Beaucoup de choses mériteraient d'être dites ; nous les mentionnons dans nos rapports. Sans doute faut-il souligner la question des moyens et des effectifs. La maîtrise des compétences et des métiers sur le terrain nous paraît en effet soulever des difficultés, compte tenu du niveau de prestations que l'on a atteint. Aussi faudrait-il faire en partie machine arrière et repenser les conditions dans lesquelles on passe du « faire » au « faire faire ». Pendant quinze ans, les directions des sites se trouvaient dans une situation où, plus elles transféraient des activités aux prestataires, mieux elles étaient « considérées ». Il y a eu ainsi une fuite en avant en matière de prestations : actuellement, dans les centrales nucléaires, plus de 80 %, je crois, des activités sont « prestées », et plus seulement pour les arrêts de tranche. L'argument selon lequel les arrêts de tranche constituent une activité spécifique et temporaire n'est plus du tout valable : les activités de tranche en marche sont désormais « prestées » tout autant que les activités d'arrêt de tranche.
La seconde logique qui nous préoccupe beaucoup et que l'on a vue à l'oeuvre, par exemple, dans le cadre, sinon de la confrontation, du moins de l'interface entre l'ingénierie et l'exploitant, est la logique de filialisation et d'éclatement de l'entreprise. C'est un phénomène que nous avons constaté également à la SNCF, lors de l'analyse que nous avons faite de certaines catastrophes ferroviaires. Ce qui relève de la culture de la sécurité ou de la sûreté est d'autant plus puissant dans une entreprise intégrée, dont les agents partagent les éléments de cette culture et peuvent avoir des échanges à ce sujet, quand bien même ils appartiendraient à des équipes ou à des services différents. Lorsque des agents de l'ingénierie arrivent sur le site d'un exploitant, ce ne sont plus les mêmes agents depuis un certain temps, et un certain nombre d'éléments de culture sont différents, plus encore lorsqu'il s'agit de salariés prestataires qui travaillent tantôt dans le nucléaire, tantôt ailleurs. Tant que les travailleurs du nucléaire n'auront pas un statut clairement défini, on risque de se retrouver dans des situations où cette culture de la sécurité n'est pas directement partagée.
Encore une fois, nous sommes frappés par la conception des projets. Nous reproduisons, dans notre rapport, le schéma, qui est presque amusant tant il est complexe, de l'organisation du projet. On rencontre des schémas du même type lorsqu'on analyse une catastrophe comme celle du déraillement d'Eckwersheim : on voit des filiales, des prestataires et des prestataires de prestataires, des bouts de filiale qui reviennent du côté de la maîtrise d'oeuvre alors qu'ils étaient aussi présents du côté de la maîtrise d'ouvrage… Cet éclatement de certaines grandes entreprises intégrées peut nuire beaucoup à la culture de sécurité.