Intervention de Yaël Braun-Pivet

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYaël Braun-Pivet, rapporteure :

Je commencerai en vous remerciant, monsieur Mazars, d'assurer la présidence par intérim de cette belle commission des Lois : je suis sûre que vous le ferez également avec brio.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui à la veille d'un instant dont chacun mesure l'importance. Il y a à peine un an, les citoyens nous ont donné mandat de siéger à l'Assemblée nationale pour exercer le pouvoir législatif. Nous l'exerçons différemment, je le revendique et je suis même convaincue que notre assemblée en avait besoin – même si les vieux codes refont parfois surface. Cela participe d'une transformation de nos institutions que nos concitoyens souhaitaient depuis longtemps. Cette transformation, nous nous apprêtons à la poursuivre tous ensemble en nous attachant aujourd'hui à un autre type d'exercice, celui du pouvoir constituant. Cet exercice est nécessairement empreint de solennité, puisqu'il consiste à modifier le texte juridique qui fonde notre État de droit. Pour ce faire, vous m'avez confié une responsabilité : corapporter, en votre nom, un projet de loi constitutionnelle de grande ampleur. Cette responsabilité, comme à l'accoutumée – et sans doute encore davantage –, je l'endosse pleinement, avec un intérêt à la hauteur des enjeux. Avec plaisir aussi, celui de travailler aux côtés de MM. Richard Ferrand et Marc Fesneau.

Nous ne sommes qu'au début du chemin qui nous conduira à réviser notre Constitution. Devant la commission des Lois, je viens vous rendre compte de l'état de ma réflexion ; nos débats à l'Assemblée nous permettront, j'en suis sûr, de l'enrichir – il n'est pas d'intelligence qui ne soit collective – avant que le texte n'entame sa navette – une navette un peu particulière, puisqu'elle a vocation à nous conduire, conformément aux termes de l'article 89 de notre Constitution, à Versailles ou devant le peuple français.

Pour travailler ce texte, il nous était indispensable d'écouter ceux qui ont vocation à s'exprimer sur le sujet qui nous intéresse, mais aussi de tirer les leçons du passé pour mieux préparer l'avenir. Pour ma part, je vous ai invités à entendre les représentants des juridictions – Cour de cassation, Cour de justice de la République, cours d'appel, tribunal de grande instance de Paris – et j'ai convié à participer à nos travaux le président du Conseil économique, social et environnemental et la présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP). Nous avons également fait venir des conseillers d'État, des avocats, des universitaires et des personnalités éminentes – je pense à M. Robert Badinter, à M. Jean-Louis Debré et à M. Pierre Mazeaud, enfin, qui présida avant moi cette belle commission des Lois et qui, à ce titre, rapporta lui aussi un projet de loi constitutionnelle, et même deux : celui de 1995, qui a institué la session parlementaire unique, et celui de 1996 qui a institué les lois de financement de la sécurité sociale, dont le projet de loi qui nous réunit aujourd'hui propose d'ailleurs de modifier les conditions d'examen. Un autre de mes prédécesseurs, M. Jean-Luc Warsmann, lui aussi présent aujourd'hui, avait rapporté la révision constitutionnelle de 2008, ayant conduit à une forte revalorisation des pouvoirs du Parlement.

Le projet de loi dont nous allons débattre propose une nouvelle étape afin que notre démocratie soit plus représentative, responsable et efficace. Ce n'est pas un texte de circonstance : le 6 juin dernier, lorsque nous avons auditionné la garde des Sceaux, j'avais indiqué souhaiter inscrire ce texte dans ce temps long et dans une cohérence politique. De ce point de vue, je n'ai pas varié : nous avons l'ambition d'achever enfin des évolutions attendues depuis longtemps, qui ont parfois même été débattues et votées, mais qui n'ont jamais été menées à leur terme. Nombre des mesures qui nous sont proposées mettent en oeuvre des engagements que nous avons pris devant les Français à l'occasion des dernières élections et donnent tout leur sens à des réformes engagées, notamment par la loi pour la confiance dans la vie politique.

Sur le fond et sans vouloir empiéter sur les débats à venir, je voudrais vous faire part de quelques réflexions qui concernent les sujets dont je suis plus particulièrement chargée. Ces sujets pouvaient sembler simples, ils ne le sont pas. Les nombreux amendements qui ont été déposés sur les articles concernés, qui soulèvent parfois de fort belles questions de principe, en témoignent.

Je n'ai guère hésité sur l'article 1er, qui prévoit l'incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l'exercice des fonctions exécutives locales. En 2012, la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, présidée par M. Lionel Jospin, considérait déjà que les responsabilités locales sont trop importantes pour être exercées par des hommes et des femmes politiques par ailleurs chargés d'une fonction ministérielle. Nous nous apprêtons aujourd'hui à mettre fin à ce cumul : je pense que nous pouvons parvenir à un consensus sur ce point.

Le climat nous retiendra davantage, et cette préoccupation donne déjà lieu à de nombreux débats : faut-il l'inscrire à l'article 1er et à l'article 34 ? Une chose est certaine, alors que la France a pris la tête des nations entendant agir contre les changements climatiques lors du sommet de Paris en 2015, nous souhaitons que la Constitution soit porteuse de ce choix. Je suis confiante : nous trouverons la voie la plus appropriée.

