Intervention de Jean-Michel Thillier

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Jean-Michel Thillier, directeur général adjoint des douanes et droits indirects :

Je ferai d'abord une remarque d'ordre terminologique. Quand on entend parler du Brexit, on y associe tout de suite la notion de contrôles mais le Brexit entraînera avant tout des formalités et, dans quelques cas, des contrôles. Ces formalités sont liées au passage de la frontière puisque le Royaume-Uni deviendra un pays tiers. Elles sont administratives au sens large : il y aura des formalités douanières et des formalités phytosanitaires et vétérinaires en lien avec la direction générale de l'agriculture.

J'en viens au cadre et à nos marges d'action. Si les Britanniques seront libres d'organiser le traitement des flux importés sur leur territoire, nous, en revanche, sommes dans le cadre du code des douanes de l'Union européenne. Nous n'avons donc pas une parfaite maîtrise de ce que nous pouvons faire. Nous sommes responsables du respect des formalités, que nous sommes chargés de surveiller, et des contrôles. Nous sommes notamment chargés de faire rentrer les ressources propres. Les autorités budgétaires européennes venant vérifier comment nous travaillons, nos marges de manoeuvre sont limitées. Cependant, le code prévoit des simplifications. L'une d'entre elles est essentielle qui a déjà été demandée par les Britanniques alors que la négociation sur cet aspect n'a pas commencé : l'adhésion à la convention de transit commun. Cette adhésion nous paraît souhaitable, indépendamment de l'évolution de la négociation car c'est la principale mesure de nature à fluidifier le passage de la frontière aux deux points que nous considérons comme les plus sensibles : le port de Calais en liaison avec le port de Douvres et le tunnel sous la Manche – le port de Dunkerque me semblant un peu moins sensible. Un article du code permet aussi à un État membre de demander des simplifications chaque fois qu'une situation particulière nécessite des adaptations, notamment de nature réglementaire mais surtout de nature technologique. La technologie nous permettra de mettre à disposition certaines informations.

Nous avons déjà commencé le travail et avons essayé d'évaluer quelles entreprises allaient être concernées par le Brexit. Il y a trois cibles.

Tout d'abord, les gestionnaires de liens logistiques – les ports de Calais et de Dunkerque et le tunnel mais aussi les ports de Ouistreham, de Cherbourg et de Roscoff. Contrairement à tous les autres liens logistiques, le port de Calais et le tunnel ne traitent que des trafics intracommunautaires et ne sont donc pas du tout conçus ni équipés pour traiter des trafics tiers. Le port de Dunkerque, lui, est habitué à ces trafics tiers. Nous essayons de faire passer le message à la Commission européenne que la situation des liens logistiques dans la Manche est particulière, de même que la situation des Belges et des Néerlandais même si le trafic est de bien moindre importance dans leurs ports.

La deuxième catégorie regroupe les entreprises qui sont rompues à l'international. Au nombre de 120 000, elles font régulièrement des opérations de commerce international. Le Royaume-Uni devenant un pays tiers alors qu'il était jusque-là un pays intra-communautaire, ces entreprises seront obligées de revoir complètement les données qu'elles font porter sur leurs déclarations : elles devront passer de prix de transfert à de la valeur en douane. Elles vont aussi devoir revoir l'origine de leurs marchandises. Dans les secteurs de l'aéronautique, de l'automobile, de la chimie, de la pharmacie et de la santé, les fabrications scindées impliquant le Royaume-Uni sont particulièrement importantes. Il faudra donc que les entreprises de ces secteurs, lorsqu'elles exportent leurs produits en dehors de l'Union européenne, vérifient si la marchandise peut continuer à bénéficier d'une origine communautaire. Dans le cadre des accords de libre-échange passés avec les différents pays tiers, elles pourront continuer ou non à bénéficier d'un droit nul ou réduit. Même pour ces entreprises qui sont rompues au grand export, les conséquences du Brexit seront importantes.

Enfin, les entreprises qui n'ont jamais fait que de l'intracommunautaire – notamment avec le Royaume-Uni – devront faire avec lui de l'international. Elles ne sont pas habituées à travailler avec des prestataires tels que les commissionnaires en douane et ne savent pas ce qu'est une formalité douanière en tant que telle. Elles vont donc changer de monde. Du fait du règlement Intrastat sur les statistiques communautaires, nous ne connaissons pas les entreprises qui font moins de 700 000 euros de chiffre d'affaires par an. Il nous est donc difficile de leur faire passer le moindre message. Nous sommes en train de travailler avec la direction générale du Trésor, les chambres de commerce international et le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), c'est-à-dire avec tous les acteurs susceptibles de connaître ces entreprises, pour que ces dernières se préparent à cette échéance.

Si j'ai parlé jusqu'ici de la Manche, le Brexit aura un impact sur tout le territoire français, notamment sur tous les aéroports. À Roissy, on peut penser que l'effet sera noyé dans la masse puisque seuls 6 % des passagers passeront du statut de passagers intra-communautaires à celui de passagers tiers. Dans des aéroports plus petits comme celui de Nice, en revanche, 10 % des flux viennent du Royaume-Uni ou y vont. Plusieurs petits aéroports de province sont concernés où le trafic est très saisonnier mais pas uniquement, comme à Bergerac, Carcassonne et Montpellier. À Dinard, le taux de passagers en provenance ou en direction du Royaume-Uni monte jusqu'à 97 %. Ces aéroports devront donc adapter leur circulation et la douane prévoir des services à l'arrivée et au départ des avions pour remplir les formalités douanières.

La douane a anticipé l'impact du Brexit sur sa propre organisation. Des recrutements supplémentaires ont été votés en loi de finances pour 2018, auxquels on a commencé à procéder. Ces recrutements dureront jusqu'en 2020. Nous devons aussi redimensionner notre système informatique puisque le trafic avec le Royaume-Uni représente, en valeur, 8 % du trafic que nous traitons. Le Brexit soulève aussi pour nous des questions immobilières, de ressources humaines et de formation professionnelle. La difficulté, c'est que la négociation n'est pas encore terminée. Nous n'avons donc pas les éléments nécessaires pour déterminer de manière très précise où affecter nos agents pour limiter le plus possible les formalités aux points de passage de la frontière, notamment au tunnel à Calais et à Dunkerque.

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