Je suis professeur en sécurité chimique des aliments, à Oniris, un établissement issu de la fusion entre l'Ecole vétérinaire de Nantes et l'Ecole nationale d'ingénieurs des techniques des industries agricoles et alimentaires. Nous dépendons de la direction générale de l'enseignement et de la recherche (DGER) du ministère de l'agriculture.
Je dirige le Laboratoire d'étude des résidus et contaminants dans les aliments. Le LABERCA est une Unité mixte de recherche – ONIRIS et le département « alimentation humaine » de l'INRA y sont associés – qui s'intéresse à l'exposome.
Le concept d'exposome renvoie à la totalité des expositions à des facteurs environnementaux – les aspects génétiques sont a priori exclus – que subit un organisme humain de sa conception à sa fin de vie, ce qui inclut le développement in utero.
Ce concept a été intégré à l'article 1er de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé. Il avait été proposé, dès 2005, par Christopher P. Wild, aujourd'hui directeur du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) basé à Lyon.
Aux côtés des maladies d'origine génétique se trouve un champ, de plus en plus étendu semble-t-il, de pathologies d'origine environnementale et sociale, comme l'obésité. Jusque-là, l'essentiel des travaux en santé-environnement a consisté à associer un contaminant, souvent chimique, un mécanisme toxique et une pathologie. Or la relation entre un seul contaminant et un seul effet associé est rarissime. Cela ne reflète pas la réalité d'expositions souvent multiples et complexes.
L'Agence européenne des produits chimiques – European Chemicals Agency (ECHA) –, basée à Helsinki, a recensé à partir des déclarations d'industriels plus de 100 000 molécules susceptibles de causer des effets sur la santé. C'est dire l'importance du challenge.
Le LABERCA contribue à étayer le concept d'exposome par la génération massive de données d'exposition externe. L'une des missions de notre laboratoire est de caractériser les niveaux de contamination des denrées alimentaires. Nous nous sommes beaucoup investis ces dix dernières années aux côtés de l'AFSA, puis de l'ANSES, pour produire les premières grandes études d'exposition de la population française.
Ce sont des études que vous connaissez certainement sous l'abréviation EAT –pour « étude alimentation totale ». Nous avons contribué à l'EAT 2 – sur la population générale française –, à l'EAT infantile – pour les 0-3 ans, et nous travaillons sur l'EAT des enfants allaités au sein, une étude qui devrait faire grand bruit. Nous avons aussi participé à des études particulières, comme CALIPSO – « Consommations alimentaires de poissons et produits de la mer et imprégnation aux éléments traces, polluants et oméga 3 ». Nous produisons également des données à l'international. Aux côtés de la FAO et de l'OMS, nous travaillons actuellement à une grande étude sur l'alimentation totale en Afrique subsaharienne.
Le LABERCA produit aussi des données d'imprégnation. Il s'intéresse à ce qui circule dans les organismes humains, le sang, l'urine, le lait, à d'autres compartiments, lorsqu'ils sont accessibles, comme le tissu adipeux ou le placenta, pour caractériser ce spectre large de contaminants chimiques présents dans les organismes, produits de dégradation ou métabolites directs.
De manière à pouvoir mettre en relation ces données avec certaines pathologies chroniques chez l'homme, il convient d'effectuer ce que l'on appelle des prises d'empreinte métabolique, pour savoir à quelle hauteur les organismes ont été perturbés par l'exposition. Il s'agit de la métabolomique, des approches non ciblées, sans a priori et qui recouvrent bien des défis d'un point de vue scientifique.
Dans cet exercice, ce sont les études d'association qui sont les plus faciles à faire : les valeurs d'exposition dont nous disposons sont associées à des maladies. En revanche, le lien de causalité est extrêmement difficile à établir. C'est en ce sens que les approches de type métabolomique représentent un espoir. Elles permettront d'enchaîner les différentes informations et les différentes natures de signaux.
Le LABERCA est aussi le laboratoire national de référence (LNR) pour un certain nombre de substances chimiques environnementales, comme les dioxines, les PCB, les retardateurs de flammes bromés, les composés perfluorés ou d'autres composés émergents.
Historiquement, le LABERCA est un laboratoire de référence pour tout ce qui concerne les substances vétérinaires interdites, hormones ou promoteurs de croissance. Depuis 1990, nous sommes en quelque sorte le laboratoire antidopage de l'élevage, et nous entretenons des relations étroites avec nos homologues des sports hippiques ou athlétiques. À ce titre, nous avons travaillé sur des composés malheureusement célèbres, les stilbènes, les stéroïdes, les bêta-agonistes, l'hormone de croissance. Ce sont des composés que nous surveillons de très près en élevage, puisqu'ils sont interdits en Europe.
Nous appuyons à ce titre l'autorité compétente, la direction générale de l'alimentation (DGAL) – et nous entretenons des liens étroits avec la direction générale « Santé » à Bruxelles. En tant que LNR, nous avons un rôle de pilote. Nous développons des méthodes de mesures que nous transmettons aux laboratoires de première intention – autrefois les laboratoires vétérinaires départementaux. Nous accompagnons la DGAL pour leur délivrer des agréments, afin qu'ils participent aux plans de surveillance et aux plans de contrôle nationaux.
Au niveau européen, les plans de surveillance supposent l'analyse de 750 000 échantillons par an – 50 000 échantillons en France. Un rapport de l'EFSA révèle un taux de non-conformité de 0,3 %, cohérent avec les chiffres observés ces dix dernières années.
Les non-conformités sont assez différentes selon les pays, et selon qu'il s'agit de résidus de médicaments vétérinaires, de résidus de pesticides ou de contaminants environnementaux. Globalement, nous n'avons pas trop d'inquiétude aujourd'hui sur les composés interdits : les taux de non-conformité sont relativement bas – 0,2 % en moyenne.
Pour le groupe B1 de la directive 9623, les antibiotiques, les valeurs sont assez basses, autour de 0,2 % de non-conformité. Comme ces produits sont autorisés, c'est le dépassement de limite maximale de résidus (LMR) que nous recherchons.
Pour les autres principes pharmacologiquement actifs, comme les anti-inflammatoires non stéroïdiens, les corticostéroïdes ou les sédatifs, l'ordre de grandeur est à peu près le même : 0,2 % de non-conformité sur les chiffres de 2016, dans la lignée des résultats des années précédentes.
C'est sur les contaminants environnementaux de type éléments-traces métalliques, comme le cadmium, le plomb, le mercure ou le cuivre, que nous observons les taux de dépassement les plus forts – jusqu'à 5 %. Nous subissons là la pression de l'environnement et obtenir des aliments un peu moins contaminés prendra certainement beaucoup plus de temps.