Intervention de Gilles Pécout

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 10h00
Commission des affaires européennes

Gilles Pécout, recteur de l'Académie de Paris, membre du groupe de travail franco-italien sur le traité du Quirinal :

Il me revient après que mon collègue et ami Marc Lazar a analysé la situation actuelle d'aborder la question des relations franco-italiennes à travers l'entreprise du Traité du Quirinal dont je suis l'un des trois rédacteurs français avec l'ancienne ministre des Armées, Sylvie Goulard, et le président de Business France Pascal Cagni, tous trois nommés à cette mission par le président de la République au début de l'année 2018. Cette mission s'inscrit dans le temps court comme dans un temps historique plus long. Le temps court du Traité du Quirinal nous ramène au dernier sommet franco-italien de Lyon, le 27 septembre dernier au cours duquel notre Président a proposé au président du conseil l'idée d'un Traité de coopération renforcée franco-italien, à élaborer et conclure idéalement pour le prochain sommet, à l'automne 2018. L'annonce de ce Traité a suivi d'un jour le discours de la Sorbonne où l'Italie figurait parmi les pays mentionnés. Il me semble important de rappeler le contexte européen qui est aussi au coeur de la réflexion franco-italienne du chef de l'État français et qui est pour nous un engagement clair à penser le bilatéral dans une perspective multilatérale, européenne et même de refondation européiste. C'est une direction essentielle de notre travail sur le Traité et qui a été dès l'abord explicitement intégrée par notre groupe sous l'impulsion notamment de Sylvie Goulard, forte de son expérience européenne et franco-allemande en même temps que franco-italienne. Le contexte du discours de la Sorbonne éclaire également la place qui est réservée dans la lettre de mission à la jeunesse, à l'éducation et à la recherche qui sont les domaines qui, avec la question méditerranéenne, m'ont été plus spécifiquement confiés dans la réflexion préalable.

S'agissant du temps long, je me limiterai à deux observations pour dire la centralité et parfois même la résilience historique des rapports culturels entre France et Italie : en premier lieu, même en temps de crise franco-italienne, les rapports culturels, et universitaires entre les deux pays ont toujours résisté. Je suis tenté comme historien du XIXe de remonter à ce siècle qui donne sens aux relations franco-italiennes et à un tracé qui n'est pas toujours linéaire. Je me contenterai de citer le maintien des relations éditoriales et scientifiques au pire moment de la fameuse guerre douanière franco-italienne des années 1880 alors que l'Italie de Crispi est gallophobe et qu'une partie de l'opinion française est hostile aux Italiens. Ces tensions n'ont pas empêché l'essor de la langue italienne, la création de l'agrégation d'italien en France et la diffusion du livre français en Italie. Je retiens donc simplement de l'histoire l'idée que la coopération culturelle et universitaire peut être un élément de stabilisation sinon de remédiation. Plus récemment, après la seconde guerre mondiale, c'est un accord sur la culture, l'accord de novembre 1949, complété et intensifié par le programme exécutif culturel de juillet 1996 qui a servi de matrice à la reconstruction des relations franco-italiennes.

Ce rappel du primat du culturel dans nos relations est nécessaire mais je mesure aussi qu'il peut être dangereux en laissant penser que tout ce qui relève de la relation franco-italienne est culturel ou lié aux savoirs et aux arts alors que les relations géopolitiques structurées et surtout les relations économiques sérieuses caractériseraient les rapports de la France avec d'autres pays, et notamment le binôme franco-allemand.

Le Traité du Quirinal entend justement éviter cette forme d'exclusive et de pensée de la culture par défaut. La lettre de mission du Président Macron est en effet claire à ce propos. Elle mentionne deux domaines structurants pour l'avenir de la relation entre la France et l'Italie : les questions liées à nos coopérations économiques, industrielles et d'innovation et celles relatives à l'éducation, à 1a culture, à la recherche et l'enseignement supérieur.

Tel est le contexte dans lequel s'est déployé le travail sur le Traité dont je vais maintenant résumer – au nom du groupe – les principales ambitions et directions.

