Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du mercredi 12 juillet 2017 à 11h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Le deuxième horizon de très court terme est celui de la loi de finances pour 2018. Cette première marche est essentielle. Je ne suis pas un lapin de six semaines : je sais bien que, si l'objectif de 50 milliards est fixé à 2025 et que la courbe d'évolution du budget démarre très bas, l'élévation de cette courbe ne se produira qu'en fin de période. Nous connaissons la ficelle de cette « remontée tardive » et l'avons déjà expérimentée sous les deux quinquennats précédents.

En ce qui concerne la loi de finances pour 2018, l'équation est simple. Après mise sous contrainte, le socle budgétaire ressort à 34,8 milliards d'euros, dont 32,8 milliards ouverts en loi de finances initiale auxquels il faut ajouter, d'une part, le milliard d'euros décidé par le président Hollande lors du conseil de défense du 6 avril 2016 et correspondant aux besoins supplémentaires indispensables pour faire face à la menace terroriste – non-déflation de 18 750 effectifs et mesures afférentes en termes de fonctionnement et d'infrastructure – d'autre part ; plus 200 millions d'euros décidés ces derniers mois pour financer le service militaire volontaire, la garde nationale avec l'augmentation du nombre de réservistes et les mesures de condition du personnel. Ce socle de 34 milliards d'euros sera dépensé, quoi qu'il arrive. Enfin, il convient d'y ajouter les besoins supplémentaires apparus depuis le 6 avril 2016 : 600 millions d'euros pour soutenir le surcroît d'engagement de nos forces et atténuer le sous-dimensionnement chronique de certains soutiens, dont l'infrastructure et enfin, 200 millions d'euros pour renforcer à très court terme la protection de nos hommes, à titre individuel et pour les équipements – Au total, il convient de bâtir d'emblée sur des bases saines une trajectoire de remontée en puissance pour consolider notre modèle.

Le troisième horizon de court terme est la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Elle doit être celle de la régénération et de la projection vers l'avenir. L'ordre de grandeur de l'effort à consentir est d'ores et déjà connu : il s'élève globalement à deux milliards d'euros supplémentaires par an à périmètre constant, hors opérations extérieures et hors pensions. Compte tenu de l'urgence, la LPM doit être votée au plus tôt, c'est-à-dire avant le 14 juillet 2018, pour intégrer comme première annuité le projet de loi de finances 2019. Je rappelle que sous les deux quinquennats précédents, il aura fallu environ deux ans pour que la LPM soit adoptée.

Voter la LPM au plus tôt suppose évidemment de disposer d'une revue stratégique sur la défense et la sécurité nationale dès la fin de l'été. Nous n'avons pas besoin d'un document de politique générale très détaillé, mais bien d'un document de référence concis, opérationnel et directement exploitable, qui trace le cap politique de la remontée en puissance. Cette préoccupation a été entendue par le président de la République. Les travaux, dont l'horizon est fixé au 1er octobre, sont lancés. La première réunion du comité de rédaction de la revue stratégique, présidé par M. Arnaud Danjean s'est tenue vendredi dernier.

À plus long terme se pose la question du modèle 2030. Les travaux stratégiques et budgétaires que je viens de citer tendent à bâtir un modèle d'armée complet, adapté au contexte sécuritaire tel qu'il est envisagé à quinze ans. Nous, les militaires, sommes aussi contraints d'être dans le temps long : commander, c'est prévoir.

Vous l'aurez compris, la première marche de 2018 et la LPM 2019-2025 sont absolument essentielles.

Je rappelle pour terminer que la souveraineté économique ne s'oppose pas à la souveraineté de défense, bien au contraire. Reste qu'il faut trouver entre les deux une voie juste et équilibrée. Le coût du renoncement serait potentiellement très élevé. Comme chef d'état-major des armées, je ne vois pas d'autre alternative que celle du désengagement opérationnel inéluctable, par manque de moyens. Se résoudre à l'option du désengagement ne se résume pas à la seule décision de quitter un théâtre d'opération. Se désengager, c'est choisir en réalité quel dispositif, intérieur ou extérieur, alléger. C'est décider quel théâtre quitter alors que les opérations qui y sont conduites contribuent à notre sécurité. C'est accepter de peser de façon moins déterminante sur la protection des Français. C'est laisser à d'autres le soin d'influer sur les grands équilibres internationaux. En un mot, ce serait revoir nos ambitions à la baisse, au moment même où de très nombreux États, déraisonnables pour certains, aspirent à faire entendre leur voix dans le concert des nations. Une telle décision serait respectable, mais il faut que, politiquement, les choses soient claires.

Choisir le désengagement, c'est aussi prendre le risque d'une profonde incompréhension chez ceux - dont je suis le porte-parole - et qui, au quotidien, dans nos armées, cherchent avec constance et volonté à surmonter les difficultés pour assurer le succès de la mission qui leur a été confiée. Ils le font parfois au péril de leur vie. Imaginez le poids qui pèse sur les familles quand le père, le mari, l'épouse partent sans savoir s'ils reviendront, ni dans quel état. C'est là une nouveauté depuis trois ans qu'il faut prendre en compte. L'état d'esprit des militaires a changé. Nous pouvons être fiers de ce qu'ils font – je le suis – et de ce qu'ils sont. Comme le disait Clemenceau : « Ils ont des droits sur nous ».

Mesdames et Messieurs les députés, pour conclure, vous le voyez, nous sommes entrés dans des temps difficiles et incertains ; nous sommes entrés dans le temps de la décision et du courage où se jouent ensemble la sécurité et l'avenir du pays. Chaque époque a ses difficultés. L'esprit de défense, « premier fondement de la sécurité nationale », selon les termes du Livre blanc de 2013, nous est nécessaire. Dans deux jours, lors de la fête nationale, nous aurons l'occasion, une fois de plus, de constater que cet esprit est bien vivant et partagé par la très grande majorité de nos concitoyens. Dans les temps qui sont les nôtres, il est important qu'il se manifeste tous les autres jours de l'année par un soutien sans faille. Votre commission jouera, je le sais, un rôle déterminant en la matière. Vous pouvez compter sur mon engagement personnel, ma totale loyauté et ma détermination, que je pense que vous avez mesurés. Je nous sais tous ici habités par une seule ambition : le succès des armes de la France, au service d'une paix d'avance ! (Applaudissements sur tous les bancs.)

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