Intervention de Alain Bruneel

Séance en hémicycle du mardi 26 juin 2018 à 15h00
État au service d'une société de confiance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bruneel :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, l'échec de la commission mixte paritaire vient de prouver que plusieurs dispositions de ce texte fourre-tout font en réalité les frais d'un désaccord profond sur certaines dispositions contenues dans cette loi.

La nouvelle version de ce projet de loi sera toujours aussi difficile à appréhender tant que ce dernier continuera à être, pour l'essentiel, un texte de simplification des procédures administratives dans des domaines très, voire trop variés.

M. le secrétaire d'État aux comptes publics, Olivier Dussopt, défend un projet de loi empreint d'une « vision positive et bienveillante du service public ». Le groupe GDR souhaiterait partager, dans les actes, cette même vision positive et bienveillante.

Si le texte se veut consensuel dans ses objectifs, rien ne semble avoir changé depuis la première lecture. Ce texte a en effet l'ambition d'améliorer les relations de nos concitoyens avec l'administration, de favoriser le dialogue et de faire en sorte que l'administration conseille et accompagne plus qu'elle ne sanctionne. Comme je l'ai déjà dit lors de l'explication de vote en première lecture, notre groupe ne peut évidemment qu'être favorable à ces orientations, d'autant plus que la société a souvent évolué plus vite que l'administration elle-même.

Qui pourrait, par exemple, s'opposer à la reconnaissance d'un droit à l'erreur ? Comme le dit l'adage, l'erreur est humaine. Nous avons tous, ou presque tous, commis des erreurs ou des étourderies dans nos déclarations. Nous avons tous été confrontés, un jour ou l'autre, à la difficulté de remplir des formulaires incompréhensibles et de fournir, par la même occasion, des pièces justificatives rangées de longue date au fond d'un carton poussiéreux. Alors oui, sur le papier, cette thématique du droit à l'erreur semble être une mesure plutôt séduisante.

Néanmoins, je persiste à dire que si cet objectif est clairement louable, certaines dispositions de ce projet de loi ne le sont pas du tout. Après les ordonnances relatives au travail, qui permettent aux dirigeants de prôner une certaine organisation du travail pour asseoir leur total monopole décisionnel, ce projet de loi vient clairement organiser l'impunité de manquements pouvant être graves de la part de certains employeurs peu scrupuleux. En effet, il est proposé ici de se passer de sanctions administratives à l'encontre d'employeurs négligents « de bonne foi », en permettant à l'inspection du travail de prononcer dorénavant un simple rappel à la loi. Plus que d'un allégement des sanctions à l'encontre des employeurs, c'est d'un renforcement des moyens de l'inspection du travail dont nous avons besoin.

Le droit à l'erreur et le droit au contrôle pourront toujours servir d'alibi à des comportements frauduleux et à des négligences délibérées. Pour prendre des sanctions, l'administration devra au préalable prouver la mauvaise foi du contrevenant, c'est-à-dire mener une enquête et réunir les éléments à charge. L'administration aura donc une nouvelle mission à remplir, alors même que la politique d'austérité à laquelle elle est soumise depuis plusieurs années la prive des effectifs et des moyens qui lui seraient nécessaires. Et ses moyens seront encore plus limités demain, dans la mesure où vous lui confiez, en outre, la tâche d'exercer de nouvelles missions de conseil et d'accompagnement.

Je me permets de vous rappeler que le Conseil d'État, comme le Conseil économique, social et environnemental a déjà pointé les risques d'atteinte au bon fonctionnement des administrations dans le contexte budgétaire contraint qui leur est imposé.

Cette nouvelle version du texte s'évertue encore, par petites touches, et sous couvert d'expérimentations diverses, à dévaluer la valeur normative de la loi, puisqu'elle permet à l'administration de transiger, au cas par cas, sur l'application des règles qui s'imposent à tous. C'est une évolution qui nous paraît dangereuse.

Le présent texte prévoit encore de trop nombreuses phases d'expérimentation. Celles-ci seront plus ou moins longues et ne s'appliqueront que sur certains territoires de la République. Je songe notamment à la mise en place d'un référent unique, afin que les usagers frappent toujours à la même porte et évitent de se perdre dans les services d'une administration parfois trop compliquée. Si l'idée paraît plutôt bonne, ces phases d'expérimentation, dans des territoires définis, entrent en contradiction complète avec le principe d'égalité devant le service public, principe à valeur constitutionnelle qui signifie que toute personne a un droit égal à l'accès aux services. L'égalité devant la loi est ici reléguée au rang de préoccupation secondaire.

Enfin, permettez-moi de faire la lumière sur un amendement du groupe La République en marche qui réintroduit les séjours dits « de répit » pour les aidants dans le champ de l'expérimentation prévue par l'article 29. Je rappellerai que le groupe GDR a déposé en mars dernier, par la voix de Pierre Dharréville, une proposition de loi permettant de dessiner les bases d'un début de reconnaissance sociale pour les proches aidants, et que cette proposition de loi a fait l'objet d'un renvoi en commission. Peut-être la majorité présidentielle craint-elle de ne pas pouvoir prétendre à la paternité d'une telle avancée sociale pour les proches aidants ?

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