Intervention de Gérald Darmanin

Séance en hémicycle du mardi 26 juin 2018 à 21h30
État au service d'une société de confiance — Article 38

Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics :

Il ne m'appartient pas de réécrire les principes philosophiques sur lesquels repose le droit français. Cependant, je souhaite faire un tout petit peu de droit. Il y a bien longtemps, le législateur a voulu qu'il y ait des distinctions entre les associations dites « loi de 1901 » et les associations dites « loi de 1905 ». Le législateur a voulu que la réalité juridique traduise les différences fondamentales existant entre ces deux types d'associations, que reconnaissait le propre concepteur de la loi de séparation des Églises et de l'État – la loi de 1905 parlait bien « des » Églises – , Aristide Briand.

Dans le débat que nous connaissons sur l'organisation des cultes de France, notamment du culte musulman – je me suis un tout petit peu intéressé à cette question, notamment pour avoir succédé, dans un fauteuil de maire, au sénateur de Tourcoing qui fut le rapporteur de la loi de séparation des Églises et de l'État au Sénat – , nous ne pouvons que regretter qu'une très grande partie des associations relevant normalement du cultuel choisissent le statut d'associations culturelles pour bénéficier de facilités que n'offre pas la loi de 1905. Il me semble que c'est l'un des problèmes auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés – mais cela nous éloigne beaucoup de cet article 38…

Aujourd'hui, il n'est aucunement question de retoucher une demi-phrase, un point-virgule, ou même une virgule de la loi de 1905, qui a trouvé son équilibre. La volonté du Gouvernement est, depuis longtemps, de ne pas toucher à cet équilibre, même si l'on peut noter que cette loi a été modifiée de très nombreuses fois depuis 1905 – mais ce ne me semble pas être là non plus l'objet du droit à l'erreur et il serait en tout cas malvenu que le Gouvernement vous propose de changer les paradigmes d'une loi qui a trouvé son équilibre et, finalement, exprime une culture et une conscience bien plus importantes que l'esprit même de la lecture d'un texte.

J'en viens à un débat que j'ai connu ici en tant que parlementaire : le Gouvernement précédent avait proposé exactement le même texte que celui que nous présentons aujourd'hui et qui, je le rappelle à Mmes et MM. les députés, a été voté par votre assemblée dans sa quasi-intégralité, sans aucune discussion dans le cadre de la commission spéciale ni dans le débat parlementaire, qui fut pourtant long – j'y ai moi-même participé avec M. le rapporteur et Mme la présidente de la commission. Le Gouvernement a d'ailleurs entendu les arguments des parlementaires qui souhaitaient qu'on ne touche pas à la loi de 1905 et a retiré des amendements, acceptant même la suppression de ceux d'entre eux qui touchaient à la loi de 1905, trouvant alors une sorte de point d'équilibre que j'évoquais tout à l'heure dans la discussion générale.

Il s'agit donc d'avoir un débat parlementaire sur ce qui s'est passé voilà quelques années dans cet hémicycle, lors de la discussion de la loi Sapin, dont l'équilibre serait changé si nous ne modifiions pas le texte et adoptions, par exemple, l'amendement tendant à remettre en cause les dispositions d'équilibre, avec des situations juridiques très étonnantes.

Certains – je n'ai personnellement pas d'intérêts dans l'affaire – considèrent les religions comme des lobbys. En sont-elles au sens juridique du terme ? La question est très intéressante : est reconnue comme religion une association cultuelle, relevant donc de la loi de 1905, et comme un groupement d'intérêts – si intéressants que soient ces intérêts, qui peuvent même être conformes à l'intérêt général – celle qui relève de la loi de 1901. C'est tellement vrai que la situation me semble tout à fait différente de celle, par exemple, de lobbys qui pourraient être qualifiés de très positifs selon une certaine morale, comme une ONG combattant pour le bien commun, mais qui n'en représente pas moins un intérêt privé, ce qui est très différent dans le fonctionnement de notre État et des collectivités locales.

Je m'explique : ceux d'entre nous qui ont eu à gérer une collectivité locale savent que le maire, par l'intermédiaire de la propriété que lui a conférée la loi de 1905, est parfois propriétaire de sites dans lesquels des religions utilisent le bien public. Si nous ne modifions pas le texte comme le rapporteur et moi-même vous le proposons, nous nous trouverions dans une situation absurde et très éloignée des réalités du terrain : le représentant d'une association cultuelle devrait se déclarer chaque fois qu'il irait discuter, négocier pour tout ou rien, sur un site appartenant à l'État – je rappelle à cet égard que de nombreux édifices sont encore propriété de l'État et ont parfois été construits par l'État, parfois même en dehors de la loi de 1905 – ou avec des élus.

