Intervention de Cecilia Wikström

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 17h00
Commission des affaires européennes

Cecilia Wikström, rapporteure du projet de règlement Dublin IV :

C'est un honneur pour moi de pouvoir échanger sur un enjeu aussi important pour l'avenir de l'Union européenne : les institutions européennes et les États-vont-ils être capables de s'accorder sur un régime européen d'asile qui soit efficace, juste, responsable et solidaire ? Les derniers mois n'en ont malheureusement pas apporté la preuve.

Je suis députée européenne depuis de nombreuses années et j'ai été rapporteure de la précédente réforme du régime européen d'asile, qui a abouti au règlement dit « Dublin III ». Pour bien poser le contexte, il faut savoir que la réforme actuelle a été proposée par la Commission européenne en juillet 2016, en réponse à la crise migratoire de 2015 qui avait mis en lumière les insuffisances criantes du régime actuel. Elle a donc proposé sept textes sur lesquels le Conseil et le Parlement européen sont co-législateurs et doivent trouver un accord. Nous en sommes proches pour cinq d'entre eux mais restent les plus problématiques : le règlement de Dublin lui-même et celui sur les règles procédurales.

En ma qualité de Rapporteure du Parlement européen, je confirme que le futur règlement Dublin IV est le texte le plus du controversé du projet de réforme européenne du droit d'asile. Le règlement de Dublin a été adopté sous la Présidence finlandaise en 1999, il y a vingt ans. Ce règlement est lié au système de l'espace Schengen qui a supprimé les frontières intérieures au sein de l'Union européenne. Il s'est rapidement révélé être inadapté à la gestion des flux migratoires dès lors que les personnes ont cessé d'arriver en Europe par voie aérienne pour y entrer par les mers. Dès le début s'est posée la question de l'État membre responsable de l'accueil des personnes entrant dans l'Union européenne. Parmi les différents critères prévus pour déterminer cette responsabilité, le seul qui a été utilisé est celui du pays d'entrée dans l'Union européenne. Du fait des points d'entrée les plus fréquemment constatés, les pays du Sud sont seuls tenus responsables de l'enregistrement des individus dans la base Eurodac et de la gestion des frontières extérieures de l'Union. Le règlement de Dublin III fait peser pour l'heure un poids trop important aux pays de premier accueil.

Le système a été totalement submergé par la crise migratoire, avec notamment le pic de 2015, si bien que personne n'a été enregistré cette année-là. Cinq des 28 États membres ont été particulièrement sollicités, en particulier l'Italie et la Grèce. Avec un million de personnes, ce dernier pays a subi une énorme pression migratoire en 2015. Après avoir transité par la Grèce ou l'Italie où ils n'avaient pas été enregistrés, les migrants ont échappé à tout contrôle et se sont librement dispersés dans divers États de l'Union. C'est ainsi que nombre d'entre eux sont arrivés en Suède et encore davantage en Allemagne qui en a accueillis 800 000 en 2015. À la suite de cette crise migratoire, personne ne s'est plus conformé aux règles du système de Dublin. Les États ont rétabli des contrôles nationaux à leurs frontières, comme par exemple entre la Suède et le Danemark ou entre ce pays et l'Allemagne. La Suède a adopté une règlementation moins favorable aux demandes d'asile pour rendre le pays moins attractif et décourager les candidats, chaque État membre étant tenté de durcir de la même manière sa politique d'asile. En l'absence de mise en oeuvre de l'outil de gestion des demandeurs d'asile, le bon fonctionnement du système de Schengen était compromis.

Le Parlement européen a montré sa capacité à proposer des solutions de compromis alors que les États membres apparaissent profondément divisés. Le principe de solidarité envers les pays en première ligne pour l'accueil des réfugiés doit être mis en oeuvre. Au terme d'un an et demi de discussion, de centaines de réunions, de vingt-deux tours de négociation, cinq groupes parlementaires, le PPE, les S&D, l'ADLE, les VertsALE et la Gauche unitaire, soit les deux tiers des membres du Parlement européen, représentant 118 partis politiques européens, ont accompli l'exploit historique d'aboutir à une position commune, alors que, lors du dernier Conseil, 28 ministres n'ont pas su se mettre d'accord sur un texte.

