Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du mardi 26 juin 2018 à 15h00
État au service d'une société de confiance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Monsieur le rapporteur spécial, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes opposés à ce texte.

Aujourd'hui, le « droit à l'erreur » existe déjà : pour certaines démarches déclaratives, l'usager qui aurait commis une faute peut se voir adresser par l'administration une invitation à régulariser, et non une sanction. Le Conseil d'État l'a d'ailleurs rappelé dans son avis sur le texte. L'usager peut également se rendre de lui-même, par exemple au centre des impôts près de chez lui, afin d'informer l'administration d'une erreur qu'il aurait lui-même commise dans sa déclaration d'impôts de l'année n, n-l, n-2 ou même n-3 – à condition, bien sûr, que son centre des impôts ne soit pas fermé, comme tel est le cas dans ma circonscription ; où l'état de fait – la réduction des services publics – conduit à ce que des droits existants ne soient pas respectés… Dans la plupart des cas, l'erreur est corrigée et une régularisation est établie. Cela montre que nous sommes déjà dans une société de confiance relativement compréhensive et humaine.

Ce texte ne simplifie rien, surtout pour l'administration. Il est faux de dire que cette loi simplifiera la vie des Français. Là encore, le Conseil d'État se montre très pessimiste, puisque la création d'une procédure supplémentaire – le droit au contrôle opposable – sans simplification des normes existantes ne facilitera pas les liens entre administrés et administration. Ce droit au contrôle induira au contraire une charge de travail supplémentaire pour l'administration. Celle-ci se verra ainsi confier un rôle de cabinet de conseil ou de cabinet d'audit auprès d'usagers et d'entreprises qui bénéficieront de son expertise sans aucune redevance particulière.

Pire encore : si l'administration, par manque de moyens, n'est pas en mesure d'opérer ce contrôle dans les délais impartis, l'entreprise concernée pourra s'en prévaloir s'il était montré, à l'avenir, qu'elle n'a pas respecté telle ou telle disposition réglementaire.

On pointe ici un danger grave de ce texte : en refusant de doter l'administration des moyens nécessaires pour assumer les nouvelles missions qui lui sont confiées, on risque bien d'affaiblir sa capacité d'inspection et de vérification de la bonne marche de notre société. Ce texte se pare de belles intentions – que n'avons-nous pas entendu depuis le début des discussions ! – en prétendant que toutes les mesures induites peuvent être mises en oeuvre à moyens constants. Pas du tout ! « A moyens en baisse », puisque le plan CAP2022 prévoit des baisses de moyens sans précédents dans l'administration publique avec, notamment, la suppression de 120 000 postes de fonctionnaires !

Le Conseil d'État nous donne encore raison sur ce point, en affirmant que « ce dispositif pourrait porter atteinte au bon fonctionnement de l'administration dès lors qu'il prévoit que celle-ci est tenue de faire droit à cette demande dans un délai raisonnable sans tenir suffisamment compte de ses moyens et de ses effectifs. Les moyens des services de l'État ont souvent été fortement réduits et ne lui permettent pas toujours d'assumer ses missions premières, au risque d'exposer la responsabilité de l'État et la responsabilité pénale de ses agents. » Voilà la réalité !

Concrètement, ce projet de loi, qui va de pair avec l'affaiblissement de l'administration, favorisera les plus riches et les grandes entreprises. Des entreprises, notamment celles qui disposeront des moyens pour être les plus habiles, pourront contourner la loi. En quelque sorte, vous êtes favorables à la tolérance zéro pour les plus faibles mais, vis-à-vis des puissants – que vous servez régulièrement – , vous mettez en place un dispositif qui entraînera des contournements de la loi.

En introduisant un droit à l'erreur qui obligera désormais l'administration à prouver la mauvaise foi de l'administré ou de l'entreprise en tort, vous allez creuser une inégalité devant les sanctions. En effet, vous savez comme moi que les grands groupes possèdent une armée d'avocats et de juristes qui seront mobilisés pour faire tomber l'accusation de « mauvaise foi » portée par l'administration. Toutes les parades seront bonnes pour tenter de montrer que les erreurs commises l'ont été de manière involontaire. L'actualité récente nous a mille fois démontré que certaines directions d'entreprises étaient prêtes à tout pour cacher le non-respect de certaines règles sociales, environnementales ou économiques.

