Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du mercredi 26 juillet 2017 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

Vous m'avez interrogé sur le Charles de Gaulle et demandé s'il fallait un second porte-avions. Je n'ai aucun doute quant à l'utilité militaire et à la performance du porte-avions. Vous vous souvenez qu'il avait permis de tripler le nombre d'avions présents sur zone contre Daech. Il n'est pas concurrent mais complémentaire des bases aériennes projetées qui, elles, sont tributaires d'autorisations diplomatiques. Bref, je n'ai aucun doute quant à cette capacité militaire.

Je n'ai aucun doute non plus quant à la valeur politique et à la force symbolique d'un porte-avions. Chaque fois que notre pays a été touché par des attentats, une des réponses a consisté à faire appareiller le Charles de Gaulle pour aller frapper les endroits d'où ces attentats avaient été pensés et commandités. Nos concitoyens ont perçu la puissance de cette réponse. Ils en ont conçu de la fierté et ont marqué un vif intérêt.

Enfin, le porte-avions est également un agrégateur de volontés politiques européennes. Les trois fois où nous l'avons déployé pour frapper Daech, il a toujours été accompagné par des bâtiments européens – allemands, belges, britanniques et italiens. Parce qu'il est un outil puissant, unique en Europe, qui exige un très haut niveau de compétence opérationnel, le porte-avions aura toujours cette capacité d'entraînement de nos partenaires européens.

Tous ces éléments me semblent des arguments puissants en faveur d'un second porte-avions. En tant que marin, je ne peux que souscrire à vos observations. Cela étant, c'est un investissement extrêmement lourd qui demande une programmation et une volonté affirmée. Donc une décision politique.

S'agissant de la fidélisation, plusieurs phénomènes sont évoqués par l'APNM-Marine, notamment l'accumulation de réformes depuis une vingtaine d'années et le fait qu'on n'ait toujours pas atteint une stabilité efficace en matière de soutien de l'homme. Il est temps de faire aboutir définitivement ces réformes qui nécessitent probablement des ajustements, notamment concernant la place du commandement dans l'organisation du soutien.

Je vous ai parlé tout à l'heure d'une politique de rémunération ciblée. Nous avons commencé à identifier les points qui méritent un effort particulier en termes de rémunération. Les choses se mettent en place mais comme les marins n'ont pas encore perçu les sommes correspondantes, je resterai attentif à la manière dont ils accueilleront ces mesures – assez significatives à mon sens. Nous souhaitons, je vous l'ai dit, mener une politique sociale : une politique d'hébergement pour les célibataires géographiques, une politique de logement, compte tenu de la mobilité géographique imposée à nos marins, une politique de l'emploi des conjoints – domaine dans lequel je nous trouve timorés –, bref, une politique visant à améliorer les conditions de vie de nos marins.

On a segmenté le traitement de ces questions dans les armées. Considérant que le coeur de métier de la marine consistait à faire la guerre en mer, la politique sociale a été confiée à des opérateurs, comme la direction des ressources humaines du ministère de la Défense (DRH-MD), par exemple, pour l'emploi des conjoints ou, pour tel autre opérateur, des cercles et foyers d'accueil des missionnaires de passage etc. Je veux désormais jouer le rôle d'un prescripteur averti et exigeant. Les opérateurs sont beaucoup plus compétents que moi pour mener ces actions mais je dois contribuer à fixer leurs objectifs car j'ai in fine la responsabilité du moral des marins devant la ministre.

Que fait-on de nos avions pendant l'arrêt technique du Charles de Gaulle ? Certains d'entre eux viennent renforcer les moyens de l'armée de l'air – nous avons ainsi actuellement quatre Rafale sur la base H5 en Jordanie – ; d'autres vont participer à la posture permanente de sécurité aérienne dans le ciel français. À l'automne, certains de nos avions et de nos pilotes retourneront en Jordanie. Puis, l'année 2018 sera consacrée à la remontée en puissance du groupe aéronaval : il nous faudra apprendre les bases du métier aux jeunes pilotes qui arrivent et leur faire gravir les échelons puis, au premier semestre 2018, envoyer une part importante de l'aéronautique navale française aux États-Unis pour apponter sur un porte-avions américain, après avoir fait une séquence d'appontage sur les pistes à terre.

