Intervention de Nicolas Revel

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 8h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Nicolas Revel, directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) :

S'agissant de la sensibilisation de médecins qui sont déjà en exercice, et dont on pense qu'ils pourraient peut-être envisager de changer leur lieu d'exercice, nous n'avons pas de schémas déjà définis, mais nous souhaitons proposer, là aussi, une incitation financière, qui cible plutôt des médecins spécialistes – je vous ai dit qu'ils étaient de plus en plus nombreux à s'installer dans des zones urbaines.

Nous proposerions une revalorisation de 25 % de leurs actes et consultations quand ils vont exercer dans une zone sous-dense. Je ne crois guère que nous arriverons à dissuader des spécialistes de s'installer dans des zones globalement bien pourvues et à les persuader de venir plutôt, avec leurs familles, dans des zones qui ne le sont pas. Je pense, en revanche, qu'il peut être tout à fait rationnel et intéressant de leur proposer des consultations avancées, une fois par mois, notamment dans des maisons et pôles de santé qui peuvent les accueillir.

Sur l'attractivité de la médecine libérale, il est vrai qu'en termes relatifs nous connaissons une stagnation du nombre de médecins libéraux. Leur nombre ne diminue pas, mais la médecine salariée augmente. En termes relatifs, il y a donc, évidemment, un décrochage. Mais nous n'avons pas moins de médecins libéraux aujourd'hui qu'il y a cinq ans, seulement une baisse des médecins généralistes et une légère hausse des médecins spécialistes.

À quoi tient cette attractivité du mode salarié ? À l'absence de l'insécurité personnelle liée à l'exercice libéral. Deux points sont à prendre en considération. D'abord, quand on est médecin salarié, on se concentre sur sa vocation médicale ; on n'a pas à gérer la complexité globale de l'exercice professionnel dans toutes ses dimensions. Ensuite – et cela compte beaucoup pour les jeunes – l'exercice dans des structures collectives est plus attractif que dans des cabinets médicaux qui sont encore souvent de petite taille.

L'assurance maladie est très consciente de ce que l'une de ses contributions est d'essayer de simplifier l'exercice quotidien de la profession de médecins. Concrètement, nous avons essayé d'identifier ce que pouvaient être des leviers de simplification. Il y en a deux. Comme vous l'avez parfaitement dit, monsieur Isaac-Sibille, le gros des courriers que vous recevez correspond aux « indus », c'est-à-dire aux cas où vous avez réalisé un tiers payant et où vous n'êtes pas rémunéré de l'acte que vous avez réalisé.

Dans le cadre de la réforme du tiers payant, nous avons modifié les choses très concrètement, pour tenter de réduire ou supprimer toutes les causes de rejet. Nous avons défini les deux principaux types de rejet qui ne devraient pas exister. Le premier était celui du patient hors parcours ; cela représentait 30 % des cas. Dans ce cas, nous ne payions pas le médecin pour l'acte ou la consultation qu'il avait effectué. Il y a un an et demi, ce motif de rejet a été supprimé.

Le deuxième motif de rejet que nous avons supprimé est celui relatif aux problèmes des droits de l'assuré : l'assuré a changé de caisse primaire ou de régime, ou bien il ne bénéficie plus – ou pas encore – de l'exonération du ticket modérateur… Quand il y avait un décalage entre la facturation des médecins et les droits, le rejet était automatique. Nous avons désormais introduit une règle selon laquelle le médecin facture sur la base de la carte Vitale et des droits lus sur cette carte, quand bien même ces droits ne sont plus à jour. Il n'y a plus de rejet pour ce motif, c'est à nous d'en faire notre affaire.

Que fait-on, par ailleurs, pour les gens qui n'ont pas leur carte Vitale ? Nous avons mis en place un système de vérification des droits en ligne, qui effectue la facturation sur la base des droits qui sont à jour dans nos bases. Pas moins de 50 % des médecins y recourent déjà. Cela réduit drastiquement le nombre des rejets, qui constituaient la pollution quotidienne dont vous me parliez.

