Intervention de Muriel Pénicaud

Réunion du lundi 31 juillet 2017 à 11h30
Commission des affaires sociales

Muriel Pénicaud, ministre du travail :

Je suis tout à fait disposée, monsieur Vallaud, à donner suite à votre proposition de rencontrer des représentants des groupes politiques au début du mois de septembre, selon des modalités qui restent à préciser.

Le seuil en deçà duquel il sera possible de négocier directement avec les salariés non mandatés par les organisations syndicales représentatives est une question importante pour toutes les parties concernées, et qui n'a pas encore été arbitrée : elle le sera au mois d'août.

Même si le mandatement syndical est très rarement mis en oeuvre, car il ne semble satisfaire ni les salariés ni les employeurs, nous n'avons pas l'intention de supprimer ce mécanisme qui peut, dans certains cas, constituer une solution. Ce que nous souhaitons, c'est que la négociation se fasse en priorité avec le délégué syndical, et à défaut avec des élus ou des salariés mandatés : c'est seulement en l'absence de délégué et de mandaté qu'il faut trouver une autre solution.

S'agissant de ma conception de l'entreprise, comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je considère qu'il s'agit d'un lieu de création de richesses et d'emplois, contribuant à la solidarité par l'assujettissement à l'impôt, et qui, pour réussir, doit s'inscrire dans la durée. Je précise que, pour assurer sa pérennité et sa croissance, une entreprise doit tenir compte de l'avis de toutes ses parties prenantes : ses actionnaires – car il est normal de consulter ceux qui ont investi de l'argent dans l'entreprise –, mais aussi ses clients, ses salariés, et même le territoire où elle est implantée, car le développement durable, orientation désormais intégrée à toutes nos politiques, recouvre des aspects à la fois économiques, sociaux et environnementaux.

Cette évolution, qui correspond à une mutation de la société, ne se fera pas par décret. Nous avons eu le choix entre deux options : d'une part, celle qui consiste à tout préciser en détail dans la loi, considérée comme le seul garant ; d'autre part, celle qui part du principe que le dialogue social a une valeur telle que c'est seulement en le renforçant – dans des conditions et des limites fixées par la loi – que nous pourrons obtenir un progrès économique et social. C'est cette seconde option qui a eu notre préférence, et c'est pourquoi tout le projet de loi repose sur une idée simple, selon laquelle la priorité doit toujours être de chercher à renforcer le dialogue social et son contenu dans la branche et dans l'entreprise. En d'autres termes, il faut trouver des moyens de donner plus de substance au dialogue social et de conforter ses acteurs au sein de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, en sécurisant ce qui doit l'être.

Nous sommes fermement convaincus que le dialogue social a la capacité de produire de la valeur économique et sociale. Si, dans quelques années, il n'y a pas plus de dialogue social en France, c'est que notre loi n'aura pas atteint son objectif ; s'il y a plus de dialogue social, c'est que la loi aura permis aux différents acteurs concernés de se saisir, bien plus qu'ils ne le font aujourd'hui, de la question de la création de valeur économique et sociale – le tout, je le répète, dans des limites et avec les filets de sécurité posés par la loi.

Je vous remercie pour vos questions relatives aux CHSCT, qui me donnent l'occasion de revenir sur un sujet important, très largement évoqué lors des débats au sein de votre assemblée et au Sénat, mais aussi dans le cadre des discussions avec les partenaires sociaux. La vraie question n'est pas tant celle de la fusion des instances que celle des politiques de prévention à mettre en oeuvre en matière de santé, de sécurité au travail et de conditions de travail.

Tout le monde s'accorde à penser que le sujet essentiel est celui de la prévention. Certes, elle ne suffit pas, ce qui implique de réfléchir également aux dispositifs de réparation, mais elle est bien la plus importante. Il y a également consensus sur le fait que si la prévention doit porter sur certaines pratiques en matière de sécurité, elle concerne aussi l'organisation du travail, qui a de nombreuses incidences en matière de santé et de sécurité. Impliquant l'ensemble du management, des salariés et des organisations syndicales, la prévention est un sujet d'ordre général dans l'entreprise.

Personne ne doute de l'intérêt du CHSCT, qui a permis des progrès considérables en matière de prévention en France. Le problème, c'est que cette préoccupation n'est pas prise en compte au niveau stratégique dans l'entreprise : elle reste une action limitée au niveau du CHSCT, c'est-à-dire d'un comité spécialisé. Ce que nous attendons de la fusion des instances, c'est que ce sujet atteigne le niveau stratégique au sein de l'entreprise, ce qui permettra qu'il soit discuté en même temps que les sujets d'ordre économique. Cela a son importance, car les choix faits en matière économique conditionnent la création d'un contexte favorable ou défavorable à la mise en oeuvre de mesures de prévention efficaces en matière de sécurité et de santé.

