Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, depuis 2012, après les attentats de Toulouse et, plus encore, depuis 2015, après ceux de Charlie et l'Hyper Casher, notre pays est entré en guerre contre le terrorisme islamiste : 10 attentats meurtriers, plus de 250 morts, des milliers de blessés, un pays traumatisé.
En avons-nous tiré toutes les conséquences ? Hélas, je ne le crois pas. Pas plus tard que mercredi dernier, j'ai dû interpeller le Gouvernement pour demander l'interdiction de deux concerts du rappeur islamiste Médine au Bataclan – oui, au Bataclan ! Comment un pays qui se respecte peut-il ne serait-ce qu'envisager que se produise, trois ans jour pour jour après les attentats dans ce lieu ô combien symbolique, un rappeur qui s'auto-proclame islamo-racaille et pose avec un T-shirt portant la mention « jihad » ? Cette question n'est pas un aparté mais, à mon sens, au coeur du sujet.
La stratégie qui vaincra le djihadisme commence par le refus de toute banalisation de la haine, des discours islamistes et anti-français. C'est eux ou nous ! Cette conviction, je l'ai acquise en ayant le triste privilège d'être, à deux reprises, vice-président d'une commission d'enquête, celle dirigée par Éric Ciotti sur les filières djihadistes, puis celle de Georges Fenech sur les attentats de Paris.
Mes chers collègues, il y a urgence. Alors que près de 2 000 djihadistes de nationalité française se sont rendus depuis 2014 en Syrie et en Irak, ils seront des centaines à tenter de retourner sur le sol national avec la chute de l'État islamique. J'espère tellement me tromper mais il faut voir la réalité en face : le terrorisme fera partie de notre quotidien et, je le crains, pour longtemps.
Plus que jamais, notre pays doit se doter d'une véritable stratégie antiterroriste, anticiper et contrer une menace plus élevée que jamais. Une menace protéiforme, qui peut frapper partout, sous les formes les plus diverses. Parfois perpétrés par des réseaux structurés, les attentats terroristes peuvent aussi être le fait de loups solitaires. Pas plus tard que dimanche, une femme a blessé deux personnes au cutter dans un supermarché du Var, aux cris de « Allah Akbar ». Le 27 mars, à Trèbes, un fiché S radicalisé se réclamant de Daesh a tué quatre innocents, fait quinze blessés et laissé notre pays en état de choc, accentué par le sacrifice héroïque du colonel Arnaud Beltrame.
Dans ce contexte, l'excellente proposition de résolution de notre collègue Patrick Hetzel vise à pérenniser les moyens nécessaires à la participation du ministère de la justice à l'effort national de lutte contre le terrorisme. Conscient depuis longtemps de l'ampleur de la menace djihadiste, le groupe UDI, Agir et Indépendant soutiendra sans hésiter ce texte.
Depuis 2012, plus de dix lois ont été adoptées pour renforcer notre arsenal antiterroriste. Ces mesures successives ont eu pour effet d'aggraver les peines ; de préciser la nature des infractions terroristes ; de clarifier le cadre d'action des forces de l'ordre et des services judiciaires ; enfin, de prendre en compte la montée en puissance d'internet dans l'activité terroriste.
Ces mesures ont eu évidemment un impact positif, comme en témoignent les projets d'attentats déjoués mais, pour moi, pour notre groupe, le législateur n'est pas allé assez loin. Nous sommes en permanence dans la réaction plutôt que dans l'anticipation. Dix lois en cinq ans, n'est-ce pas déjà le symptôme d'un échec ? Aucune de ces lois n'offre un cadre stratégique d'ensemble. Je n'ai eu de cesse de le souligner, en septembre dernier, lors des débats sur la loi renforçant la sécurité intérieure. Ce fut une nouvelle occasion manquée de compléter notre arsenal – j'y reviendrai.
En revanche, la réalité est que notre législation antiterroriste s'est considérablement densifiée et complexifiée. Aussi le ministère de la justice doit-il s'appuyer aujourd'hui sur des ressources plus nombreuses et des expertises plus pointues, que ce soit dans les services judiciaires ou l'administration pénitentiaire.
Par-delà la réponse législative, le Gouvernement a formalisé, en réponse aux attentats de janvier et de novembre 2015, deux plans de lutte antiterroristes puis, en mai 2016, un plan d'action contre la radicalisation et le terrorisme. Ces plans ont permis de dégager des moyens supplémentaires au ministère de la justice autour de six objectifs : identification des détenus radicalisés ; renforcement du pôle antiterroriste de Paris ; développement du renseignement pénitentiaire ; installation de magistrats référents dans les parquets ; sécurisation des tribunaux et prisons ; enfin, prise en charge des jeunes en voie de radicalisation. Au total, la Cour des comptes estime le montant des crédits programmés à 376 millions d'euros en autorisations d'engagement et 288 millions d'euros en crédits de paiement, à quoi il faut ajouter plus de 1 400 emplois. Les travaux de la commission des finances ont démontré que ces moyens complémentaires ont permis de renforcer la lutte contre le terrorisme, en termes d'équipements et de personnels, dans l'administration pénitentiaire comme dans les services judiciaires.
