations auprès de la HATVP est pénalement sanctionnée, or le droit pénal s'interprète strictement. Je vous proposerai donc d'ajouter cette référence aux rapporteurs généraux.
Enfin, j'ai déposé un amendement identique à celui de nos collègues calédoniens et de leur groupe pour que ce projet de loi répare une imperfection. Depuis 2009, le législateur n'a pas étendu à la Calédonie les nouvelles techniques d'enquête de concurrence dont bénéficient l'autorité nationale et l'autorité polynésienne. Il s'agit notamment de prendre en compte les évolutions technologiques en matière d'enquête sur internet, ou encore d'autoriser le recours à une identité d'emprunt. Nous établissons ainsi un parallélisme de forme déjà utilisé à l'alinéa 2 de l'article 3 par le Sénat, qui a inclus dans l'obligation de déclaration de patrimoine et d'intérêts aussi bien l'autorité de Polynésie française que celle de la Nouvelle-Calédonie.
Les entretiens que j'ai menés me laissent penser que ce projet de loi ne soulève pas de difficulté. Je vous invite donc à le soutenir.