Intervention de Pierre Simon

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 11h30
Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Pierre Simon :

Je commencerai par préciser que la télémédecine n'est qu'un moyen, et je regrette que les médias la présentent toujours comme un outil, car elle est avant tout un moyen organisationnel. Les problèmes qu'elle rencontre aujourd'hui dans son développement relèvent de l'organisation : on ne peut pas faire de télémédecine sur le modèle d'une organisation traditionnelle.

Je ferai deux remarques au sujet des plateformes de consultation. Premièrement, la consultation par téléphone proposée par certaines d'entre elles me paraît être de la sous-consultation – la Société française de télémédecine a toujours été opposée à cette pratique qui n'est rien de plus que du conseil médical par téléphone. En effet, tout praticien sait qu'une consultation digne de ce nom ne peut se faire par téléphone, sans que le médecin puisse voir son patient et sans même qu'il sache qui il est. Nous avons été satisfaits de constater que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 rétablissait l'obligation de faire les téléconsultations par vidéotransmission.

Pour un médecin, le fait de voir son patient constitue déjà une donnée importante en matière d'examen clinique. La téléconsultation par vidéotransmission a d'ailleurs initialement été imaginée comme une prise en charge alternative aux consultations en face-à-face, afin de répondre à la demande des patients atteints de maladies chroniques. Dans le cadre de mes fonctions au ministère, je me suis inspiré du rapport de l'ancienne ministre Élisabeth Hubert, ancien médecin généraliste, qui avait clairement montré qu'une proportion importante de patients ne se rendait au cabinet de leur médecin que pour obtenir le renouvellement d'une ordonnance, sans que leur visite donne lieu à un suivi clinique. Sur ce constat, nous avions préconisé dans notre rapport de 2009 que, pour les patients atteints de maladies chroniques, les consultations en face-à-face puissent alterner avec des téléconsultations programmées – cette idée a été reprise dans le décret de 2010.

Par ailleurs, dès l'arrivée des premiers smartphones, on a vu apparaître une demande en matière de santé mobile, vite relayée par de grands assureurs désireux de mettre en place des plateformes de téléconsultation. Nous avons donc travaillé, avec le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), à la définition du téléconseil médical personnalisé, une pratique médicale différente de la téléconsultation. On peut regretter que l'analyse juridique du décret – effectivement insuffisant – ait conduit les pouvoirs publics, représentés par certaines agences régionales de santé (ARS), à considérer qu'il était possible de faire des consultations par téléphone. Cela a jeté le trouble dans le milieu médical et dans le milieu ordinal, dans la mesure où tout le monde avait conscience qu'il ne s'agissait que d'une sous-consultation.

Heureusement, des solutions correctives sont apparues avec le développement des objets connectés, qui a permis la mise en place de téléconsultations enrichies, permettant notamment de prendre la tension artérielle ou la fièvre, ou d'examiner les tympans d'un enfant. Aujourd'hui, il existe donc des plateformes permettant une téléconsultation qui, enrichie d'objets connectés, est assez proche en termes de qualité de l'examen clinique en cabinet, et a vocation à être intégrée au parcours de soins primaires.

La Société française de télémédecine préconise une coopération entre les cabinets de soins primaires, qui ne sont pas capables de faire face à toute la demande actuelle, et ces plateformes de téléconsultation de qualité. Ainsi, un médecin de soins primaires pourrait laisser sur son répondeur le vendredi soir, quand il ferme son cabinet, un message invitant ses patients à appeler telle ou telle plateforme, afin que celle-ci lui transmette le résumé des actes médicaux effectués en son absence.

Les plateformes doivent faire un effort, car l'image qu'elles donnent aujourd'hui est celle d'une « ubérisation » de la santé, qui serait fondée sur un marché de la téléconsultation. Or, les plateformes de téléconsultation bien structurées et recourant aux objets connectés n'ont rien à voir avec le marché de la téléconsultation : elles sont censées apporter une aide à l'exercice des soins primaires, en coopération avec les cabinets médicaux. En résumé, il ne faut pas reconnaître les plateformes n'ayant pour objectif que d'être présentes sur le marché de la téléconsultation, sans aucune réflexion sur le parcours de soins primaires, mais au contraire encourager les plateformes dotées d'équipements de bonne qualité, et acceptant de coopérer avec les cabinets de soins primaires.

Deuxièmement, j'estime qu'il faut demander aux plateformes qui se sont autoproclamées plateformes de consultation, alors qu'elles n'établissent qu'une communication téléphonique entre le médecin et le patient, de devenir des plateformes de téléconseil médical. Je ne suis absolument pas choqué de voir des assureurs et les mutuelles s'intéresser à la prévention et permettre pour cela à leurs assurés d'obtenir des conseils par téléphone : cela peut répondre en partie aux besoins de notre société de l'immédiateté. En revanche, il faut exiger de toute plateforme voulant faire de la consultation qu'elle se dote des équipements nécessaires complémentaires – non seulement ceux permettant la vidéotransmission, mais également ceux permettant de consolider le diagnostic.

Nous disposons d'un excellent modèle en Europe, que nous ne suivons malheureusement pas : celui des centres d'appels médicaux Medgate et Medi24 en Suisse, qui ont plus de quinze ans d'expérience. Une vingtaine d'assureurs ont conclu un accord pour demander à leurs affiliés d'appeler l'une de ces plateformes avant de se rendre chez le médecin traitant, ce qui permet une première orientation des patients sous la forme d'un téléconseil. Une partie des appels relève de la « bobologie » et peut être réglée rapidement par le médecin intervenant sur la plateforme, qui peut par exemple établir une ordonnance et l'envoyer à la pharmacie. Je précise que les ordonnances sont très rares en Suisse – elles n'y représentent que 8 % des appels –, contrairement à la France, où les plateformes de consultations par téléphone, que j'appelle des plateformes de téléconseil, ont été définies par rapport à leur capacité à faire de la téléprescription. À mon sens, il faut justement essayer de rompre avec l'idée selon laquelle tout appel médical doit donner lieu à une prescription médicamenteuse et, d'une part, privilégier la notion de parcours de soins pour les maladies chroniques, d'autre part, apprendre aux patients atteints de maladies aiguës à se prendre en charge, en leur proposant du conseil en automédication : ce pourrait être l'une des missions premières des mutuelles que d'apprendre aux gens à prendre du Doliprane ou des antipyrétiques à bon escient.

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