Intervention de Nicolas Spire

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 11h15
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Nicolas Spire, membre du cabinet Aptéis :

Permettez-moi de commencer par vous donner quelques détails complémentaires sur Aptéis.

Notre cabinet d'expertise a une petite dizaine d'années. Sous couvert d'un agrément ministériel, qui dépend aujourd'hui du ministère du ministère du travail, nous réalisons des expertises dans les domaines de la santé au travail et des risques professionnels.

Nous intervenons dans les entreprises sur demande des représentants du personnel au CHSCT, dans le cadre d'un dispositif défini aux articles L. 4614-12 à L. 4614-14 du code du travail. L'expertise est cependant financée par l'employeur au titre de sa responsabilité en matière de santé au travail. Ce dernier peut toutefois, s'il le souhaite, contester le principe, l'étendue ou le coût de cette expertise devant les tribunaux.

En termes de compétences, nous sommes spécialisés dans l'analyse du travail, des organisations de travail et, bien sûr, dans l'analyse des risques professionnels. Dans ces domaines d'analyse, nous restons généralistes, c'est-à-dire que nous travaillons sur des thématiques variées.

De formation, nous sommes sociologues du travail, ergonomes ou psychologues du travail. Nos interventions se déroulent toujours en équipe d'au moins deux intervenants, notamment dans le but de croiser les ressources disciplinaires et d'enrichir les analyses de nos diverses expériences.

En ce qui me concerne, je suis sociologue du travail, métier que j'exerce depuis quinze ans. Durant cette période, j'ai réalisé près d'une quinzaine d'expertises sur différents sites du parc nucléaire français, des centrales de 900 comme de 1 300 mégawatts (MW). Mon collègue Vincent Lemaître a une formation en analyse des organisations de travail et en gestion de l'emploi. Il a, pour sa part, réalisé sept expertises sur des sites nucléaires.

Avant de vous présenter en quelques mots le rapport que nous avons remis au CHSCT du centre nucléaire de production d'électricité (CNPE) de Paluel, il nous paraît important d'expliciter nos modalités d'interventions, de vous dire comment nous travaillons ou comment nous recueillons nos données, en particulier afin de préciser à la fois notre position et la portée et les limites des éléments que nous allons vous apporter.

Nos enquêtes ou nos interventions sont toujours ciblées, ce qui invite à la plus grande prudence lorsque l'on s'interroge de façon plus large, comme vous le faites dans le cadre de cette commission d'enquête. Il est en effet difficile de tirer des enseignements généraux à partir de nos diverses expertises : l'une porte sur les risques chimiques pour tel site, l'autre sur le risque incendie pour un autre site, d'autres encore sur les risques électriques à partir de l'analyse d'un accident ayant provoqué l'électrocution d'un salarié prestataire, ou sur les risques bactériologiques suite à un cas de légionellose chez un salarié prestataire.

Deux limites de nos interventions doivent d'emblée être soulignées.

D'une part, nos expertises portent sur un périmètre limité : nous étudions un ou deux services, ou une activité à l'occasion d'un accident ou d'une situation de danger identifié. D'autre part, nous ne sommes pas des experts de la sûreté. Nous ne traitons jamais les questions de sûreté pour elles-mêmes. Notre domaine est bien plutôt celui de la sécurité des travailleurs, des salariés ou des agents. Nous ne pouvons au mieux aborder les questions de sûreté que de façon indirecte ou décalée.

Nos modalités d'intervention nous amènent à mobiliser les méthodes d'enquêtes de terrain utilisées dans les recherches de sciences humaines. Afin de croiser et de cumuler les données, l'expertise CHSCT se construit à partir de trois grands modes de recueil de données. Il y a l'analyse des documents fournis par l'employeur à notre demande. Par ailleurs, des entretiens individuels et collectifs avec les salariés et agents constituent l'essentiel de notre matière. Nous rencontrons non seulement ceux qui exécutent et réalisent les activités, mais également ceux qui les coordonnent, les encadrent ou les dirigent. Le principe est de recueillir tous les points de vue sur une situation de travail donnée, afin d'éviter de s'enfermer dans une seule perspective. Enfin nous effectuons des observations de situations de travail, et d'autres visites ou mesures sur le terrain, afin notamment d'objectiver les discours.

L'expertise CHSCT procède donc à la manière d'une enquête qualitative, dont l'essentiel de la matière repose sur des entretiens nombreux que nous réalisons avec les acteurs de terrain. Il s'agit pour nous d'analyser aussi précisément que possible ce que sont les situations réelles de travail, à partir desquelles peuvent être identifiés d'éventuels facteurs de risques. De ce point de vue notre réelle spécialité, notre réelle expertise, d'une certaine façon, porte sur les organisations de travail, sur leurs travers ou leurs défauts, et sur les risques qu'elles induisent ou auxquels elles exposent les salariés en fonction de leurs activités.

Comme toute enquête qualitative, ce n'est pas tant le nombre de situations rencontrées qui fait la force de nos analyses, mais bien plutôt la variété et la diversité des situations observées lors de nos interventions. Cela vaut évidemment s'agissant du parc nucléaire. Ces variétés de situations permettent de voir émerger des régularités, mais aussi des spécificités. Malgré les nécessaires précautions que je viens d'évoquer, cela nous permet, sinon de tirer des conclusions fermes, à tout le moins de présenter des pistes de réflexion à partir de notre position spécifique.

Sur certains sites, en particulier à Paluel, nous avons eu l'occasion de réaliser plusieurs expertises au cours des quinze dernières années, de sorte que nous avons pu construire un regard à la fois bien informé et distancié sur l'état des organisations des CNPE et leurs éventuels défauts, ainsi que sur leurs évolutions. Si je considère nos expériences cumulées, les expertises réalisées sur le parc nous ont amenés à rencontrer au total environ cinq cents agents travaillant en CNPE et parfois quelques salariés prestataires.

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