Intervention de Stéphane Raison

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Stéphane Raison, directeur général du Grand Port Maritime de Dunkerque :

Je donnerai quelques éléments de contexte. Il y a sur la Côte d'Opale, sur 26 kilomètres de distance, le premier ensemble portuaire français avec les ports de Calais et de Dunkerque. Ce sont chaque année plus de 100 millions de tonnes qui transitent dans les ports, davantage que dans la vallée de la Seine. Sur ces 100 millions de tonnes de trafic, 50 millions sont réalisés à Calais : il s'agit essentiellement de trafic roulier c'est-à-dire de véhicules de passagers, d'autobus et de camions à destination du Royaume-Uni. À Dunkerque, le trafic représente plus de 15 millions de tonnes, dont un tiers va à Douvres. Cela signifie plusieurs millions de camions et de 4 millions de passagers. Quand on y ajoute Eurotunnel, on dépasse les 15 millions de passagers. L'enjeu est donc très important. On peut comparer ce modèle économique, lié à la géographie maritime, à ce qui se passe en Europe du Nord, où trois ports assurent du trafic roulier à destination du Royaume-Uni : Zeebruges en Belgique, Amsterdam et Rotterdam aux Pays-Bas font à eux trois 27 millions de tonnes de trafic. Ils suivent un modèle de lignes longues, totalement différent du modèle des ports français : on embarque sur des convois non accompagnés. Les remorques sont mises à bord des bateaux sans leurs chauffeurs et elles sont récupérées au Royaume-Uni dans cinq zones géographiques allant de Thamesport, dans l'estuaire de la Tamise, jusqu'au port de Rosyth en Écosse. Depuis Calais et Dunkerque, en revanche, les temps de trajet ne sont que d'une heure et demie à deux heures. Les opérateurs européens qui prennent un ferry dans l'un de nos deux ports ou qui passent par le tunnel recherchent la rapidité de passage pour aller soit dans la zone de Londres, soit dans les Midlands au nord de Londres.

D'autres ports français font du trafic trans-Manche : Dieppe, l'été seulement ; Le Havre, qui a une liaison avec Brittany Ferries à destination de Portsmouth ; les ports normands de Caen-Ouistreham et de Cherbourg ; enfin, les ports de Saint-Malo et de Roscoff. Cela ne représente cependant que quelques millions de tonnes de trafic et que quelques centaines de milliers de passagers ou de voitures. L'enjeu du Brexit se concentre donc sur la zone de 26 kilomètres dont j'ai parlé, où passent 10 000 poids lourds par jour. Un temps de contrôle de trois minutes sur 10 000 poids lourds entraînerait plusieurs dizaines de kilomètres d'embouteillages. On a déjà connu quelques épisodes d'embouteillages de ce type, dont celui de Sea France, par lequel l'ensemble du réseau autoroutier de l'ex-Nord-Pas-de-Calais avait été paralysé.

Nous allons donc être obligés d'adapter nos zones de contrôle à des situations géographiques extrêmement différentes. À Dunkerque, il y a de la place. La circonscription fait 7 000 hectares et a de la disponibilité foncière. Cela étant, stocker 4 000 poids lourds dans la zone de Dunkerque coûterait entre 70 et 100 millions d'euros. Or, le plan d'investissement du port de Dunkerque au cours des cinq dernières années était de 250 millions d'euros. Nous allons donc avoir un problème majeur d'infrastructures. Et encore faut-il avoir la place. Calais est en train de faire un investissement majeur pour le roulier, mais les travaux ne seront pas livrés avant 2021 et au tunnel, il n'y a pas de place pour réaliser ces contrôles. Le problème est donc double : où faire les contrôles et comment les financer ?

Enfin, notre modèle est fondé sur la rapidité et la fluidité. À partir du moment où vous mettez en place des contrôles qui vont durer relativement longtemps, si vous perdez dix heures sur la Côte d'Opale, les camions qui viennent du Benelux, essentiellement des ports d'Anvers et de Rotterdam où se concentre la marchandise, resteront dans la zone du Benelux et prendront des bateaux non accompagnés passant par l'Escaut et allant directement dans les ports anglais. Les 100 millions de tonnes et quelque de trafic que nous traitons sur la Côte d'Opale seront alors perdues. Je rappelle que 300 milliards de livres circulent chaque année dans le tunnel.

Il y a donc pour nous, gestionnaires d'infrastructure, un enjeu de préparation dans l'incertitude – vous l'avez extrêmement bien dit. C'est très anxiogène car nous ne savons que faire ni que préparer.

Je dirai enfin quelques mots de nos effectifs. Le service des douanes nous annonce le recrutement de 700 douaniers supplémentaires, ce qui nous rassure. J'attire néanmoins votre attention sur la question des contrôles vétérinaires et phytosanitaires : 30 % des flux sont le fait de camions frigos. Ce sont des marchandises européennes qui vont être soumises à un contrôle vétérinaire pour aller dans un pays tiers. Or, nous n'avons pas de visibilité quant aux effectifs vétérinaires et phytosanitaires et encore moins de visibilité quant aux effectifs dédiés aux contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

La localisation, les effectifs et les infrastructures : voilà ce qui nous interroge. Nous essayons de nous organiser au maximum mais l'impact du Brexit pourrait être extrêmement douloureux et rapide.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.