Intervention de Sacha Houlié

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSacha Houlié :

Il y a une gravité du législateur lorsqu'il se transforme en constituant. J'ai entendu de la gravité dans ce qui a été dit jusqu'à présent, même si ce n'était pas forcément dans toutes les bouches ou, en tout cas, pas toujours dans des sens concordants. Il y a une vraie volonté de rénovation de notre Constitution, à différents égards, même s'il existe aussi un certain conservatisme. Je ne préempterai pas, monsieur Gosselin, la figure du général de Gaulle, qui a habité nos institutions. Il y a chez nous une vraie volonté de respecter le corps des règles de la Ve République : sa force s'impose depuis soixante ans, sa stabilité institutionnelle nous protège de toutes les tempêtes et, en même temps, elle a fait l'objet de vingt-quatre révisions constitutionnelles, ce qui démontre qu'elle n'est pas si figée.

Il est essentiel de protéger les institutions des événements qui pavent la vie politique. L'histoire le démontre, et la séquence politique que nous vivons, avec une montée des populismes rarement égalée jusque-là, nous conforte dans cette position. L'histoire nous montre l'intérêt de nous appuyer sur des institutions fortes et nous enseigne que la rationalité se justifie quand les excès se multiplient. C'est une des nombreuses raisons de notre attachement à la forme constitutionnelle qui est propre à la France, c'est-à-dire un régime parlementaire rationalisé. Certains le qualifient de présidentialiste, alors qu'il repose en réalité sur un équilibre délicat entre la République du Parlement, celle de la IVe République, comme M. Lagarde l'a dit, et un régime purement présidentiel. Notre régime n'est pas figé, sinon il n'aurait pas tant évolué. Il l'a fait en matière électorale – des tests ont eu lieu en ce qui concerne la proportionnelle intégrale –, sous l'angle doctrinal – des ajouts ont été opérés, notamment la Charte de l'environnement – mais aussi, plus récemment encore, sur le plan fonctionnel, avec des innovations telles que la possibilité donnée, en 2008, aux citoyens de saisir directement le Conseil constitutionnel, par voie d'exception.

La procédure de révision constitutionnelle est exigeante, mais elle n'est pas interdite pour autant. Elle est périlleuse et longue, elle oblige les constituants à présenter un cap, un but, un objectif ou une ambition pour la République. L'ampleur du texte dont nous allons débattre dit déjà beaucoup de notre ambition. Par son volume et par son contenu, c'est l'une des révisions constitutionnelles les plus importantes de la Ve République. Elle conserve, je l'ai dit, l'esprit de notre loi fondamentale tout en adaptant sa lettre. Cette évolution forme un tout, comme chacun l'a remarqué, et il n'est pas question de le cacher, avec la rénovation de l'institution parlementaire qui sera soumise à notre assemblée au mois de septembre prochain. Je ne partage pas l'idée selon laquelle on sera moins efficace si l'on réduit le nombre de parlementaires, bien au contraire. Une armée mexicaine n'a jamais permis de gagner beaucoup de batailles. (Exclamations sur quelques bancs.) Je pense aussi que les élus de la nation sont les élus de la nation. Afin de tenir compte de la pluralité des opinions, on doit faire entrer au Parlement une partie de ceux qui sont sous-représentés ou mal représentés, car c'est ici que l'on doit combattre leurs idées. C'est dans cette enceinte que l'on doit leur apporter la contradiction. Enfin, poursuivre le travail déjà engagé en ce qui concerne le cumul des mandats, en imposant une interdiction dans le temps, n'est pas du populisme. C'est une forme de rationalité : la fonction d'élu n'est qu'une fonction. Elle peut être une page qui se tourne dans la vie.

Cette réforme est, certes, la volonté de la majorité. Elle est née des engagements qui ont été validés lors des dernières échéances électorales et qui n'ont jamais été cachés lorsque nous avons concouru à l'élection et que nous avons promis de tenir nos engagements. J'entends déjà les remarques, les reproches ou les griefs de ceux qui vont insister sur ce qui manquerait. Or il n'est pas nécessaire de tout écrire dans la Constitution. Nous sommes nous-mêmes l'exemple que l'on peut rénover les pratiques politiques sans rénover toutes nos institutions au préalable. Les députés qui siègent aujourd'hui sur ces bancs n'ont pas plus de trois mandats derrière eux. Par ailleurs, nous avons quasiment atteint la parité, en tout cas au sein de la majorité – nous sommes à un taux de 47 % – et des origines différentes sont représentées, y compris dans le groupe majoritaire. Cela démontre qu'il n'y a nul besoin de tout écrire, dans une sorte de concours Lépine, afin de renouveler le cadre, de représenter et donc de gouverner différemment.

Je le dis à ceux qui voudront, au cours des débats, inscrire tel ou tel sujet dans la Constitution : la loi fondamentale est nécessairement limitée. Cela nous oblige à bien préciser ce que nous voulons y inscrire. Quels sont les objectifs ? Nous voulons une Constitution correspondant, dans ses valeurs et sa pratique, au siècle dans lequel nous vivons. Il faut ensuite reconnaître au Parlement le droit de mieux s'organiser, de mieux fonctionner et donc de mieux travailler. Enfin, on doit construire une organisation territoriale dans lesquelles les cadres sont adaptés et où les différences sont reconnues comme des spécificités. Il ne s'agit pas d'inscrire une égalité formelle dans la Constitution, mais de consacrer le principe d'égalité réelle.

