Intervention de Bastien Lachaud

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBastien Lachaud :

Nous abordons une longue séquence de réformes institutionnelles qui se traduira par trois projets de loi, constitutionnelle, organique et ordinaire. Permettez-moi de dire qu'il n'est pas sérieux d'aborder des sujets d'une si haute importance en catimini, au début de l'été, au moment où nos concitoyennes et concitoyens songent aux congés, et pour celles et ceux qui le peuvent, aux vacances.

Une révision constitutionnelle touche à la souveraineté, puisque le texte fondamental définit la façon dont elle s'exerce, ainsi que les principes fondamentaux au nom desquels elle s'exerce. Nous n'avons pas la légitimité démocratique pour opérer ainsi une révision constitutionnelle : seul le souverain, c'est-à-dire le peuple, est légitime pour le faire. Vous ne m'apprendrez pas l'existence de l'article 89 de la Constitution, qui prévoit les modalités de révision constitutionnelle ; je parle de la légitimité politique réelle, celle du peuple à décider lui-même de la forme de ses institutions.

Depuis ses débuts, la Ve République est entachée d'illégitimité démocratique. La Constitution de 1958 a été rédigée à la hâte, pour légitimer ce qui s'apparente quand même à un putsch militaire, (Protestations sur les bancs du groupe Les Républicains) et le peuple n'a pas eu son mot à dire. Il continue d'être ignoré, souverain théorique et factice, bien commode pour les grandes déclarations solennelles, méprisé et écrasé chaque fois qu'il cherche à s'exprimer.

Je rappelle la forfaiture et la trahison de la souveraineté populaire qu'a été la ratification du traité de Lisbonne. La souveraineté populaire a été foulée au pied, alors que les résultats du référendum de 2005 étaient nettement en faveur du « non ». La Ve République organise le coup d'État permanent, et ce projet de révision cherche à en renforcer les pires travers. Non, le Parlement ne peut pas légitimement réviser la Constitution après cette trahison.

Comment voulez-vous que les citoyennes et citoyens aient confiance dans leurs institutions, alors qu'on leur a jeté à la face que leur vote ne valait rien ? Comment osez-vous déplorer l'abstention lors des élections, alors qu'il est manifeste que les mêmes politiques sont appliquées, peu importe ce qu'ils votent ?

La futile promesse du candidat Macron d'un nouveau monde en est la preuve évidente : son gouvernement applique toutes les vieilles recettes, alors que les électrices et électeurs avaient, trop naïvement peut-être, choisi un candidat qui se prétendait dégagiste de l'ancien monde. Nous avons bien l'ancien monde, avec de nouveaux habits : aucun changement réel, la même chose que Sarkozy et Hollande, mais en pire.

Notre régime politique a trahi la confiance populaire. Le lundi 4 février 2008 a sonné le glas de l'illusion démocratique de notre Constitution. Il ne s'est trouvé que 20 % des parlementaires pour respecter le vote populaire ! Le peuple est l'objet de nos savants débats, au lieu d'en être le sujet. On parle du peuple ; le peuple, lui, n'a rien le droit de dire. Il n'a pas d'initiative, hormis le très encadré article 11, alinéa 3 qui n'a d'ailleurs jamais été mis en pratique. Ce projet de révision ne lui donne pas davantage de droits.

La Constitution de la Ve République institue davantage une monarchie présidentielle qu'une démocratie. Nous sommes quasiment de retour à l'Ancien régime, où les sujets du bon roi pouvaient bien obéir et payer leurs impôts. Les nouveaux ordres privilégiés, la noblesse, non plus de robe ou d'épée, mais de dividendes ou de riches capitaux, ne paient quasiment plus d'impôts. Le clergé médiatique sermonne à l'envi et déblatère sa vérité révélée, sans contestation possible. La presse a oint le candidat Macron de ses faveurs, elle a investi le monarque et légitimé son pouvoir quasi absolu. La seule différence réside dans le fait que nous avons, ô noble fonction, le droit de choisir quel monarque présidentiel nous gouvernera, une fois tous les cinq ans. Une fois la présidentielle achevée, le peuple n'a plus aucun mot à dire. Personne d'autre d'ailleurs : nous voyons comment les débats parlementaires sont menés, le plus vite possible ; les discours de l'opposition ne sont supportés que parce que le Règlement l'impose, mais il n'en est pas tenu compte.

Oui, la Constitution de 1958 nous a fait revenir à l'Ancien régime. Nul contre-pouvoir ne peut réellement s'opposer aux volontés du monarque, désormais jupitérien. L'inversion du calendrier électoral produit des assemblées nationales aux ordres, qui font plus ou moins bien semblant de remplir leur rôle de contre-pouvoir au gouvernement.