L'accord trouvé fait preuve d'un grand pragmatisme. Le texte a été amélioré par rapport à la version proposée par la Commission européenne. Il prévoit de déterminer la responsabilité de l'État membre chargé de l'examen d'une demande de protection internationale en fonction de plusieurs critères et de réformer le mécanisme de relocalisation. La relocalisation tiendrait compte notamment du PIB et de la démographie de l'État concerné, de l'intérêt ou du lien du demandeur avec cet État. En contrepartie, il convient de remettre en ordre le système d'enregistrement dans l'État membre de première entrée dans l'Union : des contrôles de sécurité seraient ainsi rendus obligatoires. Rappelons à cet égard que 20 000 enfants ont malheureusement disparu des radars depuis 2015 et qu'ils sont peut-être exploités dans la plus grande impunité sur le marché du travail. En outre, pour pouvoir bénéficier du statut de demandeur d'asile, les demandeurs devraient demeurer dans l'État membre responsable de l'examen de leur demande de protection internationale. Ceux des migrants qui n'ont pas la possibilité d'obtenir le statut de demandeur d'asile seraient renvoyés vers leur pays d'origine.

Grâce à une amélioration de la fourniture d'informations, de l'aide juridique et du soutien aux demandeurs d'une protection internationale qui demeurent dans le pays d'entrée, les migrants seraient encouragés à rester dans le système officiel. De solides garanties seraient prévues pour les mineurs, qu'ils soient accompagnés ou non ainsi que pour les personnes vulnérables. De manière générale, les demandes d'asile seraient examinées avec la plus grande impartialité quel que soit l'État considéré.

Les personnes bénéficiant d'une aide juridique font moins appel aux tribunaux. Il faut créer des incitations à rester à l'intérieur du système. Est-ce qu'on crée un véritable système européen ou laisse-t-on le soin à chaque État membre de trouver sa propre solution ? Nous avons reçu des textes du Conseil, nous avons travaillé à ce sujet, nous avons un mandat important du Parlement européen. Mais j'ai besoin d'un partenaire avec qui travailler, et pour l'instant, ce n'est pas le cas. Ce printemps, la présidence bulgare a émis une proposition qui diffère du texte du Parlement européen et qui ne recherche aucun compromis. La directive relative aux migrants n'a jamais été appliquée, même à l'époque de l'afflux massif de 2015, faute de consensus au Conseil. Nous n'aurons jamais ce consensus, c'est pourquoi il faut aller de l'avant avec une position commune à ce sujet.

Il y a trois groupes de pays :

- cinq États de l'Europe méditerranéenne, qui s'inquiètent de la mise en oeuvre des directives ; ils craignent de se retrouver seuls à gérer des camps de migrants ;

- un second groupe d'États membres qui voudrait une forme de solidarité européenne, à partir du Règlement de Dublin ; ce groupe comprend la France, l'Allemagne, la Suède ;

- les quatre pays de Višegrad et l'Autriche ne veulent aucune solidarité européenne sur ce dossier.

Pour ce qui est des chances que ces pays arrivent à s'entendre à Bruxelles cette semaine, les perspectives sont plutôt sombres. Le Conseil doit prendre une décision à la suite d'un vote à la majorité qualifiée, toutes les voix doivent donc être écoutées. Aujourd'hui, certains États membres n'ont pas encore montré leurs cartes. La situation est bien pire qu'il y a six mois. Bien sûr, il faut voir sur quoi les États membres peuvent se mettre d'accord au Conseil, sur des sujets tels que le contrôle, le retour, le renforcement de la sécurité. Il nous faut un système d'asile commun en Europe.

Les développements des dernières semaines ont fait émerger l'idée d'immenses camps à l'extérieur de l'Union européenne. Cette solution des « plateformes » est mauvaise et très contestable juridiquement. C'est une idée qui date des années 1990, rejetée pour des raisons morales, juridiques et pratiques. L'Union européenne n'a pas compétence au Maroc, en Tunisie ou en Lybie : il n'y a pas de base juridique pour cela. Lorsqu'on essaie d'externaliser la responsabilité européenne, cela pourrait nous faire perdre la dynamique de ces dernières années en faveur d'une solution durable. La seule solution envisageable consiste en l'établissement d'un système d'asile commun.

En mai 2017, un Eurobaromètre a posé la question de savoir dans quel domaine l'Union européenne devait changer : 70 % des personnes interrogées ont répondu qu'elles voulaient plus de sécurité, de lutte contre le terrorisme, que l'Europe soir le fer de lance en matière de changement climatique et qu'on mette en place un système commun d'asile. Nous avons agi dans les deux premiers domaines, mais nous sommes bredouilles sur la question de l'asile. Comment pouvons-nous arriver bredouilles aux prochaines élections européennes ? C'est un défi de taille, faute de quoi nous verrons la réapparition de frontières intérieures et nous aurons laissé tomber les citoyens. Il n'y a pas de solution magique en la matière : les demandeurs d'asile frapperont toujours à notre porte. L'Union européenne a déjà franchi des obstacles plus difficiles que cela. L'heure est à l'action.

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