Monsieur le premier président, la Cour des comptes adresse une nouvelle fois un carton jaune – ou un tacle sévère – à l'État pour son pilotage et son inventivité en matière de niches fiscales dont le coût pour les finances publiques s'est élevé pour la saison 2017 à plus de 92 milliards d'euros, soit 3 milliards de plus que ce qui avait été envisagé lors du vote du budget initial pour 2017, et 20 milliards de plus qu'en 2013 du fait de la montée en charge du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE. Si, sur le papier, on dénombre comme vous le rappelez à peu près 450 niches fiscales, quinze d'entre elles concentrent environ 50 milliards d'euros pour l'année en cours. Le palmarès est assez stable ces dernières années avec le CICE, le crédit d'impôt recherche ou encore l'abattement de 10 % sur les pensions et retraites dans le calcul de l'impôt sur le revenu.
Soyons clairs, il ne s'agit pas de renvoyer toutes les niches au vestiaire, car certaines, par exemple les crédits d'impôt pour l'emploi de salariés à domicile ou pour les frais de garde d'enfants, soutiennent l'activité et le pouvoir d'achat. Mais cela ne doit pas empêcher le Parlement de rechausser régulièrement ses crampons pour savoir si ces dispositifs sont toujours efficaces et efficients.
Il est également important de rappeler que la donne va quelque peu changer ces prochaines années avec la transformation – bienvenue – du CICE en allégement pérenne de charges pour les entreprises à compter du 1er janvier 2019, qui bénéficiera aussi aux associations et aux structures oeuvrant dans le secteur de l'économie sociale et solidaire.
Il convient néanmoins de noter que les dépenses fiscales hors CICE ont progressé de manière soutenue en 2017. Parallèlement, 138 dépenses fiscales dispersées dans les différentes missions du budget de l'État sont considérées comme non chiffrables ; à cela s'ajoutent 88 niches dont le coût est limité – moins de 10 millions d'euros. Je cite la Cour : « La concentration du coût des dépenses fiscales ne doit pas occulter la multitude de petits dispositifs, dont l'efficacité, la pertinence ou l'impact ne sont pas établis. » Cette situation mérite clairement un coup de sifflet, car certains dispositifs s'adressent, pour un bénéfice très aléatoire, à très peu d'entreprises ou de ménages ; il n'y a donc pas vraiment de quoi remplir un stade.
La question du pilotage des dépenses fiscales est une préoccupation de longue date du Parlement, comme en atteste par exemple un rapport d'information de juin 2008, rédigé par MM. Migaud, Carrez et de Courson, qui, en bons renards des surfaces, ont su faire trembler certains filets fiscaux. Ce travail approfondi reposait sur deux axes : la maîtrise des dépenses fiscales et l'amélioration de l'équité et de l'efficacité de ces dispositifs. Le constat datant de dix ans, les recommandations qui en découlaient restent pour l'essentiel d'actualité et nous invitent collectivement à l'humilité.
Le rapport de la Cour rappelle la pratique des conférences fiscales organisées dès 2015 afin d'engager l'audit, mais au sein desquelles les ministères n'ont pas toujours pleinement joué le jeu, ont parfois botté en touche et se sont le plus souvent renvoyé la balle. Beaucoup de dispositifs sont restés sans évaluation préalable ou postérieure. Plus dérangeant encore, certaines évaluations qui avaient été prévues par la loi n'ont jamais été publiées. Nous ne pouvons plus nous satisfaire de cette stratégie défensive et devons, à mon sens, saisir la balle au bond de la longue transversale du rapport Migaud, de Courson, Carrez, bien remise en jeu aujourd'hui par la Cour des comptes. C'est pourquoi l'article 20 de la loi de programmation des finances publiques 2018-2022, votée cet automne, prévoit le principe de limitation à quatre ans des créations ou extensions de niches fiscales. Il prévoit également de fixer une échéance d'évaluation à l'approche de la date d'extinction du dispositif, afin de justifier sa pertinence avant de jouer éventuellement les prolongations dans la loi.
Je partage la recommandation de la Cour qui invite à demander une évaluation exhaustive des niches existantes, car nous devons agir à la fois sur le flux et sur le stock. Évidemment, j'ai conscience qu'il s'agit d'un travail de longue haleine et qui ne peut pas être toujours consensuel. Mais nous sommes convaincus que le Parlement a un rôle de premier ordre à jouer dans cette évaluation et que cela s'inscrit dans notre collaboration, nécessairement étroite, avec la Cour pour mieux contrôler les deniers publics.
C'est le sens du travail qu'entreprennent aujourd'hui la commission des finances et, en particulier, Amélie de Montchalin pour muscler les moyens matériels et humains de notre Assemblée, pour lui permettre d'évaluer pleinement l'impact de certaines évolutions de la loi, en l'occurrence fiscale.
Mais nous devons également veiller à ne pas gâcher cet effort d'évaluation par des réflexes tenaces de création de nouvelles niches. Nous devrons, me semble-t-il, nous montrer intransigeants, Gouvernement et parlementaires, sur ces dispositifs qui sont devenus des instruments essentiels de certaines politiques publiques – par exemple le logement ou le travail – , sans toujours s'avérer efficaces. Tout comme les taxes à faible rendement qui feront l'objet d'une résolution du groupe La République en marche, les niches fiscales doivent être énergiquement remises en cause. Sur ce sujet, comme toujours quand il s'agit d'évaluer, de simplifier et d'expérimenter, je suis convaincu que les députés – en particulier ceux de la majorité – sont prêts à mouiller le maillot.