Intervention de Carole Galissant

Réunion du mercredi 20 juin 2018 à 11h30
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Carole Galissant, directrice du pôle culinaire éducation, expertise-nutrition et services aux opérations de Sodexo France et présidente de la commission nutrition du Syndicat national de la restauration collective (SNRC) :

Le groupe Sodexo a mis en place depuis plus de dix ans ce qu'on appelle les dix règles d'or de la nutrition en s'appuyant beaucoup sur le Programme national nutrition santé (PNNS) qui a été un axe important de réflexion. Ce programme est quasiment l'une des seules politiques dans le monde au niveau nutritionnel. Le groupe Sodexo s'est appuyé sur les recommandations françaises et il essaie de les mettre en musique dans d'autres pays, en s'adaptant bien sûr à chacun d'entre eux.

Notre règle d'or s'appuie sur le rythme alimentaire – petit-déjeuner, déjeuner et dîner – dans tous les pays du monde, en passant par des groupes d'aliments bien précis. Nous avons choisi trois axes majeurs : le sel, les matières grasses et le sucre, qui sont des préoccupations mondiales. Quand on parle du sel, il s'agit de faire chuter les dosages de sel dans tous les produits qui entrent dans nos catalogues, ce qui représente un travail important avec nos fournisseurs parce qu'ils ne sont pas tous au même niveau dans le monde entier. Nous travaillons aussi sur nos recettes, c'est-à-dire sur le grammage du sel par groupe de produits que l'on donne à nos cuisiniers. Par exemple, la quantité de sel n'est pas la même pour un sauté de boeuf ou pour une vinaigrette. Ensuite, nous organisons des communications très ciblées. Nous avons organisé des journées « sans sel ajouté » dans les restaurants d'entreprise en enlevant toutes les salières. Cela paraît simple, mais le but est de faire prendre conscience au consommateur que sa consommation de sel ajouté est souvent peu réfléchie. Nous essayons de porter chacun de nos axes nutritionnels au niveau opérationnel, c'est-à-dire d'agir sur nos produits, sur nos recettes et sur la consommation finale. La communication sera dirigée selon nos publics – elle ne sera pas la même selon que l'on s'adresse à des enfants ou à des adultes. Je vous donnais l'exemple du sel, mais nous avons fait exactement la même chose sur le sucre et les matières grasses.

Toutefois, il faut savoir qu'il est très long de modifier les comportements. Nous faisons des actions précisément en direction des jeunes enfants pour lesquels les changements comportementaux peuvent être beaucoup plus rapides que chez l'adulte. Nos dix règles d'or se poursuivent dans le temps et évoluent avec nos fournisseurs puisque nous travaillons sur les cahiers des charges de nos clients, mais que nous donnons aussi un cahier des charges à nos fournisseurs. Les cahiers des charges de nos clients doivent correspondre à l'attente du cahier des charges de nos fournisseurs.

Tout à l'heure, vous parliez de tendances. Les cahiers des charges de nos clients sont devenus de plus en plus techniques, avec des demandes très particulières et très ciblées qui peuvent aller jusqu'à dresser des listes d'additifs interdits alors qu'ils sont pourtant autorisés en France et en Europe. Ils peuvent aller encore plus loin encore en refusant certains dosages en sucre ou en matières grasses. C'est le cas par exemple de l'huile de palme. Dans le segment « Education », quasiment 70 % de nos clients ne veulent pas d'huile de palme dans les produits qui entrent dans les menus scolaires.

Cela fait très longtemps que nous essayons de promouvoir un rééquilibrage entre les protéines végétales et animales, l'équilibre actuel n'étant pas du tout conforme à ce que devrait être la nutrition en France et dans le monde. Mais ce n'est pas facile, car nous travaillons autant avec les filières animales que végétales. Notre philosophie n'est pas d'opposer les protéines animales et les protéines végétales mais de procéder à un équilibrage des deux. Cette tendance, qui évolue beaucoup, est tirée essentiellement par le monde de l'éducation. Beaucoup de nos clients souhaitent voir apparaître des plats végétariens pour des raisons environnementales ou nutritionnelles, mais aussi et surtout pour des raisons cultuelles. Aujourd'hui, le plat végétarien peut être en effet une réponse à la thématique cultuelle et peut devenir un plat universel. Du reste, c'est ce que l'on fait très bien aujourd'hui en milieu carcéral où un plat végétarien est systématiquement proposé tous les jours. Mais si l'on n'y prend pas garde, nous aurons des produits végétaux qui ne seront pas à la hauteur au niveau nutritionnel et qui seront soit trop gras, soit mal équilibrés en sel, et qui contiendront des additifs que l'on ne souhaite pas.

