La majorité parlementaire confirme la remarque du jeune Tancrède à son oncle Fabricio dans Le Guépard : « Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change. Est-ce clair ? ». Que tout change pour que rien ne change, car, une fois encore, une révision constitutionnelle est en cours, sans que le peuple soit consulté d'aucune manière.
C'est déjà la vingt-quatrième fois, ce qui devrait faire réfléchir quand on entend vanter la prétendue stabilité de la Ve République. Qui plus est, plus de la moitié de ces révisions – quatorze – sont intervenues au cours des vingt dernières années. Il y a deux manières d'interpréter cette accélération : certains considèrent que notre Constitution parvient ainsi à s'adapter à notre époque et aux défis particuliers qu'elle pose, d'autres, dont les membres du groupe La France Insoumise, pensent plutôt qu'elle prend l'eau de toute part et que ces tentatives de la rafistoler sont vouées à l'échec.
Pourquoi s'obstiner à modifier la Constitution par à-coups alors que tout, dans la situation politique de notre pays, montre que le peuple doit se saisir de nouveau de son pouvoir le plus fondamental : le pouvoir constituant ? Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons donner au pays un nouveau cadre politique et démocratique, où l'égalité et la confiance régiraient les rapports entre représentants et représentés.
Je ne pouvais ainsi pas commencer cette intervention sans rappeler ce qui est pour nous un principe politique fondamental : il faut convoquer une assemblée constituante qui prépare la constitution de la VIe République. Il n'y a aucune autre solution viable pour que la communauté politique s'articule au mieux avec les exigences de notre temps.
Pourtant, l'exposé des motifs du projet de loi présente l'enjeu écologique en ces termes : « Nous devons aussi faire face à de nouveaux défis, notamment le changement climatique, nos institutions doivent permettent de répondre à ces enjeux ». Pourquoi pas ? Nous pourrions vous suivre sur le constat, car vous avez piqué notre curiosité. Mais l'article 2 de votre projet de révision modifie l'article 34 de la Constitution, qui s'écrirait ainsi : « La loi détermine les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement et de l'action contre les changements climatiques ». Bref, vous ajoutez simplement la mention du changement climatique.
Le fossé qui sépare les objectifs énoncés dans l'exposé des motifs et cette modification est béant ! Le Conseil d'État reconnaît d'ailleurs, dans un avis publié le 11 mai, que cette modification aura sans doute peu de portée sur les compétences respectives des pouvoirs réglementaire et législatif. Rien de nouveau sous le soleil donc, car inscrire uniquement le climat dans la Constitution masquera les enjeux écologiques globaux. Il y a en effet un risque d'effet pervers si le seul climat est pris en compte.
C'est précisément au nom du seul climat que la pêche électrique a été autorisée par les Pays-Bas, car elle émettait moins de gaz à effet de serre. C'est aussi au nom du climat que le Gouvernement actuel propose de continuer encore et toujours le nucléaire. Pour notre part, nous proposons une règle verte comme principe directeur de la VIe République que nous appelons de nos voeux : notre société doit se donner pour priorité de ne pas prélever davantage de ressources naturelles qu'elle n'est capable d'en restituer. C'est un horizon politique majeur qui doit être inscrit dans la Constitution ; la seule manière de prendre en compte les limites planétaires, la finitude des ressources, et d'organiser la rupture nécessaire avec notre système de production et de consommation. Être écologiste est une obligation morale et politique à l'heure où l'extinction des espèces risque d'emporter l'humanité avec elle. C'est une occasion de transformer nos modes de vie pour imaginer les conditions d'une vie collective heureuse, qui permettra l'émancipation de tous.
Ce dont j'essaie de vous convaincre depuis le début de cette législature, c'est que la question écologique ne saurait être traitée comme un sujet secondaire. Le changement climatique ne constitue pas un défi parmi d'autres, il est le premier d'entre eux ; celui qui les commande tous et doit nous pousser à réorganiser l'action publique et refonder nos modes de vie. C'est dans ce sens ce que nous proposons une planification écologique concertée, l'inscription constitutionnelle de la règle verte, la constitutionnalisation des biens communs. Enfin, le droit de propriété doit être soumis à l'intérêt général posé par l'enjeu écologique.
Cela peut vous sembler beaucoup, mais vous l'aurez compris : avec nous, le changement sera autrement tangible que celui prôné par l'ambitieux neveu imaginé par Giuseppe Tomasi di Lampedusa ou par ses avatars historiques.