Monsieur le président, monsieur le Premier président de la Cour des comptes, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, le rapport de la Cour des comptes que nous examinons est riche d'enseignements.
L'ancienne majorité a voté un budget d'austérité, que la majorité actuelle a nettement aggravé par des décrets d'annulation pris en juillet 2017, puis par la loi de finances initiale pour 2018.
Sur le rapport en lui-même, les chiffres de la Cour démontrent l'ampleur de l'écart entre le budget exécuté en 2017 et ce qui était prévu en loi de finances initiale. Ce sont de véritables coups de rabot qu'ont subi certaines missions dans leur exécution, sans que l'on comprenne très bien, d'ailleurs, les priorités qui en ont décidé : une réduction de 2,9 % pour la mission « Écologie », soit une baisse de plus de 222 millions d'euros en exécution, à l'heure où le climat est une cause primordiale au niveau national et international ; de 4,7 % pour la mission « Sécurités » ; de 4,5 % pour l'aide publique au développement ; et de 4,1 % pour la justice. En outre, la Cour note que les dépenses d'investissement de l'État sont en baisse de 7,1 % par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale, du fait des annulations de juillet, décidées par l'actuel gouvernement.
Ces annulations ont en réalité servi à financer, nous dit-on, d'autres missions qui avaient été sous-évaluées en loi de finances initiale. En d'autres termes, la majorité précédente a bricolé et l'actuelle rabote d'un programme à l'autre. Les annulations s'élèvent en tout à 5 milliards d'euros, ce qui représente un record depuis l'entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances, en 2001.
Mais le problème que pose cette exécution n'est pas seulement économique ou comptable : il est bel et bien démocratique – ce que la Cour des comptes note, d'ailleurs. En effet, la partie du budget exécutée par le Gouvernement est encore plus austère que ce qui avait été voté par la précédente majorité. La Cour des comptes dénonce d'ailleurs la manière dont le Gouvernement a choisi d'exécuter la fin de l'exercice, par décrets d'annulation plutôt que par une loi de finances rectificative présentée au Parlement. Pourquoi ce choix ? Par peur du débat ? C'est à nos yeux une atteinte très grave – une de plus – portée au rôle du Parlement dans le contrôle de l'action budgétaire.
En plus, on a un peu l'impression que l'on se moque de nous : l'exposé des motifs du projet de loi de règlement donne toujours une explication détaillée concernant les ouvertures de crédits, mais généralement aucune sur les annulations. Le Parlement n'est donc pas correctement informé des raisons qui ont conduit à ces annulations, lesquelles constituent, je le répète, un record.
Mais ces pratiques budgétaires antidémocratiques ne sont pas les seules pointées par la Cour des comptes.
Par exemple, il est impossible à l'heure actuelle de mesurer les crédits nouveaux affectés au programme d'investissements d'avenir – PIA – , qui obéissent à des modalités de gestion dérogatoires. Les crédits du budget général sont d'abord versés à des opérateurs ; le financement des projets intervient ensuite, et en dehors du cadre budgétaire. Cela ne garantit pas une bonne traçabilité des montants investis et, surtout, des crédits nouveaux réellement affectés à l'investissement.
De plus, la Cour des comptes dénonce le recours à des fonds sans personnalité juridique, comme le fonds d'aide à l'innovation ou l'enveloppe spéciale de transition énergétique. Ces fonds sont une source d'opacité et un moyen de contourner les règles de spécialité et de sincérité budgétaire pour soustraire l'examen de ces crédits au Parlement, c'est-à-dire à la représentation nationale.
Enfin – et ce n'est pas un petit morceau – , la Cour des comptes épingle des dépenses fiscales en hausse permanente et échappant à tout contrôle. Le montant des niches fiscales a atteint 93 milliards d'euros pour l'année 2017, soit 5,4 milliards de plus qu'en 2016. Il est temps de mettre un coup de balai dans les niches les plus inutiles et dont l'objet est souvent détourné : le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, ou CICE – j'y reviendrai – , le crédit d'impôt recherche, les niches dites Copé ou Pinel, le dispositif Scellier – autant de gouffres financiers pour l'État, donc pour la collectivité, alors que, je le répète, elles sont inutiles.
Si nous ne partageons évidemment pas l'avis général de la Cour des comptes, qui demande toujours plus de coups de rabot au nom du contrôle des déficits, elle pointe de graves irrégularités de gestion dans l'exécution budgétaire, à propos desquelles nous pouvons la rejoindre.
Ce budget a été à l'image de la politique du gouvernement actuel comme du précédent : sévère avec les uns – la quasi-totalité de la population – , généreux avec les autres, les plus riches – de ce point de vue, la loi de finances pour 2018 a atteint un record.