Aujourd'hui dans les écoles hôtelières, les cuisiniers ne font pas suffisamment de recettes à base de végétaux. Ils ne savent pas les valoriser. Il y a là un vrai challenge pour nous. C'est pour cela que nous travaillons avec des grands chefs, notamment avec Olivier Roellinger, pour essayer d'avancer sur cette thématique. Les parents d'élèves ou les élus nous demandent souvent d'introduire un plat végétarien dans un menu, mais il y a beaucoup d'enfants qu'un plat de légumineuses ou de légumes ne fait absolument pas rêver ! Il faut donc accompagner le consommateur.

Nous essayons vraiment de faire évoluer nos recettes, nos produits et nos menus pour tirer l'alimentation vers le haut sur le plan nutritionnel. Mais cela nécessite des années de travail pour faire changer nos fournisseurs. Par exemple, il a fallu de nombreuses années pour faire évoluer un produit comme le poisson pané – c'est un produit presque symbolique de la restauration collective, et on a l'impression qu'on ne mange que des poissons panés et des nuggets dans la restauration collective – et on a pu faire avancer les choses grâce aux recommandations nutritionnelles en France. Je ne dis pas qu'il faut tout réglementer, mais un texte comme celui du fameux groupe d'étude des marchés restauration collective et nutrition (GEM-RCN) du ministère des finances, qui donne des recommandations nutritionnelles donc des fréquençages de plats et des grammages pour tout type de population en restauration collective, constitue une bonne base de travail. Nous nous sommes beaucoup appuyés sur ce type d'outil pédagogique qui est normalement à destination des acheteurs publics et qui leur permet de créer leur cahier des charges. Il donne un plancher nutritionnel en France, ce qui a permis d'avancer sur beaucoup de thématiques.

Ce texte perdure, mais il n'existe plus si je puis dire, puisque les GEM n'existent plus en tant que tels. Pourtant, il faudrait qu'il continue à évoluer avec les tendances actuelles car le plat végétarien par exemple n'est pas intégré dans ce fameux GEM-RCN. Cela fait vingt-cinq ans que je travaille dans la restauration collective ; je peux attester que la nutrition en restauration collective a vraiment progressé en France et qu'elle s'est professionnalisée. En tout cas, c'est ce que l'on constate dans les cahiers des charges.

Le monde de l'entreprise est un peu en deçà des recommandations nutritionnelles françaises, puisque l'on est davantage dans une alimentation « plaisir ». Dans nos restaurants, nous avons toujours mis en avant des recommandations nationales, mais le consommateur est moins dirigé qu'en milieu scolaire où l'enfant n'a souvent pas de choix. En milieu carcéral, le détenu n'a quasiment pas de choix non plus, et dans le monde de la santé le choix est restreint.

Dans le milieu de la santé, il faudrait redonner de la valeur au repas. Tant que le repas ne sera pas considéré comme un soin, les budgets qui lui sont consacrés resteront très faibles. Tous segments confondus, c'est pourtant le segment d'activité qui devrait nécessiter le plus d'attention, sachant qu'il faut lutter contre la dénutrition. Selon les segments, les thématiques ne sont pas les mêmes. Par exemple, en milieu scolaire, c'est vraiment la qualité du produit qui prime, en général, et les collectivités territoriales attendent des produits locaux ou des produits bio. Leur première intention est surtout de travailler sur le marché local et le territoire national. Au niveau de la santé, on ne parle même plus de la qualité du produit, notre thématique est avant tout la dénutrition. Les attentes entre les grandes villes et les régions ne sont pas tout à fait les mêmes et un restaurant d'entreprise est le reflet de notre monde actuel : comme les consommateurs sont multiples, toutes les tendances sont présentes dans nos restaurants.

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