Intervention de Benoît Assémat

Réunion du mercredi 13 juin 2018 à 11h00
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Benoît Assémat, conseiller sécurité sanitaire au département risques et crises de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) :

Pourquoi les scandales sont-ils de plus en plus fréquents ? La fraude alimentaire est probablement plus fréquente qu'on ne l'imagine : on peut l'estimer à plusieurs dizaines de milliards d'euros sur l'ensemble de la chaîne alimentaire mondiale. La fraude et les contrefaçons existent dans l'alimentation, le médicament ou d'autres secteurs. On ne voit que la pointe émergée de l'iceberg.

On peut incriminer notamment la complexification des circuits commerciaux et une pression toujours plus forte sur les prix des matières premières. Prenons l'exemple des nuggets, donné dans le livre « Bon appétit ! » d'Anne de Loisy. Pour de la viande de poulet de bonne qualité, les fournisseurs pratiquent un certain prix. Dans le cadre d'une promotion, on leur demande de baisser ce prix. Au hasard, disons qu'on leur demande de passer de 3 euros à 2 euros. Pour les fournisseurs, c'est encore possible. Puis un acheteur leur demande de passer à 1,20 euro, un prix inférieur à coût de revient auquel il est impossible de fournir une vraie matière première. C'est le début du cercle vicieux : quelques fournisseurs vont inventer quelque chose pour transformer le plomb en or, aidés en cela par le développement de la « malbouffe » qui a habitué les gens à manger des mélanges de peaux, de tendons, de viandes séparées mécaniquement. Dans ce contexte de pression sur les prix, qui est d'une force extraordinaire, il y a forcément des gens qui vont essayer de s'infiltrer et de tricher.

Si la fraude est aussi ancienne que l'être humain, les fraudeurs s'arrangent désormais pour éviter les dégâts collatéraux sanitaires de court terme qui survenaient auparavant. Ils savent que de tels dégâts seraient immédiatement détectés grâce aux contrôles mis en place par le ministère de la santé et de Santé publique France. Les fraudes sont organisées de façon à provoquer le moins possible de risques sanitaires car c'est une condition de la pérennité des gains qu'elles permettent de réaliser.

Il faut être honnête et regarder les raisons de ces scandales alimentaires. Sont-ils plus fréquents ? Nul ne le sait, car on ne connaît qu'une partie des fraudes. Ce qui est sûr, c'est que les industriels savent beaucoup plus de choses que les administrations. Les grands groupes ont des dispositifs de contrôle très pointus à leur siège, dans leurs établissements, sur leurs chaînes de fabrication. En l'état actuel des textes, ils ne sont tenus de signaler aux autorités que les anomalies constatées sur les produits mis en vente. Dans l'affaire Lactalis, il y avait eu des autocontrôles positifs à la salmonelle sur l'environnement – la tour de séchage, des sachets, des balais – mais il n'y avait pas d'obligation de les signaler aux autorités. Une fois informées, les autorités sont tenues de réagir. Or si elles étaient informées de tout, elles ne pourraient pas faire face.

Il faut donc créer un système de confiance et de proximité entre les industries alimentaires et les autorités de contrôle, afin que l'information circule sans que cela nuise au bon fonctionnement des uns et des autres. L'industriel ne sait pas comment l'information sera traitée par l'autorité et peut redouter des répercussions négatives sur ses propres productions. C'est pourquoi il faut créer quelque chose de nouveau : une activité de renseignement, au sens large du terme, sur la chaîne alimentaire. C'est une nécessité absolue, le seul moyen d'anticiper ces scandales et d'éviter qu'ils ne deviennent de plus en plus fréquents. Actuellement, on en a un ou deux par an, mais tout dépend comment on compte.

S'agissant des relations entre les administrations, il existe sûrement plusieurs solutions pour améliorer l'efficacité des contrôles. La plus englobante conduirait à placer toutes les administrations de contrôle et les parties prenantes dans une agence ou un établissement public, sous l'autorité des différents ministères concernés. Comme on a créé l'ANSES il y a vingt ans dans un contexte de crise sanitaire, on pourrait imaginer un nouvel opérateur qui soit en mesure d'agir dans le domaine de la gestion du risque. La loi de juillet 1998, qui a donné naissance à l'ANSES, a permis de rénover le dispositif d'évaluation du risque. Vingt ans plus tard, il ne fait aucun doute que le moment est venu de rénover le dispositif de contrôle et de gestion des risques.

On peut aussi imaginer qu'un ministère soit complètement en charge des enjeux d'alimentation et de protection des consommateurs. Du coup, il rassemblerait les deux volets : sanitaire et répression des fraudes. On peut encore envisager que le dispositif reste interministériel. Il faudrait alors que les responsabilités de chacun soient mieux définies qu'elles ne le sont actuellement et qu'une structure chapeau permette d'articuler le travail des différentes administrations de contrôle. Voyez qu'il y a plusieurs formules possibles, et je me garderai bien de vous indiquer celle qu'il faut retenir. Il vous revient de faire ce choix.

Le réseau de laboratoires a été considérablement fragilisé. On ne s'en est pas rendu compte il y a trente ans, lors de la décentralisation, lorsque l'État a permis aux conseils généraux de l'époque de s'occuper des laboratoires d'analyses. Il ne s'agissait pas d'un transfert de compétences. On leur disait simplement : vous pouvez vous en occuper, c'est à vous. Tout cela fonctionnait particulièrement bien au début : des investissements importants ont été consentis ; des progrès considérables ont été réalisés en matière de structuration du réseau, de qualité du travail, de formation des personnels. C'était une période très intéressante.

À présent, cela ne fait pas partie des missions prioritaires des conseils départementaux. D'aucuns pensent même que cela ne fait pas du tout partie de leurs missions. C'est pourquoi les conseils départementaux sont très ennuyés. Or les autorités de contrôle doivent pouvoir s'appuyer sur un réseau de laboratoires officiels, de terrain, de proximité pour les autopsies des grands animaux que vous évoquez et pour une quantité d'autres besoins d'analyses. Le sujet est sur la table depuis de nombreuses années. Tout le monde s'en occupe, notamment l'Assemblée des départements de France (ADF). Il faut trouver une solution qui s'articule avec les besoins de l'administration de contrôle.

Que vous dire sur le CETA ? On peut plaider pour un système fondé sur la relocalisation des productions et l'information des consommateurs. Ceux-ci doivent savoir ce qu'ils achètent, connaître les caractéristiques nutritionnelles des produits au moyen d'outils comme le Nutri-Score. Pourquoi ne seraient-ils pas informés sur le degré de transformation des aliments ? Dans un tel système, le consommateur deviendrait un acteur de l'amélioration de sa propre alimentation et un levier pour que l'industrie agroalimentaire aille dans le sens de produits meilleurs pour la santé. À noter que la transformation des aliments et les produits ultra-transformés émergent dans les débats actuels alors qu'ils n'étaient pas dans nos esprits il y a encore cinq ou dix ans…

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