L'ambition maîtresse est le renforcement des coopérations. Nous ne sommes donc pas initialement dans une logique de remédiation – comme celle du Traité franco-allemand de l'Élysée de 1963 – en tout cas nous n'y étions pas en janvier-février dernier quand le groupe de travail a été nommé. Ce renforcement s'organise autour de trois objectifs solidaires :

- la hiérarchisation de l'existant : il y a déjà beaucoup de choses et il s'agira de mettre en évidence ce qui mérite d'être conservé et renforcé ;

- la définition de solutions à des questions considérées comme en suspens, voire comme urticantes en commençant par des questions ponctuelles et techniques dans un certain nombre de secteurs, par exemple, dans le domaine de la coopération universitaire et des diplômes ;

- la proposition de méthodes nouvelles de travail, et ultérieurement de relations, qui combinent la coopération institutionnelle au sommet de l'exécutif et du législatif, une coopération des administrations nationales en lien avec l'administration européenne avec des formations communes et des échanges, et enfin et surtout une implication des sociétés civiles.

Au total, il est possible de donner une dimension sociale affirmée à la relation bilatérale permettant de lutter contre la précarité, contre la partition socio-culturelle, contre le sentiment d'abandon ou de surexploitation de certains territoires qui nourrit les deux populismes : celui des contribuables comme celui des ayants droit. Ce faisant, l'on se situe au coeur de la volonté de l'exécutif français, qui entend favoriser la participation de la société civile et au coeur d'une aspiration importante et historique de la société italienne. Le grand juriste, ancien ministre et juge de la cour constitutionnelle Sabino Cassese écrit ainsi qu'il y a en Italie une aspiration à la vie associative qui détermine l'espace d'autonomie de la société civile même pour concourir à la volonté étatique. Mais dans le même temps, il explique qu'il y a, dans les invariants du système italien, une rupture de plus en plus prononcée entre pays réel et pays légal lié à un constitutionnalisme faible.

Les six membres du Groupe du Quirinal dont nous faisons partie, le trinôme français et le trinôme italien (les anciens ministres Franco Bassanini, Paola Severino et le haut fonctionnaire européen Marco Piantini) veulent inscrire leur travail dans une double logique : sur la base de principes généraux qui font du bilatéral un instrument de renforcement de l'Europe, d'une Europe attractive qui concilie les impératifs de compétitivité de la vie économique et le social notamment autour de la formation et de la jeunesse, nous travaillons dans une optique qui n'est pas exhaustive et n'entendons pas faire un traité sédimentaire juxtaposant tous les aspects. Nous identifions donc quelques secteurs clé de coopération que nous assortissons d'objectifs cibles concrets et précis réalisables et impliquant la société civile. Cette combinaison de principes, de secteurs et d'objectifs précis a déjà fait l'objet d'un premier rapport remis au Président de la République.

Ce rapport évoque, au titre des champs de coopération, le volet formation, éducation recherche qui privilégie l'apprentissage et les échanges linguistiques, la mobilité à tous les niveaux, la formation professionnelle (en adéquation avec la transformation de la voie professionnelle portée par le ministre Blanquer) et l'identification de parcours mémoriaux communs, ainsi que la formation d'un véritable espace culturel commun euroméditerranéen lié à l'accès facilité au patrimoine, à la formation artistique et patrimoniale commune, au partage audiovisuel et au développement de cultures de l'engagement citoyen et européen. Il porte également sur la croissance économique durable et équitable, la préservation de la qualité de la vie et l'inclusion sociale. Sans entrer dans le détail, on mesure la richesse des pistes franco-italiennes communes. Ces pistes ont vocation à croiser des pistes européennes. Les campus franco-italiens ou euroméditerranéens seront l'un des points d'ancrage des universités européennes lancées en septembre 2017 par le président de la République et portées par la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, Frédérique Vidal.

Bien évidemment ces pistes n'ont de sens que si elles sont confirmées par notre exécutif et par celui des Italiens. Je précise que notre réflexion est réfractaire aux réflexes nationalistes. À ce niveau, je n'ai pas vocation d'en dire plus.

La lettre de mission des deux présidents évoque le « futur Traité du Quirinal » du nom du siège de la présidence de la République italienne – ancien palais des papes et de la dynastie piémontaise. Or la situation italienne des deux derniers mois a confirmé la solidité institutionnelle autour du pouvoir réel du chef de l'État dont le septennat de M. Giorgio Napolitano avait en son temps déjà donné la preuve.

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