Monsieur Goasguen, je n'aime guère que l'on oppose l'opinion publique et les diplomates, dont je suis. Il se trouve que ces derniers sont également des citoyens et qu'ils vivent au contact des réalités, tout comme les membres de la représentation nationale.
Vous vous inquiétez de la situation de l'Europe du renseignement, en opposant un monde anglo-saxon qui travaillerait en circuit fermé à une Europe qui peinerait à s'intégrer davantage en la matière. Mais balayons devant notre porte. Demandons-nous dans quelle mesure nous avons été soucieux de partager le renseignement dans un passé récent, et essayons de faire mieux.
La question qui se pose n'est peut-être pas tant celle de la souveraineté ou de l'autonomie que celle du partage du renseignement avec nos alliés. Ni les États-Unis, qui sont un allié important dans ce domaine, ni nous, ne pouvons être partout. Ce qui compte, donc, c'est l'échange, dans la plus grande confiance possible, au plan européen – vous l'avez très justement rappelé –, mais aussi avec d'autres pays partenaires, au sud de la Méditerranée. C'est en effet en multipliant ces canaux d'échanges que nous parviendrons à lutter plus efficacement contre le terrorisme. Les actions actuellement menées pour renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne concernent la question du transport et des passagers, mais elles visent également à harmoniser les bases de données, et c'est extrêmement important pour pouvoir contrôler les allées et venues de ceux qui ne veulent pas de bien à notre démocratie et à notre État de droit.
En ce qui concerne l'immigration, vous attendez des mesures concrètes et efficaces. L'Union européenne a déployé, en Méditerranée, l'opération Sophia, destinée à lutter contre les passeurs et le trafic d'armes. Cette force a déjà permis l'arrestation de plus d'une centaine de passeurs. Il faut pouvoir renforcer ses moyens et l'action que nous allons mener au sud de la Libye.
Regardons la situation telle qu'elle est. Les difficultés se sont considérablement atténuées en Méditerranée orientale. Si nous nous étions réunis il y a deux ans, nous aurions évoqué l'afflux, dont l'Allemagne a été la principale cible, d'un million de réfugiés passant par la Méditerranée orientale et les Balkans. Aujourd'hui, les arrivées en provenance de ces régions ont considérablement diminué ; l'Europe a su défendre ses intérêts. Aujourd'hui, ce trou béant qu'est la Libye est la conséquence d'une opération militaire qui n'a pas connu de suites politiques. Nous avons ainsi laissé l'État libyen s'effondrer, de sorte que ce pays est devenu celui de tous les trafics – trafics d'êtres humains, de stupéfiants, d'armes – et qu'il sera peut-être, demain, le lieu d'installation de djihadistes de DAECH. C'est donc bien là que se situe notre priorité.
Or, contribuer à la stabilisation de la Libye, c'est précisément ce que le Président de la République est en train de faire cet après-midi même. Vous vouliez du concret, en voilà ! C'est en travaillant avec les pays de transit et les pays d'origine des migrants, en faisant en sorte que des emplois y soient créés, que la jeunesse – qui ne se voit pas de meilleur destin aujourd'hui que de traverser la Méditerranée au péril de sa vie – y trouve un avenir, que nous pourrons traiter la crise migratoire, et non en bâtissant des murs ou en poursuivant des chimères. Nous nous y attachons, tant au niveau national qu'au niveau européen, mais ce sera difficile et long. Encore une fois, la priorité politique est de traiter la situation de la Libye.