Les affections de longue durée (ALD) constituent une autre source d'encombrement, notamment pour les généralistes. L'une de leurs charges administratives consiste à opérer régulièrement le renouvellement de ces ALD. Nous l'avons doublement simplifiée. D'une part, depuis un an, nous avons levé les contrôles a priori sur toute une série de pathologies pour lesquelles le taux d'avis favorables était déjà de 98 % ou 99 %. Après cette levée des contrôles, quelques mois ont passé et le nombre d'ALD a légèrement augmenté, mais nous connaissons maintenant exactement les mêmes chiffres qu'auparavant. C'est donc moins de travail pour les médecins, grâce à un téléservice désormais utilisé par les médecins dans 60 % des cas.

Deuxièmement, s'agissant des ALD pour lesquelles le renouvellement est automatique car ce sont des pathologies pour lesquelles il n'y a pas de guérison possible, nous déchargeons complètement le médecin de cette tâche. En revanche, nous lui demandons, pour les autres patients au sujet desquels la question doit être posée et tranchée, d'instruire la demande auprès de l'assurance maladie. Nous allons ainsi réduire de 70 % les formalités liées au renouvellement.

Depuis deux ans, nous avons donc fourni des réponses reconnues et saluées par les médecins libéraux, avec lequel je suis en dialogue permanent.

Est-ce que les centres de santé ou les structures collectives d'exercice sont des structures plus attractives que l'exercice libéral classique isolé ? La réponse est oui, puisque, quand on regarde ce que sont les choix d'exercice des jeunes générations, on constate qu'elles privilégient – plébiscitent même – des formes d'exercice de ce type, qu'elles soient salariées ou libérales, dans des maisons, pôles de santé ou centres de santé.

Par définition, quand on est dans ce type de structure et qu'arrive le départ à la retraite d'un des médecins, il y a de plus fortes chances d'attirer un jeune médecin qu'il n'y en a pour un médecin travaillant seul dans un cabinet situé dans une zone où il y a beaucoup de pression.

S'agissant de la télémédecine, nous avons introduit deux axes dans le droit commun des actes médicaux, à savoir la téléconsultation et la téléexpertise. Nous avons laissé dans le champ expérimental la télésurveillance des patients, car c'est un objet plus difficile à cerner. Je ne crois pas que la téléconsultation sera inflationniste ; une téléconsultation requiert en effet du médecin le même temps médical qu'une consultation « présentielle ». Le temps médical étant contraint, je ne crois pas que, parce qu'on bascule des consultations présentielles vers des téléconsultations, il y aura plus de consultations.

J'espère d'ailleurs que les téléconsultations vont se développer. Nous ferons en sorte que le dispositif puisse intégrer d'autres professions que le médecin. Après avoir signé un accord avec les médecins, nous voulons signer des accords avec les infirmières, avec les pharmaciens et avec d'autres professions. On voit bien l'intérêt d'avoir une télé consultations pour un patient ou une patiente à domicile qui est en perte d'autonomie et qui ne peut plus aller au cabinet médical.

Le médecin n'a pas forcément le temps de venir en visite ; l'infirmière qui passe tous les jours pourrait déclencher une consultation qui ne serait peut-être pas intervenue aussi rapidement, mais qui est médicalement très utile.

Les téléexpertises ne jouent pas, quant à elles, sur l'espace, c'est-à-dire sur le temps de transport et la difficulté d'aller vers le médecin. Dans la téléexpertise, il n'y a en effet pas de patients présents : un médecin requiert l'expertise, par messagerie sécurisée, d'un autre médecin, à partir d'éléments cliniques documentés, pour obtenir un retour, souvent de second recours, sur une situation clinique complexe. Notre dessein est d'accélérer le temps de la réponse médicale, là où aujourd'hui il faut aller en consultation, puisque seules les consultations sont rémunérées. Demain, une telle expertise serait rémunérée, intervenant beaucoup plus rapidement que n'interviendrait une consultation en bonne et due forme.

Nous devons évidemment régler la question des prescriptions, que ce soit dans le cas de la télémédecine ou de manière générale. La plupart des pays autour de nous se sont dotés d'un dispositif de prescription électronique et dématérialisé. La France, de ce point de vue, est en retard. Je viens de lancer, dans trois territoires, une expérimentation portant sur une prescription électronique et dématérialisée entre médecins et pharmaciens. Je suis en pleine discussion avec les syndicats nationaux sur une possible extension de ce dispositif et j'envisage de passer à une généralisation dans les trois ans. Cela suscite des questions et des craintes auxquelles nous sommes en train de répondre, mais je pense que ce sera évidemment totalement nécessaire si on veut avancer.

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