Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du lundi 31 juillet 2017 à 11h30
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir permis de revenir devant votre commission suite à l'engagement que j'avais pris, le 13 juillet dernier, de dresser le bilan de la concertation avec les partenaires sociaux. Ces derniers ont été reçus, vous l'avez rappelé, par le Président de la République, puis par le Premier ministre et par moi-même. Nous avons ensuite organisé quarante-huit réunions au ministère du travail. Nous avons conclu ce cycle de concertation en recevant à nouveau, avec le Premier ministre, les présidents et secrétaires généraux de ces huit organisations représentatives. Cela ne veut pas dire que la concertation soit terminée : les discussions reprendront fin août sur les textes des ordonnances. Mais l'essentiel du paysage est posé et, dans le cadre du projet de loi d'habilitation, nous avons connaissance de l'ensemble des données et des points de vue approfondis de chaque partenaire social.

Il était très important pour moi de revenir devant vous, pour deux raisons.

En premier lieu, je suis attachée, comme vous tous, à un traitement équitable entre le Sénat et l'Assemblée nationale. Il est essentiel que vous disposiez des mêmes éléments que les sénateurs, quelques heures avant que la commission mixte paritaire (CMP) se réunisse, en ces murs, cet après-midi. Eu égard au calendrier législatif et à celui des concertations, j'ai pu apporter, en séance publique au Sénat la semaine dernière, des éléments plus précis sur le troisième volet de la concertation que ceux que j'avais portés à la connaissance de l'Assemblée nationale. En effet, ce volet s'est conclu le 25 juillet, au moment où nous examinions les amendements au Sénat.

En second lieu, nous avons la volonté d'articuler en permanence démocratie politique et démocratie sociale, afin de trouver des solutions calibrées, opérationnelles, dont la mise en oeuvre sera facilitée par la concertation et par la position du Parlement. Cette co-construction, inédite, suppose une présentation approfondie.

Comme vous le savez, le premier cycle de concertation, du 12 au 22 juin, était consacré à l'articulation de l'accord d'entreprise et de l'accord de branche et à l'élargissement du champ de la négociation collective. Puis, du 24 juin au 4 juillet, a eu lieu le deuxième cycle de négociation, qui traitait de la simplification et du renforcement du dialogue social et économique, ainsi que du renforcement de ses acteurs dans l'entreprise.

Avant d'aborder le troisième cycle, je préciserai qu'à la fin du mois d'août une dernière concertation aura lieu avec les partenaires sociaux sur le contenu des ordonnances. Certains sujets ont déjà été évoqués dans le cadre du projet de loi d'habilitation, mais d'autres restent à trancher dans le cadre de ces ordonnances. Il est, de ce fait, important d'en informer les partenaires sociaux avant qu'elles ne soient publiées.

Le Sénat a consacré quarante heures de débat à ce texte – en commission puis en séance –, soit autant que l'Assemblée nationale. Le texte y a été adopté jeudi dernier par 186 voix, celles des Républicains et de l'Union centriste, contre 106, venant des groupes Communiste républicain et citoyen (CRC) et Socialiste et républicain – et 46 abstentions des sénateurs de La République en marche (LREM) et du Rassemblement démocratique et social européen (RSDE). Il faut préciser que si les sénateurs LREM n'ont pas voté le projet de loi, c'est parce qu'ils étaient défavorables à certains amendements adoptés par le Sénat. En séance, trente-sept amendements ont été adoptés, dont dix-huit du Gouvernement, six des Républicains, cinq de l'Union centriste, six du groupe socialiste et un du groupe CRC. Malgré les divergences entre les versions de l'Assemblée et du Sénat, le texte comporte également de nombreux points de convergence. À ce stade, cela n'obère par conséquent pas les chances de réussite de la CMP, ce dont je me réjouis, même si cela reste du ressort des parlementaires.

J'en viens aux résultats de la concertation sur le troisième volet, la sécurisation juridique des relations de travail. À la différence des deux premiers volets, comportant deux à trois mesures phares, ce thème – par sa nature même – comporte toute une série de mesures qui, prises individuellement, ne sont peut-être pas aussi importantes que la définition entre la branche et l'entreprise ou la création du comité social et économique, mais qui visent, pour les employeurs comme pour les salariés, à sécuriser et simplifier les relations du travail en France, relations qui, du fait de leur complexité, manquent de clarté et donc parfois d'équité. Nous favoriserons ainsi l'investissement, l'emploi et l'attractivité des entreprises, mais également une meilleure conciliation de la vie personnelle et de la vie professionnelle. L'exemple du télétravail, sur lequel l'Assemblée nationale s'est longuement penchée, s'inscrit parfaitement dans cet objectif. C'était un débat important à mes yeux. Nous souhaitons adopter des dispositions résolument tournées vers le futur.

