Intervention de Christophe Arend

Réunion du mardi 12 juin 2018 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Arend, rapporteur pour avis :

Je suis ravi de vous présenter nos travaux relatifs à l'article 2 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, dont notre commission s'est saisie pour avis.

Je tiens à remercier tous les intervenants, les administrateurs de l'Assemblée et leurs équipes, et vous, chers collègues, pour votre implication et votre engagement en faveur de la protection de notre environnement et de l'avenir de nos enfants.

À travers ce projet de loi, le Gouvernement a pour ambition de rénover le fonctionnement de notre démocratie en la rendant plus représentative, plus responsable et plus efficace. Cette demande d'efficience, voulue par les citoyens, doit passer par une réforme des institutions afin de leur redonner la force nécessaire pour que la République puisse faire face aux nombreux défis qui s'imposent à elle. Réviser la Constitution de 1958 n'est pas un acte anodin et nous confère une importante responsabilité. C'est le symbole d'une volonté d'adaptation de ce texte historique à l'évolution de notre monde en mouvement. Bien évidemment, cette nécessaire transformation ne doit pas se faire tous azimuts, c'est pourquoi j'ai tenu à garder « l'esprit de 1958 » tout au long des auditions.

Aujourd'hui, à l'ère de l'Anthropocène, est-il nécessaire de rappeler que nous assistons à la sixième extinction de masse, situation que la Terre n'a pas connue depuis plus de 66 millions d'années ? Et que dans 30 ans, 50 % de la biodiversité aura disparu ? Que 10 000 à 20 000 îles pourraient être englouties totalement au cours du siècle, sans compter les dégâts sur les villes construites sous le niveau de la mer ? Que 100 millions de personnes risquent de basculer dans l'extrême pauvreté si nous n'agissons pas ? Nous avons un impératif à agir et à changer notre comportement : personne ne peut le nier au XXIe siècle.

Parmi les réponses apportées à ces dérèglements de la planète ainsi qu'à la fragilité des écosystèmes, le Gouvernement a décidé de faire de « l'action contre les changements climatiques » son cheval de bataille. Le Gouvernement, par l'article 2 du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, a la volonté d'inscrire au plus haut niveau normatif l'enjeu majeur qu'est le climat. Cette ambition s'inscrit dans la continuité de l'Accord de Paris, adopté à la suite de la COP 21 le 12 décembre 2015. Face à l'urgence climatique, hisser cet objectif au rang constitutionnel constitue un symbole fort. Mais, plus qu'un simple symbole, le Gouvernement souhaite par cet article confier au législateur la responsabilité de définir les principes fondamentaux de l'action contre les changements climatiques.

L'article 2 du projet de loi inscrit cette mesure à l'article 34 de la Constitution. Cet article définit le domaine de la loi, innovation de la Ve République : alors qu'avant 1958, le champ de compétence du législateur était illimité, l'article 34 définit certains domaines relevant de la compétence du Parlement. Parallèlement, l'article 37 de la Constitution dispose que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».

Au cours des dix-sept auditions menées, les spécialistes – juristes, scientifiques, organisations non gouvernementales, associations de protection de l'environnement – ont soulevé certains problèmes que peut poser cette inscription de l'action contre les changements climatiques dans le domaine de la loi. Il semble en effet que l'article 34 de notre Constitution ne soit pas l'endroit le plus adéquat pour inscrire l'action contre les changements climatiques. De plus, la rédaction actuelle de l'article 2 du projet de loi constitutionnelle n'engloberait pas la diversité des problématiques environnementales.

Tout d'abord, l'article 34 de la Constitution ne fait que répartir les compétences entre pouvoir législatif et pouvoir réglementaire, il ne détermine pas les principes de notre République. Dès lors, cette inscription à l'article 34 n'a pas de caractère obligatoire à l'encontre du Parlement. De plus, la préservation de l'environnement fait partie, depuis la révision constitutionnelle de 2005, du domaine de la loi. Le climat étant une composante de l'environnement, il fait donc, de fait, déjà partie des domaines pour lesquels le législateur est compétent.

Ensuite, la rédaction actuelle de l'article 2 du projet de loi, en distinguant la composante climatique de l'environnement, pose une difficulté de compréhension scientifique. Cela revient à s'interroger sur le rôle des changements climatiques dans la destruction de la biodiversité. Les changements climatiques ne sont pas une cause, mais une conséquence d'autres perturbations environnementales plus larges. L'accroissement des gaz à effet de serre engendre une hausse des températures, qui est alors responsable des « changements climatiques » ayant des conséquences sur la destruction de la biodiversité. Cette destruction et cette perturbation provoquent elles-mêmes une hausse des émissions de gaz effet de serre. Il s'agit là d'un cercle vicieux, et il est difficile d'affirmer que les changements climatiques doivent être considérés isolément par rapport à d'autres perturbateurs de nos écosystèmes.

De plus, la distinction entre le climat et les autres notions regroupées au sein de celle d'environnement risque d'entraîner certains effets contreproductifs. Elle est contradictoire avec une vision globale de la protection de l'environnement, car elle accorde une place prépondérante à sa dimension climatique. Je ne prendrai qu'un exemple pour illustrer cela, celui des activités de pêche électrique, réalisées par des chalutiers équipés de filets électrifiés – les chaluts à impulsion – qui envoient des décharges électriques par le biais d'électrodes placées sur les filets. Ainsi, les poissons sont paralysés et remontent à la surface. Si une telle méthode de pêche est efficace et réduit l'empreinte carbone des chalutiers, car ils consomment alors moins de carburant, elle est en revanche désastreuse pour la préservation des écosystèmes des fonds marins.

Cet exemple montre bien qu'il est impossible de raisonner de façon cloisonnée pour protéger l'environnement, car ici la réduction des émissions de gaz à effet de serre va de pair avec une destruction de la biodiversité. C'est d'ailleurs ce qu'ont rappelé les scientifiques du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, le GIEC, lors des auditions menées.

Je suis intimement convaincu que l'environnement ne peut être compris que dans sa globalité. Aussi, une inscription de la préservation de l'environnement à l'article 1er de notre loi fondamentale, qui affirme certains grands principes de notre République, aurait une portée, symbolique comme juridique, plus importante. C'est la conclusion à laquelle je suis parvenu, grâce aux éclairages apportés par les experts.

Cependant, en raison de l'urgence climatique, je suis conscient de la nécessité d'inscrire l'action contre les changements climatiques dans la Constitution. Cela semble d'autant plus nécessaire que la Charte de l'environnement de 2004, qui fait partie du bloc de constitutionnalité, ne fait aucune mention de la question climatique. Aussi, un moyen d'y faire figurer cette urgence climatique serait d'intégrer cet enjeu parmi les considérants de la Charte, sans toutefois modifier le corps des articles. En effet, cette Charte est historiquement datée, au même titre que le sont la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ou le préambule de la Constitution de 1946. Modifier ces grands principes ne paraît dès lors pas opportun. Elle n'est pas le support adéquat pour évoquer le bien-être animal, notion qui fait de plus l'objet interprétations subjectives ; ce qui soulève d'importantes questions sur la portée juridique de la constitutionnalisation de cette notion.

Pour conclure, au regard de l'importance des enjeux climatiques et plus largement de la question environnementale, il semble nécessaire d'envoyer un signal fort en inscrivant à l'article 1er de la Constitution que la République assure la préservation de l'environnement. Outre le caractère symbolique de cette mesure, cela permettrait au juge constitutionnel de se saisir plus facilement de la question environnementale. Cela garantirait alors que notre action s'inscrit toujours dans un objectif de préservation de l'environnement.

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