Qu'est-ce qu'une Constitution du XXIe siècle ? Cela revient à se poser la question des principes. C'est ce que nous ferons à l'article 1er de la Constitution. Cela consiste aussi à s'intéresser aux relations avec les corps intermédiaires – M. Jumel a notamment parlé de dialogue social. Par ailleurs, je rappelle que la France s'est distinguée dans le monde en organisant la conférence sur le climat, en 2015, et en se battant pour son application : en l'absence de ressources, de respect et de préservation de l'environnement et de la biodiversité, et s'il n'y a pas d'action contre le changement climatique, les textes que nous pouvons adopter seront vite rayés de la carte, comme nous d'ailleurs. Nous souhaitons que la formule « make the planet great again » soit une réalité. C'est pourquoi nous présenterons un amendement pour que cela figure à l'article 1er.

Réformer nos principes signifie également rénover la Constitution de 1958, qui a été adoptée dans une phase de prédécolonisation, en supprimant le mot « race » à l'article 1er. Nous y ajouterons une référence au sexe, afin qu'il n'y ait plus aucune distinction en la matière. C'est un travail qui sera entrepris par le groupe majoritaire et les rapporteurs.

Comprendre la société, c'est aussi imposer au Gouvernement des règles de non-cumul et de probité qui s'appliquent au Parlement, en faisant écho aux débats que nous avons eus à l'occasion de la loi « confiance ». Nous vous proposerons de le faire par voie d'amendements. Comprendre la société, c'est aussi accepter et institutionnaliser le fonctionnement de la société civile. Nous la représentons, certes, mais pas totalement : des corps intermédiaires adoptent également la loi sociale dans notre pays, par le biais d'accords interprofessionnels. Nous souhaitons reconnaître ces corps intermédiaires grâce à une transformation du Conseil économique, social et environnemental qui donnera à cette instance une pleine utilité.

La question du service universel a fait l'objet d'un débat. Nous souhaitons inscrire ce sujet à l'article 34 de la Constitution, ce qui confortera chacun dans l'idée que le Parlement a un rôle essentiel à jouer dans l'adoption des futurs textes, ou en tout cas des enjeux que l'on considère comme fondamentaux.

Cela m'amène au deuxième objectif, qui concerne l'organisation du Parlement. Il a été question d'une libéralisation tout à l'heure : si cela signifie lui redonner de la liberté, nous sommes d'accord, car ce sera un Parlement qui anticipe en se saisissant des textes dès leur adoption par le Conseil des ministres, qui organise des débats d'orientation préalable, qui dispose d'informations sur son calendrier, sur une période de six mois, avec un programme détaillé sur trois mois – c'est ce que nous souhaitons inscrire dans la réforme. Par ailleurs, la procédure sera purgée de tous ses excès, dont le principal est d'accumuler des amendements qui n'ont pas de portée normative, qui constituent des cavaliers ou qui entrent dans le domaine du règlement. Je précise que cela vaudra non seulement pour les parlementaires, mais aussi pour le Gouvernement. Afin de retrouver sa force, le Parlement doit aussi avoir la possibilité de voter la loi en commission, comme c'est le cas au Sénat : inscrivons cette possibilité dans la Constitution afin que l'Assemblée nationale s'en saisisse. Nous devons également retrouver notre droit d'amendement après la Commission mixte paritaire – nous nous y attacherons – et pouvoir recourir plus facilement à des procédures accélérées, à condition que des délais s'appliquent, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Afin d'ouvrir une nouvelle page de son histoire, le Parlement doit aussi pouvoir mieux contrôler – cela a déjà été dit –, dans le cadre des « printemps de l'évaluation » ou encore grâce à l'application d'un délai avant l'examen du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui pourrait d'ailleurs devenir un projet de loi de financement de la protection sociale. Par ailleurs, les textes ayant un impact important pour nos concitoyens doivent pouvoir être examinés en priorité. Afin que le Parlement puisse garder la maîtrise du dispositif, cette possibilité sera encadrée, comme le prévoit l'article 8 du projet de loi.

Je termine par la question des territoires. Les parlementaires de cette législature seront les premiers à ne pas cumuler. Cela en fait-il des députés moins implantés dans les territoires et moins conscients de leurs réalités ? Je ne le crois pas. Nous savons qu'il existe des différences entre les territoires : le droit à l'expérimentation doit donc être renforcé et pérennisé. Lorsqu'une expérimentation est couronnée de succès, les communes, les départements et les régions doivent avoir la possibilité de l'inscrire dans la durée sans avoir à passer par une loi. Nous allons aussi reconnaître le caractère insulaire de la Corse. Enfin, les lois et les règlements pourront avoir une application différente dans des collectivités d'outre-mer. Il y a, là aussi, une spécificité qu'il faut reconnaître.

Nous tendons la main, aussi bien au sein des groupes de travail transpartisans, qui ont été créés par le président de Rugy, que dans le cadre du travail qui sera entrepris avec le Sénat. Puisque cette question a été évoquée, je tiens à souligner qu'il n'existe pas d'accord caché, ou déjà préparé. Il faudra néanmoins en trouver un si nous voulons aboutir. Ce sera un succès qui nous honorera tous : nous aurons un Parlement du XXIe siècle, mieux organisé, et des territoires davantage respectés. Nous y gagnerons tous en tant qu'élus de la nation.

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