Si les transferts aux collectivités territoriales ont été violemment rabotés – de 3 milliards d'euros – , les bénéficiaires du CICE ont pu se gorger un an de plus d'aides financières sans aucun résultat. Le CICE a en effet coûté plus de 15 milliards d'euros en 2017, soit une hausse de plus de 2,1 milliards d'euros par rapport à l'année précédente, alors que, on le sait très bien, l'étude la plus optimiste commandée par le ministère du travail a conclu à la préservation de 100 000 emplois au maximum, quand le MEDEF en promettait un million.
L'autre enseignement que l'on peut tirer du rapport de la Cour des comptes est que les deux gouvernements ont bénéficié d'un contexte économique international extrêmement favorable, mais ont finalement décidé de ne pas en faire profiter la majorité de la population.
Avec un taux de croissance de 2,2 %, ce sont 5,5 milliards de recettes fiscales supplémentaires qui sont rentrées dans les caisses de l'État, sans que personne n'en voie la couleur, sauf quelques riches privilégiés. Et pour cause : vous l'assumez, vous avez décidé d'utiliser ces recettes pour améliorer d'abord le solde budgétaire, conformément aux injonctions de Bruxelles.
Cette croissance ne doit donc rien à la politique de ce gouvernement, ni à celle du précédent, mais tout à un environnement économique mondial très favorable. En 2017, la croissance mondiale était ainsi de 3,7 % et celle de la zone euro de 2,5 %, tandis que le prix du baril de pétrole était encore très bas.
Le directeur de l'INSEE, que nous avons auditionné en commission, a d'ailleurs confirmé que nous ne retrouverions pas en 2018 la croissance de 2017 et que le ralentissement avait malheureusement déjà commencé. Nous sommes plus proches aujourd'hui de la prochaine crise financière que d'une relance durable de l'activité. Le différentiel toujours plus marqué entre l'économie réelle et l'économie financière, qui avait annoncé la crise des subprimes en 2008, est un indicateur qui nous fait craindre le pire pour les mois ou les années à venir. Car il y a de quoi avoir peur, vu l'importance des coups de rabot qui ont été opérés, si, malgré les 5,5 milliards d'euros de recettes supplémentaires, les recettes sont finalement plus basses que prévu du fait du ralentissement de la croissance.
Nous constatons déjà un ralentissement de la consommation en 2017 : elle passe d'une croissance de 2,1 % en 2016 à 1 % à peine. Et le ralentissement va se poursuivre en 2018 : toujours selon l'INSEE, la consommation des ménages a déjà reculé de 1,9 % en janvier. Au premier trimestre, le chômage est reparti à la hausse, augmentant de 0,3 %. La confiance dans les entreprises, elle, est en baisse, non seulement en France mais dans toute la zone euro, ce qui témoigne certainement de l'inversion en cours de la situation économique.
Mais, vu la politique du Gouvernement, qui attaque le pouvoir d'achat des plus modestes en augmentant la CSG, on peut raisonnablement s'inquiéter de l'effet de ce ralentissement sur la consommation populaire et sur la croissance en 2018, laquelle est déjà retombée à 0,2 % au premier trimestre, contre 0,7 % au trimestre précédent. De plus, la politique fiscale du Gouvernement décidée à la fin de l'année 2017 aggravera cette situation : c'est, pour reprendre votre expression, monsieur le Premier président, de l'eau versée dans le tonneau des Danaïdes – je parle des milliards et des milliards d'euros donnés aux plus riches des actionnaires, qui ne servent en général qu'à la spéculation, et non pas, malheureusement, à relancer le pouvoir d'achat de tous.
Nous proposons une autre voie face au grand nombre de ceux qui, sur les bancs de cette assemblée, défendent une politique de l'offre toujours délétère, qui nous inquiète grandement. Je crains que la loi de règlement n'aggrave la situation et n'ait un effet dévastateur, si la situation économique se détériore dans les mois à venir, en termes d'activité économique et de puissance de feu de la dépense publique qui risque d'être éteinte, alors même qu'elle a évité la récession dans la période précédente, quand le marché privé était atone.
Ce Printemps de l'évaluation annonce, je le crains, un hiver rigoureux et prouve, une fois de plus, la nécessité de changer radicalement de politique et de redistribuer ce « pognon de dingue », pour reprendre l'expression célèbre d'un noctambule, que nous coûte la finance, à tous ceux qui produisent les richesses dans ce pays et dont le pouvoir d'achat serait ô combien utile pour relancer l'économie de manière pérenne.