Notre système judiciaire a également su s'adapter à l'explosion du contentieux antiterroriste. Dans ce contexte ont notamment été mis en place des circuits courts pour les infractions dites « de basse intensité » afin d'éviter l'engorgement des juridictions. Selon une procédure similaire à celles des comparutions immédiates, la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris consacre un mardi par mois aux affaires terroristes qui ne nécessitent pas de longues enquêtes, par exemple la détention de téléphone en prison, la consultation de sites djihadistes ou des cas d'apologie du terrorisme. Je profite de l'occasion pour saluer l'engagement de nos magistrats et de nos greffiers.
Face à une menace terroriste persistante, le groupe UDI, Agir et indépendants affirme, lui aussi, la nécessité de maintenir et d'accentuer l'effort national en vue de l'éradiquer. Toutefois, ces moyens pérennes doivent s'inscrire dans une stratégie, en particulier au sein du ministère de la justice. À ce jour subsistent d'importantes marges de progression au niveau des instruments, de l'organisation, du renseignement ou de la prise en charge des victimes.
S'agissant des instruments, jusqu'à présent, les gouvernements successifs ont plutôt adopté une posture de réaction au lieu d'une logique d'anticipation. À chaque attentat sa loi, sa mesure, son plan. Trop souvent, nous laissons, hélas, l'initiative aux terroristes, toujours prompts à exploiter les failles de notre législation.
Notre objectif, même si j'admets que c'est très difficile, doit être : zéro victime, zéro attentat ! Il existe d'ailleurs un modèle de lutte antiterroriste, que je connais bien et qui fait référence : c'est le modèle israélien. Les faits parlent d'eux-mêmes : en quinze ans, les Israéliens ont réussi à diviser par quinze le nombre de victimes et à éviter des milliers d'attentats. Et ce, sans remettre en cause les principes de l'État de droit ! Au coeur du dispositif, le pouvoir laissé à l'administration, sous contrôle du juge, d'assigner dans un centre de rétention fermé ou, a minima, de placer sous surveillance électronique, tout individu représentant une menace avérée pour la sécurité nationale.
J'ai défendu l'adoption de cette mesure à plusieurs occasions, notamment lors du débat sur le projet de loi renforçant la sécurité intérieure en septembre 2017. Ces centres répondent à un seul objectif : protéger le mieux possible la population. Le premier des droits humains, c'est le droit à la vie ! Le risque zéro n'existe pas mais trop souvent, nous découvrons a posteriori que les terroristes étaient connus pour radicalisation, voire fichés S, ou étaient d'anciens détenus. Les Français ne comprendraient pas que l'on ne mette pas de tels individus, qui sont, pour la plupart, repérés ou connus, dans l'incapacité de commettre un attentat !
Autre point, je voudrais plaider pour la mise en oeuvre d'un parquet national antiterroriste. À ce jour, comme nous le savons, les affaires de terrorisme sont suivies par le procureur de la République de Paris. Face au volume des procédures et à la complexification du phénomène, notamment en termes de libertés publiques, notre pays a besoin de construire une expertise transverse pérenne.
C'est la même logique, d'ailleurs, qui m'avait poussé, certains s'en souviennent peut-être, à déposer en septembre 2016 une proposition de loi constitutionnelle no 4024, cosignée par vingt-cinq collègues, visant à créer une neuvième commission permanente à l'Assemblée nationale chargée des affaires de sécurité intérieure, de lutte contre le terrorisme et de l'État de droit. L'idée est tout simplement de centraliser et d'améliorer l'efficacité du travail parlementaire dans le domaine de la lutte contre le terrorisme. Je regrette qu'à ce jour, elle n'ait pas été débattue.
Autre point crucial : le renseignement pénitentiaire, où le dispositif de suivi mis en place par le ministère de la justice peut être amélioré. On le sait : très souvent, la prison est l'antichambre du djihad. J'ai en mémoire la longue visite des cellules de radicalisés à la prison de Fresnes avec la commission d'enquête Fenech. Dans les années à venir, des dizaines, voire des centaines de djihadistes et autres radicalisés sortiront de prison. Plutôt que d'engorger nos prisons avec de potentielles bombes humaines, n'aurait-il pas été plus simple d'empêcher ces djihadistes de retourner sur le territoire en appliquant, au moins pour les binationaux, la déchéance de nationalité ?