Intervention de Olivier Thouard

Réunion du jeudi 21 juin 2018 à 14h35
Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Olivier Thouard, président du groupe de travail de TLF TLF Overseas sur le Brexit :

TLF Overseas est un syndicat professionnel affilié à l'Union des transports logistiques de France, représenté tant au niveau français que via d'autres organisations européennes ou internationales comme le Comité de liaison européen des commissionnaires et auxiliaires de transport (CLECAT). Nous comptons parmi nos adhérents huit syndicats et associations portuaires et avons cinq antennes en métropole. Nous avons aussi des adhérents outre-mer, mais pas d'antenne. Nous avons trois commissions métiers et trois commissions transverses – l'une travaillant sur le Brexit, une autre sur le digital et une troisième sur le social. Nous avons créé un groupe de travail sur le Brexit il y a un an dont je suis le président. Ce groupe de travail est multi-activités : on y trouve des transporteurs routiers, des PME et de grandes entreprises. Le groupe couvre l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Les représentants en douane en France constituent 85 % des déclarations en douane, ce qui illustre l'enjeu du Brexit pour notre métier.

Dans le cadre du CLECAT, nous avons eu une réunion le 25 mai dernier avec la douane britannique. Nous avons reçu cette dernière à Paris en grande délégation : huit personnes représentaient l'ensemble des métiers de l'administration des douanes, de la fiscalité et des ports. La délégation nous a demandé de discuter à huis clos de certains sujets sur lesquels elle souhaitait d'abord que les politiques se prononcent. Elle m'a néanmoins autorisé à en parler. Ce que la délégation britannique souhaite, et que nous voulons absolument qu'elle obtienne, c'est que le Royaume-Uni rejoigne la Convention sur le transit commun – facteur indispensable à la fluidité du trafic. Cette convention permettra de passer les frontières sans s'arrêter si ce n'est en cas de formalités vétérinaires et phytosanitaires. Considérant que les ports ne seront pas prêts au moment du Brexit, les Britanniques ont aussi lancé l'idée d'anticiper en mer les dédouanements à l'import vers le Royaume-Uni. Les déclarants feront leur déclaration en mer, les services des douanes britanniques y prendront leur décision de contrôle et dès l'arrivée du bateau, ils donneront leurs consignes de déchargement. Comme le disait M. Thillier, nous devons, de notre côté, appliquer les règles européennes. Nous ne ferons donc pas ce que nous voulons. Quoi qu'il en soit, les Britanniques ont comme nous dans l'idée de simplifier au maximum les formalités pour que la marchandise puisse quitter les ports le plus vite possible et ne soit qu'en transit routier.

Les autres pays européens sont en train de se préparer. Les Pays-Bas ont prévu l'embauche de 960 douaniers et de 100 postes de douaniers chargés des produits agricoles. Il faut néanmoins relativiser ces chiffres car les Néerlandais accusaient jusqu'ici un retard dans le recrutement de douaniers. On ne sait donc pas quelle est la part de recrutements dus au rattrapage de ce retard et celle qui est liée au Brexit. Cela dit, en recrutant 100 douaniers chargés des produits agricoles, les Néerlandais vont réduire fortement le temps attente dans leurs ports. La concurrence entre les ports du Nord et les nôtres pourrait être renforcée s'ils font passer les marchandises agricoles beaucoup plus vite que nous. La Belgique, elle, a prévu de recruter 141 douaniers supplémentaires cet automne.

La question des zones franches avait été soulevée. On n'entend pas parler de zones franches pour le moment, mais ce pourrait être un sujet à l'avenir. La question est plutôt celle des droits de douane et des origines. Quand on parle d'origine douanière, on pense souvent à l'origine des produits entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, mais en fait le problème va bien au-delà. Quand une entreprise française achète des marchandises dans un pays tiers, elle peut les transformer sur le sol français avant de les réexpédier vers le Royaume-Uni. Ce processus est aujourd'hui totalement transparent. L'entreprise fait une déclaration fiscale « Intrastat ». Demain, les produits seront taxés à l'arrivée en France, puis à nouveau taxés quand ils repasseront la frontière franco-britannique, selon le même schéma qu'entre la France et la Suisse aujourd'hui. Il existe des schémas permettant d'éviter cette double taxation – tels que le perfectionnement actif – mais ils sont complexes à appliquer, notamment pour les PME. Une autre solution, envisagée par certains acteurs que j'ai rencontrés, consiste en un transfert de production. S'il devient trop compliqué pour des sociétés françaises de gérer leur production en France alors que leur marché est au Royaume-Uni, elles seront obligées d'aller produire au Royaume-Uni, c'est-à-dire là où elles vendent. Inversement, les Britanniques devront venir chez nous pour produire et vendre. S'il devait y avoir rétablissement des droits de douane au taux standard, cela aurait un impact très important sur de nombreuses entreprises et remettrait en cause certains contrats, notamment dans le secteur automobile où le taux de marge est peu élevé. Le rétablissement des droits de douane n'est pas un sujet technique, car nous savons comment faire – il nous suffit d'augmenter nos cautions bancaires – et l'administration aussi. C'est plutôt un sujet économique : quelle va être la réaction des entreprises concernées ? Vont-elles continuer à pouvoir produire et à vendre comme avant ou pas ?