De même, incontestable me paraît être la suppression des membres de droit du Conseil constitutionnel. Que les anciens Présidents de la République y siègent à vie était une incongruité, que la question prioritaire de constitutionnalité a rendu plus évidente encore : on en parlait déjà il y a vingt-cinq ans, nous allons le faire !

Pour ce qui est du Conseil supérieur de la magistrature, j'ai envie de dire : « Enfin ! ». Sous les deux précédentes législatures, des tentatives ont été faites pour progresser sur la voie de l'indépendance de la justice – un texte a même été voté dans les mêmes termes par les deux assemblées. L'action politique ne doit pas être impuissante à ce point, il nous appartient d'affermir les garanties relatives à l'indépendance des magistrats du parquet. Pour cela, il est proposé que ces magistrats soient nommés sur avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature.

Pour ce qui est de la Cour de justice de la République, les choix sont difficiles. Il est dans la tradition française, depuis l'Ancien régime, de soumettre la responsabilité pénale des ministres à des juridictions d'exception. Ainsi, depuis la Révolution, un seul ministre, Charles Baïhaut, a été condamné par une juridiction de droit commun – c'était en 1893, à la suite d'une infraction commise dans l'affaire du canal de Panama, et la peine fut prononcée par la cour d'assises de la Seine. Cette particularité peut s'expliquer par le fait qu'il existe un écart entre la responsabilité pénale potentielle des ministres et celle du citoyen ordinaire, même exerçant des responsabilités professionnelles.

Cependant, les juridictions d'exception sont d'un autre temps. La nécessité de rapprocher du droit commun la responsabilité pénale des membres du Gouvernement, les critiques que suscite la composition de la Cour de justice de la République, la lenteur de sa procédure, ainsi que le sens de certaines décisions, justifie la réforme du régime de responsabilité pénale des ministres proposée par l'article 13 du projet de loi. Selon le professeur Bertrand Mathieu, le texte met fin « au refus de confier à l'autorité judiciaire le jugement des ministres, qui maintenait l'ambiguïté de la nature de la responsabilité des membres du Gouvernement ».

Cela dit, je m'interroge encore sur certains points. Faut-il maintenir deux voies différentes, une pour les ministres, une pour les coauteurs ou complices présumés, alors même que cette séparation a été critiquée par le passé ? Peut-on admettre que, pour des faits similaires, on puisse être condamné d'un côté et relaxé de l'autre, comme cela est déjà arrivé ? Ne faut-il pas prévoir, comme pour les autres justiciables, un double degré de juridiction, avec une possibilité d'appel ? Je ne m'interdis pas de continuer à y réfléchir.

Reste enfin la question du Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui peine à trouver sa place dans notre système institutionnel. Malgré les réformes, la représentativité et le mode de désignation de ses membres continuent à faire l'objet de critiques. Le nombre de saisines gouvernementales ou parlementaires demeure faible et la saisine par pétition ne fonctionne manifestement pas : la seule à avoir dépassé le seuil des 500 000 signatures a été déclarée irrecevable. Les rapports et avis que le CESE rend chaque année apparaissent parfois redondants avec les travaux menés au sein des assemblées.

Le projet de loi constitutionnelle propose de transformer le CESE en une « chambre de la société civile », dont la mission serait de créer entre la société civile et les organes politiques un trait d'union fait de dialogues constructifs et de propositions suivies d'effets. Si je souscris à cette orientation, je dois dire qu'à l'issue des auditions que j'ai conduites, il m'est apparu que la vraie plus-value du CESE était de fournir un espace de dialogue indispensable aux corps constitués. Pour donner à cet organe consultatif la place qui doit être la sienne, c'est cette plus-value qu'il faut préserver et renforcer. Le CESE pourrait ainsi devenir le lieu par excellence du dialogue citoyen et de la démocratie participative : c'est ce à quoi aspirent nos concitoyens.

Cela passera d'abord par un changement de nom, c'est pourquoi je vous propose de le rebaptiser « Forum de la République », une appellation qui correspond davantage à la mission qui doit être la sienne, qui sera plus respectueuse du Parlement, car l'appellation de « chambre » en a heurté plus d'un. Par ailleurs, je vous propose, tout en reprenant les missions et les autorités de saisine prévues dans le projet de loi constitutionnelle, de supprimer le caractère obligatoire de la saisine sur les projets de loi à caractère économique, social et environnemental. Il est en effet à craindre que cette extension du champ de la saisine obligatoire n'entraîne un alourdissement considérable de la charge de travail de l'institution. Les projets de loi ayant cet objet ont représenté entre 30 % et 40 % des projets de loi de ces dernières années. L'allongement de la procédure d'adoption des projets qui en résulterait irait à l'encontre de l'objectif d'accélération de leur adoption recherché par le projet de loi constitutionnelle.

Mes chers collègues, je vous ai livré l'état de mes réflexions et je ne vous en dirai pas plus car nous avons devant nous de longues heures de débat, dont j'attends beaucoup. Rejoignant notre rapporteur général, je vous rappellerai que la dignité de la norme suprême exige qu'elle ne soit pas surchargée de dispositions de rang inférieur, comme l'a rappelé le Conseil d'État. Cela mérite assurément – et je ne doute pas que ce sera le cas – des échanges de haut niveau.

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