Intervention de Nicolas Spire

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 11h15
Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Nicolas Spire, membre du cabinet Aptéis :

Nous ne sommes pas les mieux placés pour vous dire ce que le nucléaire fait bien, car nous ne sommes sollicités que lorsque les choses vont mal, mais nous pouvons tout de même mentionner certains points. Tout d'abord, la logique de sécurité et de sûreté, notamment sur les enjeux de redondance, est, aussi bien en ce qui concerne le matériel qu'en ce qui concerne l'organisation, très impressionnante dans le nucléaire. Il ne s'agit donc pas pour nous de tirer la sonnette d'alarme et d'annoncer que nous sommes à la veille d'une catastrophe ; ce n'est pas du tout notre propos. Beaucoup de choses fonctionnent très bien dans le nucléaire. Je profite néanmoins de votre question pour attirer l'attention sur un autre point, qui nous paraît très largement sous-estimé par EDF : ce que nous appelons dans notre jargon les risques psychosociaux ou les facteurs humains et organisationnels, sur lesquels nous travaillons beaucoup.

Dans le domaine de l'aéronautique, cette question a depuis longtemps été intégrée dans les logiques de protection et de sécurité, que ce soit dans les dispositifs de conduite ou de circulation des avions. Mais, de notre point de vue, EDF est très en retard dans ce domaine. Nous venons, par exemple, de réaliser une expertise sur le CNPE de Fessenheim, dont la fermeture est envisagée, comme vous le savez. L'expertise portait sur la situation dans laquelle se trouvent les agents dans la perspective de cette fermeture. Le site de Fessenheim a, comme toutes les entreprises, un document unique d'évaluation des risques professionnels. Or, dans ce document, la question des risques psychosociaux n'est tout simplement pas abordée, et ce n'est pas le seul site nucléaire à être dans cette situation. Les risques psychosociaux étant un élément qualitatif, EDF ne s'estime pas compétent pour les évaluer. On ne les envisage donc pas comme des facteurs de risque : on ne les croise pas avec d'autres facteurs de risques.

Les documents uniques sont conçus de manière centralisée à l'aide de tableaux Excel : des calculs très savants sont réalisés pour indiquer que le risque incendie a une valeur de 423 624, le risque chimique telle autre valeur… On fait des multiplications avec des taux de fréquence et des taux de gravité, qui sont assez ridicules du point de vue de la prévention des risques. Cela ne signifie que les risques organisationnels ne sont pas pris en compte : sur chaque site, des agents sont chargés de ces questions. Cependant, des moyens considérables sont consacrés par EDF à la prévention des risques liés notamment à l'exposition des travailleurs au rayonnement ionisant et, de manière générale, à la radioprotection. Dans ce domaine, l'organisation est très rigoureuse et bien meilleure, en tout cas, qu'il y a une quinzaine d'années, par exemple. Mais, en contrepartie, en quelque sorte, un certain nombre d'autres domaines sont négligés. C'était le cas du risque incendie ; cela l'est un peu moins car, depuis qu'un certain nombre de sinistres sont survenus, la direction du parc a comblé certaines lacunes. C'est également le cas des risques chimiques, qui sont souvent sous-estimés, comme en témoignent nos expertises. C'est le cas enfin, de façon plus transversale, des risques organisationnels ou psychosociaux.

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