J'évoquerai maintenant nos adhérents, qui sont logisticiens et déclarants en douane. Une enquête réalisée l'été dernier auprès d'eux nous a permis de nous rendre compte que très peu d'entre eux étaient vraiment conscients du Brexit. Pour eux, le Brexit représenterait entre 15 % et 20 % du nombre de déclarations annuelles au niveau national, mais comme ce chiffre a plutôt une dimension macro-économique, nous avons demandé à tous nos adhérents de faire une étude approfondie de leur organisation et de leurs flux. À l'issue de cette étude, la plupart des entreprises ont réévalué l'impact du Brexit : la sortie du Royaume-Uni pourrait entraîner une augmentation de 50 % du nombre de déclarations en douane. Il suffit de travailler dans les secteurs pharmaceutique ou automobile pour être très fortement affecté par ces augmentations. Pour obtenir ces chiffres, nous ne nous sommes pas fondés sur les déclarations « Intrastat » mais sur le nombre de lots en circulation. On sait très bien que ce chiffre ne restera pas de 50 %, car les entreprises vont se réorganiser et augmenter la taille des lots en circulation. Les entreprises ne feront pas une déclaration en douane par palette.

Pour nos déclarants, peu importe que l'augmentation soit de 40 % ou de 50 % : il n'y a pas aujourd'hui de personnel ayant la compétence de déclarant en douane. Il faut une année scolaire pour les former : donc, s'il y a un Brexit dur en mars prochain, nous n'aurons pas les effectifs pour y faire face. Et nous n'embaucherons pas tant que nous n'aurons pas de visibilité politique. Nous ne pouvons pas embaucher cinquante personnes sans savoir si nous en aurons besoin en 2019 ou en 2021, nous avons besoin de clarifications.

Nous travaillons avec des centres de formation, notamment AFTRAL – « Apprendre et former en transport et logistique » –, nous saurons réagir, mais nous avons besoin de temps. AFTRAL est capable de mettre en place de grandes classes de formation qui pourront alimenter la profession, mais nous avons besoin d'un peu de temps.

Nous préconisons que les opérations de dédouanement ne soient pas faites en zone portuaire, mais le plus tôt possible. Par exemple, à l'export, elles pourraient être faites dès le départ de l'entrepôt des clients, ou sur la route. Cela imposera des agréments en douane, et de diffuser des informations et des compétences en logistique internationale dans l'ensemble de notre réseau, dans nos agences, chez nos clients. De même à l'import, nous allons chercher la fluidité maximale pour un transit au départ de Grande-Bretagne, en passant le port et en allant jusqu'à destination, en évitant les zones de parking si l'on peut, ce n'est dans l'intérêt de personne.

Nos clients commencent à envisager des zones de stockage du côté français et du côté anglais, pour deux, trois ou quatre jours de stockage. L'automobile travaille en just in time, or il ne sera plus possible de travailler en flux tendus. Il faudra trouver des surfaces, mais je pense que cela ne va pas durer, parce qu'une fois que la fluidité va se mettre en place, ces besoins de surface vont diminuer. Mais au départ, tout le monde voudra préstocker des marchandises.

Je rejoins tout à fait M. Raison sur la question des ports. Dans nos métiers, lorsqu'un client nous demande de transporter une marchandise de Paris à Londres, nous allons essayer de passer là où c'est possible. Nous ne nous engageons pas sur un mode de transport, nous prenons le camion et nous l'emmenons à Londres. Si nous savons qu'il y a un blocage à Calais et qu'il faut trois jours pour passer, nous irons dans un autre port, ou dans un autre pays. Et cela se fera de manière automatique et directe, c'est notre métier. Nous ne sommes pas payés pour attendre trois jours, nous ne pourrons pas. Donc il est clair que la fluidification est essentielle.

Les attentes de nos adhérents concernent en priorité les opérateurs économiques agréés. Il faudrait accentuer le développement de ces certifications pour permettre à la douane de travailler plus efficacement sur les contrôles, car certains opérateurs seront certifiés et d'autres ne le seront pas. Il faudra simplifier au maximum la gestion portuaire, alléger les contrôles de sûreté et de sécurité pour les entreprises certifiées, automatiser tout ce qui pourra l'être. Nous savons faire de l'échange de données informatisé (EDI), de l'informatisation, il nous faut un peu de temps mais nous savons nous interfacer avec les ports et faire beaucoup de choses, mais il faut mettre en place des systèmes automatisés et permettre les dédouanements de nuit, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

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