Trois orientations principales se dégagent de cette concertation. En premier lieu, nous souhaitons sécuriser la rupture du contrat de travail dans le respect des droits et obligations actuelles des salariés et des employeurs. Pour cela, nous mettrons en place un barème impératif de dommages et intérêts, fondé sur l'ancienneté, applicable à tous, avec un plancher et un plafond laissant une marge d'appréciation au juge. Ce barème a pour objectif de lever la peur de l'embauche – que cette peur soit rationnelle ou irrationnelle d'ailleurs –, notamment dans les PME et TPE, qui sont principalement concernées. Sont exclus les cas de discrimination, de harcèlement et d'atteintes fondamentales aux droits des salariés : le plafond ne s'appliquera pas à ces situations. Vous le voyez, nous avons quasiment défini, sur ce sujet, le contenu même de l'ordonnance.

Le Gouvernement a par ailleurs décidé d'augmenter les indemnités légales de licenciement. Je l'ai annoncé à l'Assemblée nationale. Je rappelle qu'elles s'appliquent à tous les licenciements, qu'ils fassent, ou non, l'objet d'un recours aux prud'hommes.

Nous souhaitons également encourager la conciliation, dans la droite ligne des évolutions positives enregistrées ces dernières années : il convient de « prévenir plutôt que guérir », d'encourager la conciliation plutôt que le contentieux. Nous travaillons à une réforme de la procédure, mais également, le cas échéant, à rendre le régime fiscal et social de la conciliation plus avantageux que celui de la procédure contentieuse. À l'heure actuelle, c'est l'inverse, du fait d'une superposition de taxes.

Nous allons aussi proposer aux entreprises – j'y veille de près – un formulaire de type CERFA, élaboré avec les partenaires sociaux, simple, et mobilisable au moment de la rupture du contrat de travail. Ainsi, les droits des salariés seront mieux protégés et les très petites entreprises (TPE) et les PME seront plus en mesure de respecter les règles de forme, dont la violation induit aujourd'hui beaucoup de contentieux. On ne peut demander à ces TPE et PME de recruter un directeur des ressources humaines, un juriste et un avocat…

Enfin, nous allons harmoniser les délais de recours, qui sont actuellement différents, par exemple, en cas de licenciement individuel ou de licenciement économique. De ce fait, encore une fois, le droit n'est pas lisible. Les salariés comme les employeurs se perdent entre les différents délais et n'agissent pas à temps.

En deuxième lieu, nous souhaitons sécuriser les évolutions dans l'organisation des entreprises, sans remettre en cause les droits et la protection des salariés. Nous allons tout d'abord prévoir un régime juridique pour les plans de départs volontaires sans départs contraints, qui encadre aussi le congé de mobilité professionnelle et favorise la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ces points sont, aujourd'hui, uniquement régis par la jurisprudence.

Par ailleurs, nous modifierons le périmètre mondial d'appréciation des difficultés économiques des entreprises pour favoriser l'investissement des entreprises et l'emploi des salariés en France, en insérant des conditions qui soient plus en phase avec la réalité des entreprises. En l'état actuel, cette protection ne fonctionne pas.

Nous réviserons également la procédure de reclassement, de telle sorte que l'obligation de reclassement de l'employeur soit réelle et moins formelle.

Nous allons en outre adapter les modalités du licenciement économique à la taille des entreprises et favoriser les reprises d'activité.

Enfin, nous sécuriserons les accords collectifs permettant le travail de nuit, sans remettre en cause son caractère exceptionnel.

En troisième lieu, nous voulons sécuriser et adapter le droit aux nouvelles aspirations des salariés, d'une part en modernisant et en sécurisant le régime juridique du télétravail pour en faire une modalité de travail de droit commun, conformément aux aspirations d'un nombre croissant de salariés et, d'autre part, en rendant accessible par voie numérique les dispositions légales applicables aux employeurs comme aux salariés, afin que chacun connaisse mieux ses droits et ses devoirs.

Ces sujets ayant déjà été abordés en commission puis en séance, je ne m'étendrai pas, afin que vous puissiez me poser vos questions et que je puisse y répondre précisément. Quelques points non encore tranchés seront travaillés au mois d'août mais, comme vous pouvez le constater, le paysage s'est bien éclairci depuis ma première audition devant la commission.

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