Deuxièmement, il me semble d'autant plus important de souligner ce principe – et j'ai bien compris la volonté exprimée par certains parlementaires d'établir cette distinction – qu'il ne concerne pas les associations qui se revendiqueraient d'une inspiration religieuse, les lobbys ou même les intérêts politiques. Selon l'article 4 de la Constitution, les partis politiques concourent à l'expression du suffrage. Par ailleurs, les associations d'élus ne sont pas inscrites à ce titre en tant que représentants d'intérêts, alors que l'Association des maires de France – AMF – , par exemple, ou l'Association des régions de France, qui me semblent pourtant représenter certains intérêts, sont exclues de ce champ que le législateur a voulu très éloigné de la définition du lobby.

Des associations comme la Fondation Jérôme Lejeune, la Manif pour tous ou Civitas – on pourrait multiplier les exemples d'associations qui pourraient s'apparenter à des lobbys, et peut-être même à des lobbys d'inspiration religieuse – ne sont absolument pas concernées par l'exception voulue ici : il ne s'agit que d'être conforme à la proposition qu'avaient faite les gouvernements de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls et à celle, on ne peut plus claire, du Premier ministre Édouard Philippe et du Président de la République, tendant à ne pas considérer comme des lobbys, au même titre que les partis politiques, les associations d'élus et les organisations syndicales, les représentants des religions reconnues par la République et dont le ministre chargé des cultes, ministre de l'intérieur, a agréé les associations régies par la loi de 1905, à l'exclusion toutefois de tout ce qui pourrait influencer le débat politique par des positions associatives qui les apparenteraient effectivement à des lobbys, même si on peut y être plus ou moins favorable.

Il me paraît très important de le rappeler à la représentation nationale – ne serait-ce que par respect du travail de Mme la présidente de la commission spéciale et de M. le rapporteur, des très nombreuses auditions auxquelles ils ont procédé et de très nombreux échanges que nous avons eus – car non seulement ce débat a eu lieu, mais il a été tranché par la quasi-intégralité des votes de cette assemblée.

La représentation nationale est souveraine, mais faut-il aujourd'hui revenir sur une position d'équilibre et sur la parole de deux présidents de la République et de trois Premiers ministres ? Le débat sur l'organisation des cultes en France est très important et il nous faut le tenir, notamment pour savoir si nous touchons ou non aux équilibres de la loi de 1905. Si vous pensez qu'alors que nous avons déjà tranché ce débat, nous pourrions modifier nuitamment l'équilibre de la discussion avec les religions, il ne me semble pas, premièrement, que cela respecte les échanges que nous avons eus et dont le Gouvernement a déjà rappelé qu'ils faisaient suite à la promesse du Président de la République, ni surtout que cela soit conforme à l'intérêt politique de la majorité – pour ne citer qu'elle – , qui consiste à parler positivement d'un texte.

Il y a des moments où il faut savoir distinguer les sujets. Ces sujets sont discutés. Ils ont été mis en relief. Le droit à l'erreur concerne surtout sur la relation entre l'administration et les contribuables et les entreprises – c'est ainsi que cela a été imaginé. J'entends que nous puissions passer un certain temps sur les chambres d'agriculture et sur les éoliennes en mer – ce ne sont pas de petits sujets – , ainsi que sur la question de savoir si la religion est ou non un lobby. Comme pour les chambres d'agriculture et les éoliennes en mer, cependant – et aussi, manifestement, pour les lois de 1905 et 1901 – , ce n'est pas ici que se règlent des questions aussi importantes.

Madame la présidente, excusez-moi d'avoir été un peu long. Il me semble avoir ainsi défendu la position du Gouvernement. J'invite l'Assemblée nationale à être conforme à son vote de première lecture, qui a été très fouillé et, finalement, très unanime.

3 commentaires :

Le 06/07/2018 à 10:33, Laïc1 a dit :

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" est reconnue comme religion une association cultuelle"

C'est donc l'association cultuelle qui fait la religion, et non pas la religion qui fait l'association cultuelle, on en apprend tous les jours.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 06/07/2018 à 10:36, Laïc1 a dit :

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En plus l’État ne reconnaît pas les cultes, comment peut-il alors reconnaître telle ou telle religion à travers une association cultuelle ?

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

Le 06/07/2018 à 10:41, Laïc1 a dit :

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"La représentation nationale est souveraine, mais faut-il aujourd'hui revenir sur une position d'équilibre et sur la parole de deux présidents de la République et de trois Premiers ministres ?"

Ce n'est pas la parole de tel ou tel qui fait la loi en France.

Vous trouvez ce commentaire constructif : non neutre oui

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