Intervention de Damien Adam

Réunion du mardi 12 juin 2018 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Adam :

Si la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 fait de la propriété un droit inviolable et sacré, la médiatisation récurrente, ces dernières années, de faits divers opposant des propriétaires aux squatteurs qui occupent leur logement conduit à s'interroger légitimement sur l'adaptation de notre cadre juridique actuel à ces situations, a fortiori lorsqu'on en vient à penser que la loi est du côté des squatteurs. On ne peut en effet qu'être choqué par le cas de ces personnes modestes ou fragiles, souvent âgées, qui, de retour d'un déplacement ou d'une hospitalisation, constatent que leur domicile est occupé illicitement.

Il faut cependant distinguer deux cas de figure : l'occupation du domicile – le logement principal, que l'on habite – et l'occupation de la propriété, au sens général du terme, qui peut aussi bien désigner un logement vacant, non meublé, un atelier, un bureau, voire un terrain.

Dans le cas de l'occupation d'un domicile, il faut se reporter à une disposition de l'article 38 de la loi DALO et au code pénal. La procédure de l'article 38 de la loi DALO n'est pas concernée par le délai de quarante-huit heures aux termes desquelles le flagrant délit n'est plus possible. Elle s'applique sans condition de délai et permet au préfet de recourir à l'exécution forcée. Trois conditions doivent néanmoins être réunies, avant que le préfet prenne la décision d'expulsion : le propriétaire doit avoir déposé plainte ; il doit avoir fourni la preuve que le logement était son domicile et il doit enfin avoir fait constater l'occupation illicite, par un officier de police judiciaire.

Si le bien immobilier occupé n'est pas le domicile du propriétaire, l'intervention des forces de l'ordre n'est possible que dans un délai de quarante-huit heures, qui correspond à la notion de flagrance. Passé ce délai, il est nécessaire d'engager une action en justice, laquelle peut s'étirer sur une période allant jusqu'à dix-huit mois.

Aller devant les tribunaux, n'est pas anodin, surtout pour une personne âgée qui vient de découvrir son bien occupé. Des situations très médiatisées ont ému l'opinion. Ainsi, le cas de cette dame de quatre-vingt-trois ans, – l'affaire « Maryvonne » –, à qui il a fallu dix-huit mois de procédure pour récupérer son logement, ou celui de ce propriétaire de Garges-lès-Gonesse, que les jeunes du quartier ont aidé à déloger une famille de Roms qui s'étaient installés chez lui. Dans ce dernier cas, il n'y a pas eu d'action en justice, et il ne s'agissait pas d'un domicile principal.

On est dès lors en droit de s'interroger : la propriété est-elle véritablement protégée ? Pour tenter de répondre à cette question, une proposition de loi venant du Sénat a été adoptée en juin 2015. Elle modifiait l'article 226-4 du code pénal pour sanctionner, d'une part, l'introduction et, d'autre part, le maintien dans les lieux. Cette loi visait notamment à consacrer le caractère continu du délit d'infraction et de violation de domicile, afin de faire courir le délai de quarante-huit heures à partir de la découverte par le propriétaire de l'occupation illégale de son bien et non à partir du moment de l'intrusion.

Si les motifs soulevés par la proposition de loi que nous examinons sont légitimes, elle pose cependant plusieurs problèmes de nature juridique, et les réponses qu'elle propose nous paraissent excessives.

D'abord, elle vise à étendre la procédure d'occupation illégale d'un domicile à tout bien immobilier. Cette mesure nous semble disproportionnée, car la notion de bien immobilier renvoie aussi bien au logement habité qu'aux logements vacants, aux ateliers, bureaux ou terrains. Cette modification met donc en cause l'équilibre entre le droit de propriété et le droit au logement. Elle risque de pénaliser les personnes les plus précaires, qui éprouvent des difficultés à se loger.

Par ailleurs, l'article 2 prive les personnes déjà condamnées pour occupation d'un bien sans droit ni titre du bénéfice du dispositif du DALO, ce qui nous semble également contre-productif, dans la mesure où cela ne fera que renforcer, en les pérennisant, les difficultés qu'éprouvent certaines personnes à se loger.

L'article 5 donne ensuite la possibilité au préfet d'ordonner une expulsion sans passer par une décision de justice, principe fondamental de notre droit. Des personnes pourraient ainsi se voir expulser sans qu'un juge ne soit intervenu. Par ailleurs, la proposition de loi renverse la charge de la preuve et bouleverse la présomption de culpabilité, ce qui pose un problème constitutionnel.

Enfin, l'article 6 risque de mettre en difficulté les personnes hébergées à titre gratuit, qui pourraient se faire déloger sans possibilité de recours.

Il n'en reste pas moins que ce texte se fait l'écho d'inquiétudes légitimes de nos concitoyens. En lien avec le ministère et conformément aux engagements du ministre Jacques Mézard lors de l'examen de la loi ELAN, je vous propose donc de retravailler sur des propositions qui, si nous allons vite, pourraient être intégrées au projet de loi ELAN avant son examen par le Sénat, dans quelques jours. Cela permettrait une mise en oeuvre rapide de ces dispositions, alors que nous ignorons quand cette proposition de loi pourra être inscrite à l'ordre du jour du Sénat.

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