Concernant la situation italienne actuelle et son rapport à l'Europe, je souhaiterais faire deux remarques. Tout d'abord, on peut s'interroger sur la légitimité accordée à un contrat de gouvernement dès lors qu'un verdict démocratique a été obtenu. Le contrat de gouvernement n'est-il pas essentiellement un programme électoral, un contrat de rassemblement de forces à l'origine hétérogènes ? La vraie question est donc la suivante : quel crédit la classe dirigeante actuelle, y compris l'exécutif, accorde-t-elle à un texte de rassemblement électoral, peu européiste, dès lors qu'elle passe de la posture électorale à la posture de gouvernement ? Ensuite, je pense, comme Pierre Moscovici, qu'il faut attendre la présentation du budget italien, prévue à la mi-octobre 2018, pour avoir des indications précises sur l'orientation réelle de l'Italie vis-à-vis de l'Europe. C'est à ce moment que l'on verra si ce budget est en conformité avec un contrat de gouvernement et s'il permet des négociations avec Bruxelles.
Concernant la situation interne, l'Italie exprime un besoin de réforme électorale. Depuis 1848, l'Italie a connu quinze lois électorales, ce qui est considérable alors même que le pays n'a eu qu'une seule constitution. Cela signifie que, face à un constitutionnalisme faible, le verdict du suffrage universel ou le verdict législatif reste nécessaire pour justifier des formes d'évolution politique. Ce besoin cyclique de grandes lois électorales traduit en fait une instabilité fondamentale de la vie politique italienne. La classe politique va être confrontée à deux problèmes : comment faire converger une classe politique et un électorat populiste antipolitique qui refuse les règles de légitimation de la vie politique traditionnelle et comment réaliser la cohésion nationale ? Au début des années 2000, le Président Giorgio Napolitano avait réussi à mobiliser de façon populaire l'opinion du pays autour des grands thèmes d'intégration nationale. Actuellement, arrivent au pouvoir des forces politiques qui ont un rapport différent à la nation. La Ligue a porté un discours hostile à l'unité nationale. Quant au Mouvement 5 étoiles, antipolitique, je pense qu'il va probablement devenir un parti politique, voire technocratique.
Concernant le traité du Quirinal, je ne peux pas vous apporter de réponse à la question de savoir si les engagements précédents vont être maintenus. Nous dépendons d'une lettre de mission du Président de la République. Le rapport intermédiaire a été transmis au Président du Conseil ainsi qu'au Président de la République italiens. Nous continuons à travailler d'arrache-pied avec le trinôme italien actuellement en place.
Enfin, s'agissant de la question du projet Turin-Lyon, je compléterai la réponse de Marc Lazar en rappelant l'importance stratégique, reconnue depuis Cavour, de cette région franco-italienne, située au coeur de l'Europe. Ce projet fait partie de ceux qui divisent les deux forces actuellement au gouvernement en Italie. Je ne suis pas sûr que le Traité du Quirinal aborde des éléments aussi précis.
Quant aux échanges universitaires, le Traité du Quirinal peut être un outil pour revivifier l'Université franco-italienne, qui n'est pas, il faut bien l'avouer, aujourd'hui à la hauteur de l'Université franco-allemande, ni institutionnellement ni en en termes de crédits. Aujourd'hui cet organisme finance des travaux de thèses, des mobilités de jeunes, il nous faut passer à la vitesse supérieure, et pour cela, j'ai souhaité associer le vice-président de l'Université Franco-Allemande aux discussions conduites avec mes collègues français et italiens, à la fois pour inscrire notre action dans un cadre multilatéral mais aussi pour bénéficier des « bonnes pratiques » déjà identifiées dans ce cadre franco-allemand. Cet exemple concret vous prouve que l'on peut dépasser les simplifications souvent faites mettant en scène deux binômes, l'un franco-italien l'autre franco-allemand.