J'en viens à notre rapport sur la chute d'un générateur de vapeur (GV) à Paluel.
Sur le plan technique, il a été établi que la chute du GV est liée à une problématique matérielle de défaut de conception du palonnier auquel était accroché le GV pour être sorti du bâtiment réacteur. Il y a également eu une problématique d'analyse et d'incompréhension de la cinématique de sortie des GV.
Cela étant dit, rappelons les différents éléments d'analyse et de compréhension que nous avons approfondis dans le rapport d'expertise.
Le passage à une sous-traitance globale des opérations de remplacement des générateurs vapeurs (RGV), qui comprennent la préparation et la réalisation du chantier, à un groupement momentané d'entreprises solidaires (GMES) a conduit à confier à des entreprises extérieures la conception et la fabrication des moyens de manutention et de levage des GV.
Dans cette logique de sous-traitance complète des opérations, EDF, via la division de l'ingénierie du parc, de la déconstruction et de l'environnement (DIPDE), sa structure d'ingénierie basée à Marseille, a mis en place une organisation nouvelle et particulière de la phase de préparation du projet RGV incluant une surveillance des documents d'études, plans comme notes de calcul, relatifs à la conception des différents moyens de levage.
Dans ce processus, il n'était pas prévu que le palonnier fasse l'objet d'une surveillance particulière puisque le GMES – en l'espèce, il s'agissait d'Areva – avait indiqué que le palonnier pour les opérations de RGV sur la série 1 300 MW serait le même que celui précédemment utilisé pour la série 900 MW. En conséquence, la nouvelle conception du palonnier – il a finalement été « reconçu » par Areva pour tenir compte de la hauteur différente de chaîne de côtes entre les bâtiments réacteurs des séries 900 MW et 1 300 MW – n'a été repérée que très tardivement par l'équipe d'EDF chargée de la surveillance des études.
Par la suite, lors des échanges entre EDF et le GMES portant sur les qualités intrinsèques du palonnier, en particulier sa capacité à effectuer des mouvements transversaux, il y a eu une erreur manifeste de compréhension de la cinématique de sortie des générateurs de vapeur. Il ne semble pas qu'il y ait eu une discussion approfondie sur la cinématique de sortie, notamment sur les phases de translations horizontales prévues dans cette cinématique.
On peut noter par ailleurs que l'étude de la cinématique a été réalisée non en grandeur réelle, mais par conception assistée par ordinateur (CAO), ce qui n'a pas permis de constater en amont les problématiques de chaîne de côtes ni de qualifier le palonnier en grandeur réelle, en situation de mise sous charge – la qualification n'avait été réalisée que par test par presse hydraulique.
On peut également noter qu'au moment des échanges entre Areva et EDF sur le palonnier, EDF – en l'espèce, la DIPDE – rencontrait des difficultés importantes de conception des autres moyens de levage avec une autre entreprise du GMES, Orys. En conséquence, la surveillance des études s'est focalisée sur les difficultés avec Orys, et la discussion sur la cinématique du GV et sur les efforts transversaux s'est interrompue. En outre, les réserves qui pouvaient subsister sur le palonnier, côté DIPDE, à Marseille, n'ont pas été transmises à l'équipe RGV du site de Paluel en charge de la surveillance de la réalisation.
De plus, les programmes de surveillance de la réalisation, établis par DIPDE, n'ont pas davantage inclus de point particulier sur la vérification de la capacité du palonnier à résister à des efforts transversaux, de sorte que l'équipe RGV sur place ne disposait pas d'informations particulières sur le comportement du palonnier et les risques supposés.
Le programme de réalisation des opérations de RGV a dû être revu sur place à de multiples reprises du fait des aléas rencontrés et de la pression temporelle propre aux opérations de maintenance de la visite décennale de la tranche 2. De ce fait, les opérations ont débuté en mars 2016 au lieu de mai 2015. En conséquence, à ce moment-là, toutes les équipes étaient sous pression pour faire avancer le projet qui avait déjà pris beaucoup de retard.
Les équipes de surveillance des opérations de RGV étaient composées d'ingénieurs généralistes et de personnels disposant de peu d'expérience des opérations de RGV. Nous rappelons qu'il s'agissait de la première opération de RGV sur la série 1 300 MW, il s'agissait donc d'une première opération « tête de série ». Les équipes de surveillance de l'équipe RGV, peu nombreuses, devaient en outre surveiller toutes les opérations réalisées dans le bâtiment réacteur. Les opérations de levage n'étaient pas alors considérées comme critiques.
Lors de la sortie des deux premiers GV, l'inclinaison du palonnier et le frottement des torons sur le trou d'alésage du palonnier ont été constatés. Des photos ont été prises sur place. Il a été envisagé de concevoir un fourreau pour protéger les torons du frottement. La conception du fourreau a été décidée. Pour autant, il n'a pas été décidé de suspendre les opérations de RGV et, au cours de la sortie du troisième GV, il y a eu une rupture entre le palonnier et la tête d'ancrage, qui a entraîné la chute du palonnier.
Nous soulignons dans le rapport que les éléments suivants ont contribué à la survenue de l'accident : une contrainte temporelle élevée induite par la visite décennale, et par les opérations du grand carénage sur le site de Paluel ; un problème de dépendance du dispositif de surveillance des études par rapport aux informations fournies par le GMES – aucune boucle de rattrapage n'était mise en place dans les modalités organisationnelles prévues – et une absence de système de gestion documentaire commun entre EDF et le GMES – un tel système aurait pu permettre aux ingénieurs de DIPDE de se rendre compte en amont des modifications apportées par Areva. Nous avons également relevé une erreur ou un défaut d'analyse de la cinématique de sortie des GV chez Areva et nous avons constaté des retards et délais multiples qui ont constitué une pression temporelle importante amenant les équipes DIPDE à ne pas insister lorsqu'elles ont identifié la problématique des forces transversales parce qu'il fallait faire avancer le projet.
Les équipes de surveillance des études de DIPDE avaient par ailleurs une charge de travail très lourde liée au projet « grand carénage » et à la mise en oeuvre du retour d'expérience (REX) Fukushima Daichii.
La confiance établie entre EDF et Areva, partenaires historiques, a pu contribuer à ne pas approfondir les échanges entre les équipes sur les défauts de conception du palonnier.
Dans le rapport, nous soulignons également que l'organisation des opérations en GMES constitue un choix industriel discutable, qui se traduit par la prestation intégrale d'une opération nouvelle, la prestation des études, et une surveillance distante de la réalisation pour une opération à très haut niveau de technicité et de sécurité et à fort enjeu stratégique.
Nous avons également insisté sur le fait que les modalités de sélection et de suivi des prestataires qualifiés par l'unité technique organisationnelle (UTO) d'EDF posaient question, car ce processus a conduit à attribuer le marché RGV à un groupement d'entreprises non spécialistes du levage, qui ont dû s'appuyer sur d'autres prestataires plus spécialisés pour les opérations de conduite du pont tournant, d'utilisation de la machine de levage, ou encore pour la sortie des GV à l'extérieur du bâtiment réacteur.