Intervention de Cecilia Wikström

Réunion du mardi 26 juin 2018 à 17h00
Commission des affaires européennes

Cecilia Wikström, rapporteure du projet de règlement Dublin IV :

Monsieur Bourlanges, vous avez été une source d'inspiration pour ce texte que j'ai rédigé. Je vous remercie pour votre rapport. Je suis tout à fait d'accord avec l'idée que nous devons respecter des valeurs communes européennes, de même que nous déployons des politiques communes au sein des États membres. En ce qui concerne cette coopération renforcée en matière d'asile que vous avez évoquée, je crois, qu'en définitive, il se pourrait que nous ayons à l'envisager, mais je préférerais que nous établissions un système d'asile commun à toute l'Union européenne.

Nous avons renforcé, par exemple, la coopération pour les brevets européens. Bien que l'Italie et l'Espagne l'aient dans un premier temps refusée, nous avons été de l'avant sans ces deux pays qui maintenant vont se rallier à nous ces prochains jours. Je crois, à ce stade, qu'on peut proposer une coopération renforcée européenne, en rendant le système obligatoire. On peut établir un lien entre l'appartenance à la zone Schengen et le fait d'assumer ses responsabilités. Ces deux éléments sont liés. Je continue d'espérer qu'on n'ait pas de coopération au cas par cas.

S'agissant de l'aide financière, je l'avais préconisée et les pays qui ne font pas leur travail ne devraient pas la percevoir. Dans la préparation du cadre financier pluriannuel dont je préside l'un des 24 comités, notre travail en faveur d'une position commune au Parlement occupe une place majeure dans les négociations. J'y porte une attention toute particulière, encore plus qu'à la poursuite des échanges sur le dispositif de Dublin, car lorsqu'il est question d'argent, tout le monde fait preuve de raison. Il est beaucoup plus difficile d'évoquer des valeurs et des principes. Croyez-moi, je l'ai expérimenté. En Europe, nous avons réussi à établir des politiques dans les domaines de l'eau potable, la pollution, les produits chimiques, la sécurité alimentaire, les médicaments, les fraises, les concombres et que sais-je encore, la liste est longue, mais aujourd'hui, alors que le socle de l'Union européenne est construit sur des valeurs et les principes, nous n'avons toujours pas réussi à mettre au point une politique commune pour aider d'autres êtres humains qui tentent d'échapper à la persécution et aux guerres. C'est un signe manifeste d'échec.

Nous devrions trouver l'occasion de discuter de cette question des principes et des valeurs qui relève de la philosophie. Il y a un profond changement à opérer dans la perception par les États européens du concept de solidarité. La solidarité dans les pays d'Europe centrale et de l'Est et dans ceux d'Europe occidentale n'est pas perçue de la même façon. Il est clair que la solidarité européenne pour la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie et d'autre États membres correspond à l'idée de versement de fonds des pays riches vers les moins riches, pour leur permettre d'atteindre le même niveau et pouvoir appliquer les mêmes règles. Pour nous, pays occidentaux, que ce soit en France, en Allemagne, en Belgique, au Pays-Bas, au Danemark, la solidarité implique que chacun assume sa juste part de responsabilité, autrement dit assume le fardeau conjointement. Les discussions peuvent vite devenir épineuses sur ce point. Ce n'est pas le cas lorsqu'on parle d'argent, on aborde la question de manière concrète.

En plus des règles, il faut opérer un changement de mentalités pour parvenir à ce qu'on appelle des politiques communes. En 2016, au 1er sommet des Nations Unies sur les migrations, j'ai souligné dans ce qui est devenu la « Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants » que la société civile, le monde des affaires, des universitaires, des ONG devraient prendre part au processus d'intégration.

En ce qui concerne l'aide financière et l'intégration que vous avez évoquées, le partage est équitable et le fardeau est gérable. Nous en avons le contrôle. Il ne doit pas nous échapper, au risque de voir les citoyens douter des capacités de nos institutions à réagir et trouver des solutions européennes. C'est ainsi que nous pouvons dissiper bien des craintes. Il faut veiller à mettre fin au cercle vicieux en matière de restrictions au droit d'asile. Je dois reconnaître que c'est la Suède qui a durci la première sa politique d'asile en mettant en oeuvre le niveau d'intégration le plus bas possible. Il faut favoriser la confiance et des conditions humanitaires raisonnables dans tous les pays.

Je suis opposée à l'existence de camps hors de l'Europe comme en Libye. Je suis favorable à des solutions sur le territoire européen, à l'établissement d'un système commun en Europe pour ne pas avoir recours à des mesures d'urgence comme la mise en place de ces camps. Pour cela, il nous faut effectivement un budget européen moderne, plus souple et renforcé. Le cadre financier pluriannuel en est l'illustration. Il prévoit des aides financières accrues pour la gestion des migrations.

Monsieur Gollnisch, pour répondre à votre question, je vous invite à prendre connaissance du projet de Règlement dit « Dublin IV » avant d'en discuter ensuite. Il faut distinguer deux sujets : les demandes d'asile et la migration, qu'elle soit légale ou illégale. Nous abordons aujourd'hui la question de l'asile. Nous veillons à ce que les demandeurs d'asile soient traités équitablement dans le respect des conventions internationales signées dont la Convention de Genève et le protocole de 1969. Nous le faisons parce que les mouvements migratoires dépassent le cadre de la politique européenne. Nous devons également nous pencher sur les questions de migration légale comme vous l'avez mentionné. J'ai un exemple à vous donner. Des hommes d'affaires suédois m'ont appris qu'il serait possible de recruter en Suède 10 000 chefs de cuisine, non pas dans les restaurants gastronomiques, mais dans la restauration collective ou rapide. Des candidats à l'émigration depuis la Libye, la Tunisie ou le Maroc pourraient être intéressés par ce type de poste et être recrutés légalement. Or ce n'est pas encore possible. Nous devons réfléchir au système d'asile à mettre en place. On connaît l'existence de la carte verte aux États-Unis. Combien de personnes savent qu'il existe la carte bleue européenne ? Personne. Le dispositif est si lourd à déployer administrativement que seule l'Allemagne l'a véritablement mise en place. C'est un système à simplifier, à rendre plus attractif afin qu'il serve vraiment à favoriser l'embauche d'étrangers. C'est une question à traiter mais en dehors du sujet de l'asile.

Vous avez fait également référence aux causes de la migration. On les connaît pour les ressortissants africains : pauvreté, absence de démocratie, absence de droits fondamentaux. Le Haut Commissariat pour les Réfugiés a indiqué la semaine dernière, dans ses dernières statistiques, que 68,5 millions de personnes sont considérées réfugiées, un chiffre record, supérieur à celui mesuré juste après la seconde guerre mondiale. Trois millions d'entre elles se trouvent en Ouganda, pays très pauvre, et ne viendront jamais en Europe. Seule une petite fraction de réfugiés viendra en Europe trouver de meilleures conditions de vie. On ne peut pas construire de murs. Il faut construire des ponts, des passerelles et non des murs. Pour déterminer si les personnes répondent aux conditions pour bénéficier de la protection de l'asile, on peut faire appel à l'expertise du Bureau européen d'appui en matière d'asile (EASO) basée à La Valette. Je considère qu'on devrait confier des missions plus importantes à cette agence européenne, afin qu'elle puisse organiser les transferts, les retours et même gérer les hotspots. En attendant, je vous invite à mobiliser tous vos collègues parlementaires pour agir et changer la réalité d'aujourd'hui de manière pragmatique, décente, moderne et européenne.

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