Mais le pire reste à venir. Car si notre assemblée entérine le projet de révision constitutionnelle du Gouvernement, ce sera un dramatique sabordage démocratique. Ne nous leurrons pas nous-mêmes : la baisse du nombre de parlementaires ne rendra aucunement l'Assemblée plus efficace. Il y aura moins de députés pour faire le même travail, ce qui veut dire moins de missions d'informations, de commissions d'enquête, d'amendements, de propositions de loi, de présence en circonscription, de contrôle, de visites d'information. Nous devons déjà tous nous dédoubler pour pouvoir accomplir intégralement les tâches que nous voudrions accomplir. Après la réforme, ce sera pire : l'exécutif aura les mains plus libres encore, le déséquilibre entre les pouvoirs sera plus grand, les possibilités d'exercer un pouvoir autoritaire sans contrôle seront plus nombreuses. Au lieu d'être le lieu des débats politiques qui traversent notre pays, le Parlement sera le relai de discussions technocratiques et techniques, incompréhensibles du grand public, obscures et cachées, et dont dépendront pourtant les choix essentiels.

La seule façon de rompre avec ces pratiques est de changer entièrement nos institutions par une assemblée constituante. Seul le peuple, et exclusivement lui, a la légitimité suffisante pour toucher à la Constitution. Ratifier un projet par référendum resterait insuffisant. Car c'est le peuple qui fait vivre ses institutions démocratiquement, quand il s'en empare, et les laisse mourir, quand il s'en retire. Le président Macron n'a même pas été élu par la majorité des inscrits sur les listes électorales, même après le vaste chantage organisé pour ne laisser le choix qu'entre n'importe quoi et l'extrême droite.

Notre démocratie se meurt par la colère froide de l'abstention. La société est à bout. Les gens souffrent. Vos réformes leur pourrissent encore davantage la vie. Et ils doivent en plus subir l'insulte de voir les plus riches encore favorisés, alors qu'eux ne font que trimer. Vous voyez que partout, dans tous les secteurs de la société, les luttes sociales se multiplient. La colère gronde. Parfois l'une d'entre elles parvient à percer le mur d'indifférence médiatique à la souffrance sociale. Instrumentalisée en exemple, la résolution d'un problème sert de prétexte à ne résoudre aucun autre problème similaire. Dans les hôpitaux, les prisons, les universités, les transports ferroviaires, les tribunaux, les usines, les ateliers, tous les secteurs publics et privés, les gens se demandent comment ils vont encore tenir ce mois-ci. Et celui d'après.

Le jeu auquel vous jouez est très dangereux. On ne contient pas longtemps la colère populaire impunément. On n'accule pas au désespoir autant de braves gens sans conséquence. Cette histoire va mal finir. Car plus vous appuyez sur le couvercle de la marmite, plus la pression monte, et plus forte sera la déflagration quand il se soulèvera enfin.

Croyez-vous sérieusement que vous sauverez notre démocratie si mal en point en empêchant davantage le peuple d'exercer sa souveraineté ? Il faut trouver une issue positive, pacifique, démocratique, joyeuse, à l'immense problème qui est face à nous. Le peuple français est hautement politique. Nos concitoyennes et concitoyens sont parfaitement capables de saisir les enjeux et de prendre des décisions judicieuses. C'est au peuple de se charger de l'écriture de son texte fondamental. En réécrivant une nouvelle constitution pour une VIe République, par une assemblée constituante dédiée, le peuple aurait l'occasion de se refonder lui-même comme sujet politique, comme auteur du régime qui se gouverne. Revenons aux fondamentaux du Contrat social de Rousseau. Le contrat social qui fait sortir du régime tyrannique fait que celui qui édicte la loi est le même que celui qui obéit. Le gouvernant est le gouverné. Le souverain est le peuple. Même si la monarchique constitution de 1958 le rappelle dans son article 2 : « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Gouvernement du peuple, on voit bien, « par le peuple et pour le peuple », c'est moins flagrant.

Il faut rétablir la souveraineté populaire dans un grand moment démocratique où l'ensemble du peuple est sollicité par les débats essentiels. Où les enjeux sont exposés publiquement et débattus. Où les foyers débattent et discutent. Où la politique est vivante et irrigue les places publiques. Où l'assemblée n'est pas le lieu confiné et caché des débats, mais le réceptacle et le lieu d'expression de ce que le peuple délibère.

Au lieu de quoi, dans la chaleur écrasante du milieu de juillet, des députés, seuls dans leur hémicycle, vont modifier la règle fondamentale. Aucun débat populaire n'aura lieu. Le calendrier a à peine permis aux députés et à leurs équipes de préparer leurs amendements. Ainsi, nous avons travaillé en moins de trois semaines sur une charte du numérique, que nous proposerons sous forme d'amendement – il avait fallu plus de six mois pour rédiger la Charte de l'environnement. Aucun temps pour consulter les secteurs de la société en pointe sur ces questions, les associations, les professionnels ! Nous légiférons dans l'urgence, celle du calendrier imposé par l'exécutif, alors qu'il n'y a aucune urgence réelle. Il faut en moyenne deux ans pour une Constituante. Donnons-nous le temps. Et que le peuple se saisisse de ce texte !

Aussi, le groupe de La France insoumise s'oppose fermement et résolument à ce projet de révision constitutionnelle. Nous avons déposé des amendements dans l'idée de parer au pire, et de proposer des axes qu'il faudrait mettre en débat. Mais la méthode est mauvaise. Nous défendrons un amendement pour une assemblée constituante, pour une Constitution du peuple, pour une VIe République.

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