En aucun cas il n'est question de baisser la garde sur des sujets que nous estimons fondamentaux : la seule question qui se pose est celle consistant à savoir comment progresser sur ces sujets. Nous proposons de faire en sorte que la prévention fasse l'objet d'une réflexion menée au niveau stratégique de l'entreprise plutôt qu'au sein du CHSCT, une instance composée de personnes désignées, et non élues par les salariés, et où le chef d'entreprise ne siège généralement pas. En portant la question de la prévention au niveau de la future instance unique que sera le comité social et économique, nous allons donner aux débats sur cette question une importance beaucoup plus grande.

Nous avons entendu la crainte, exprimée par plusieurs parties concernées, de voir la question de la prévention perdre de sa substance du fait de la nouvelle organisation : intégrés à un ordre du jour général, les différents sujets s'y rapportant pourraient ne pas se voir consacrer suffisamment de temps, voire ne pas être examinés faute de temps. Il s'agit là d'une préoccupation légitime, c'est pourquoi, sans remettre en cause le principe de la fusion des instances, nous pensons que, dans certains cas – cela dépend de la taille des entreprises, ainsi que de la nature de leurs activités, présentant plus ou moins de risques pour la sécurité et la santé des salariés –, une commission spécialisée pourrait préparer le travail du comité social et économique en examinant dans le détail les sujets présentant une certaine complexité.

La possibilité d'ester en justice ou de recourir à une expertise est intégralement maintenue, comme je l'ai déjà dit devant votre assemblée et au Sénat. Elle sera inscrite dans les ordonnances, qui prévoiront de transférer du CHSCT au comité social et économique la compétence pour ester en justice ou demander une expertise, notamment en cas de risque grave.

Nous allons améliorer l'articulation économique et sociale en reliant le stratégique à l'opérationnel et en maintenant tous les moyens d'approfondir les différents sujets de sécurité et de santé au travail, qui restent une obligation pour l'employeur et, au-delà, pour tous. La prévention est une question d'intérêt général sur laquelle il n'est pas question de baisser la garde, d'autant qu'elle est en constante évolution du fait des changements survenant dans les organisations, les technologies et les risques : si l'on a ainsi constaté, au cours des vingt dernières années, un léger recul des troubles musculo-squelettiques (TMS), d'autres risques ont pris une importance accrue.

En ce qui concerne le rôle des organisations syndicales dans le dialogue social, dès lors que l'on entend miser sur le dialogue social pour permettre à l'entreprise de créer de la valeur – pour l'entreprise elle-même et pour ses salariés –, il est important de s'assurer que les élus du personnel et les représentants syndicaux sont outillés pour le faire. De nombreux points ont été évoqués avec les partenaires sociaux, portant sur leur formation, sur la reconnaissance des parcours et des compétences, sur la possibilité pour les personnes concernées de reprendre et de continuer leur carrière au sein de l'entreprise – ce qui n'a rien d'évident –, ou encore sur la discrimination syndicale – un phénomène qui, s'il n'est pas général, n'en est pas moins réel, comme l'a montré un récent rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), et inacceptable. Sur ces différents sujets, j'ai donné mission à M. Jean-Dominique Simonpoli, dont la compétence est reconnue par tous les acteurs, et qui dirige l'association Dialogues, de me faire parvenir avant la fin de la semaine des propositions qui viendront nourrir la réflexion sur tous ces sujets, notamment la sécurisation des parcours syndicaux.

Considérant que l'on ne peut pas tout mettre dans la loi, qui a vocation à définir les principes du dialogue social et les conditions dans lesquelles ses acteurs doivent pouvoir l'organiser, il faut faire en sorte de donner plus de substance aux discussions ayant lieu au niveau de la branche – selon des modalités particulières pour les plus petites entreprises –, tout en renforçant le statut des élus du personnel et des responsables syndicaux afin de leur permettre d'effectuer leur mission dans les meilleures conditions. Tel est l'objet de ce projet de loi, qui s'inscrit dans une démarche de cohérence et vise à atteindre un équilibre satisfaisant pour tous les acteurs impliqués.

Enfin, comme vous ne l'ignorez pas, madame Gaillot, nous en sommes aux prémices d'un grand processus de modernisation de la fonction publique, et les premières réunions de concertation avec les représentants du personnel des trois fonctions publiques – d'État, territoriale et hospitalière – viennent tout juste d'avoir lieu. Nonobstant l'intérêt que présente votre question, il est un peu tôt pour y répondre aujourd'hui – et la présente audition n'est pas vraiment le lieu qui convient pour le faire.

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