Encore une fois, le Conseil d'État alerte lui aussi sur les dérives qui seront rendues possibles par ces dispositions. Je le cite à nouveau : « Le projet du Gouvernement pourrait emporter des effets d'aubaine au bénéfice des personnes les plus à même de connaître le droit qui leur est applicable et de disposer, en interne, de compétences et de conseils juridiques adaptés à leur situation. » Tout est dit. Ce projet de loi favorisera les entreprises fraudeuses et, disons-le clairement, les patrons voyous.

Ce projet de loi ne s'arrête pas là. Il permettra également de déroger plus facilement et en toute impunité au code du travail – telle était d'ailleurs la logique des ordonnances que vous avez fait adopter dès votre élection.

Il est nécessaire de rappeler la situation actuelle. Lorsqu'une entreprise est reconnue coupable par l'inspection du travail de non-respect des règles sur le temps de repos, le salaire minimum ou encore la durée du temps de travail, elle s'expose à une amende d'un montant maximum de 2 000 euros par travailleur victime de ces manquements à la loi. Pour autant, l'administration peut tout à fait décider de ramener cette amende à zéro euro si elle estime que l'employeur a commis une erreur involontaire. Donc, dans le cas des sanctions infligées par les services des douanes, la bonne foi de l'usager peut d'ores et déjà être prise en compte par l'administration. Ainsi, le présent texte vise davantage à introduire un certain laxisme qu'à simplifier les relations réelles entre les administrés et l'État.

Outre la réduction des droits et de la protection des salariés avec les ordonnances travail, vous autorisez désormais qu'on bafoue impunément ces derniers sur des sujets essentiels comme la durée maximale de travail, le temps de repos, le salaire minimal ou les règles d'hygiène, de restauration et d'hébergement.

Pire encore, si je puis dire : la protection de l'environnement est considérée dans ce texte comme un frein plutôt que comme un objectif. Plusieurs articles veulent « simplifier » le droit environnemental. Désormais, l'État ne prescrira plus des obligations de moyens – comment construire un bâtiment tout en respectant l'environnement ? – mais des objectifs de résultats : si le bâtiment, une fois achevé, répond aux normes, alors peu importe s'il a été construit dans des conditions qui ne les respectaient pas.

L'urgence écologique impose de vérifier qu'à chaque étape d'une activité commerciale ou industrielle, nul dégât irréversible n'est causé à l'écosystème. En matière d'écologie, les exigences doivent être un objectif partagé par toute la société, et non constituer un fardeau. Tout ce qui vise à protéger l'environnement sert l'intérêt général. On ne peut reprocher l'existence de ces normes qu'impose l'intérêt général : elles sont vitales.

L'État manque cruellement d'effectifs pour contrôler le respect des normes environnementales. Nous le savons tous : les contrôles sont rares. Il n'y a pas assez d'inspecteurs ni de contrôleurs du travail – environ 1 246 inspecteurs du travail ont pour mission de surveiller près de 500 000 installations, soit une visite réalisée en moyenne tous les dix ans. On ne peut faire autrement. Le droit à l'erreur ne doit pas s'appliquer en matière environnementale ; c'est pourtant ce que vous nous proposez.

Pour terminer, je souhaite insister sur la laïcité, comme ma collègue Rabault. Il y a un scandale dans ce texte où s'accumulent les cavaliers législatifs et des choses contradictoires.

Avec l'article 38, les associations cultuelles ne seraient plus considérées comme des représentants d'intérêts, comme des lobbies, en quelque sorte. Ce projet de loi est en lien direct avec les cultes qui souhaiteraient se mobiliser pour faire pression sur le Parlement – je renvoie d'ailleurs à la question que j'ai posée tout à l'heure au Gouvernement concernant le rapport très particulier que vous voulez instaurer avec les religions et, particulièrement, avec l'Église catholique. Je crois que vous rendez là un bien mauvais service à la laïcité. Nous en reparlerons.

Vous entretenez de plus en plus des rapports d'instrumentalisation avec les religions. Le respect des fidèles implique pourtant de ne pas nous comporter ainsi avec eux. Oui, j'affirme que l'article 38 modifiera l'article 19 de la loi de 1905, notamment s'agissant du financement des religions. Lorsqu'un culte héritera d'un bâtiment, il pourra désormais se financer par ce biais, ce qui n'était pas le cas auparavant. Vous introduisez là une disposition extrêmement dangereuse qui, je le répète, constitue une remise en cause de la loi de 1905, laquelle était très claire.

1 commentaire :

Le 06/07/2018 à 09:13, Laïc1 a dit :

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"Avec l'article 38, les associations cultuelles ne seraient plus considérées comme des représentants d'intérêts, comme des lobbies, en quelque sorte"

Il y avait donc des lobbies religieux jusqu'à maintenant ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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