En ce qui concerne la disponibilité, les Atlantique 2 sont aujourd'hui dans un programme de rénovation piloté par Dassault et faisant également intervenir Thales, Naval Group et le service industriel de l'aéronautique (SIAé). Les expérimentations que j'ai vues de ces équipements sont très prometteuses : si le ramage de ces derniers se rapporte à leur plumage, on aura vraiment un avion remarquable – à la fois pour chasser le sous-marin dans l'Atlantique Nord et pour participer aux opérations de renseignement au-dessus de la Syrie et de l'Irak comme ils le font aujourd'hui. Cela étant la période actuelle est très difficile car non seulement le simple entretien de ces Atlantique 2 est trop long mais il faut en plus les rénover de manière très complète. Nous avons donc institué un groupe de travail, comprenant mon adjoint – le major général de la marine – et la direction générale de l'armement (DGA), pour suivre très régulièrement l'avancée de l'organisation industrielle et de la logistique et ainsi arriver à tenir le rythme d'entretien et de rénovation des Atlantique 2. Quand nous avons un problème de disponibilité de ces avions, comme cela nous est déjà arrivé à certaines périodes, nous sommes obligés d'aller chercher un Atlantique 2 qui opère au fin fond du désert en Jordanie pour l'envoyer au nord de l'Écosse ou à Lann-Bihoué participer à la chasse aux sous-marins qui s'approchent de notre sanctuaire breton.

Je ne suis pas satisfait de la disponibilité ni du coût d'entretien du NH90, sans parler du nombre colossal d'heures de maintenance qui doit lui être consacré – plus de trente heures d'entretien pour une heure de vol. Nous y épuisons nos mécaniciens et nos flottilles pour un rendement assez faible. Cet appareil présente des problèmes de maturité technique, de corrosion et de maintenance que l'on n'arrivera pas à résoudre du jour au lendemain. Ce n'est qu'en 2018 que la disponibilité du NH90 devrait en quelque sorte arriver à décoller. Nous prenons le taureau par les cornes. Nous y consacrons beaucoup d'énergie avec la DGA, le SIAé et les industriels.

Je n'ai aucun doute ni aucune réserve concernant les FTI. Ces frégates sont indispensables. Pour concevoir ces bâtiments, nous avons adopté, avec la DGA et l'industriel, une organisation en plateau au sein de laquelle nous avons exprimé nos besoins opérationnels, essayés de mesurer leur impact financier et la capacité industrielle. Nous sommes arrivés in fine à un bâtiment remarquable qui contribuera, comme les FREMM aujourd'hui, à l'excellence française en matière de lutte sous la mer. Naval Group et Thales ont vraiment un savoir-faire unique au monde, très en avance sur tous les autres pays de la planète, qui sera utilisé pour les FTI, et nous bénéficierons des avancées de Thales sur le nouveau radar dit à antennes à panneaux fixes. Nous avons aujourd'hui des radars dont les antennes tournent et qui, lorsqu'ils sont orientés dans une direction, ne peuvent pas voir ce qui arrive derrière eux. Ils tournent certes rapidement – puisqu'ils font un tour par seconde sur une FREMM – mais pas suffisamment vite face à des missiles très rapides. Il nous faut donc absolument sur les FTI des radars qui voient tout en permanence.

Je n'émets aucune réserve non plus quant aux qualités opérationnelles du sous-marin nucléaire d'attaque (SNA) Barracuda. Le premier exemplaire entrera en service avec retard, vers 2020 au lieu de 2017. Ce n'est pas une trottinette mais un engin difficile à construire et des erreurs ont été commises, qu'il faut identifier, corriger puis rattraper. Pendant ce temps-là, nous avons constitué notre premier équipage et utilisons des simulateurs pour les former, mais j'attends avec impatience ce bateau. Le retard de livraison du premier de série, le Suffren, va m'obliger à prolonger l'usage des Rubis pour avoir en permanence six sous-marins nucléaires d'attaque en parc. Quand j'ai six SNA, un est en entretien de longue durée – pendant un an et demi ou deux ans –, un autre en entretien intermédiaire, un troisième en entraînement, un quatrième dans l'Atlantique, un cinquième en Méditerranée et le dernier soit dans l'Atlantique, soit en Méditerranée, soit dans l'océan Indien. Le format de six SNA – les Britanniques en ont sept – correspond donc à notre besoin opérationnel.

La baisse de 850 millions d'euros qui a été annoncée aura certainement des conséquences pour la marine. Nous sommes en train de travailler avec l'état-major des armées et la DGA pour déterminer où faire porter l'effort et minimiser l'impact opérationnel de cette mesure. Certaines commandes du programme 146 sont plus critiques que d'autres : nous essayons de les identifier pour continuer à disposer en 2018 du matériel dont nous aurons besoin. Je suis assez confiant en notre capacité à bien pointer les domaines dans lesquels la baisse des crédits sera la moins douloureuse. Maintenant, je vous ai parlé du vieillissement de mes bateaux et de mes hélicoptères et je considère qu'il faut accélérer le renouvellement de notre flotte pour BATSIMAR et FLOTLOG. Cette baisse de crédits retardera ce remplacement. Mon souhait est que son impact reste limité grâce à une trajectoire budgétaire ultérieure particulièrement dynamique. Nous devrions pouvoir repartir dès 2018, avec une perspective saine et cohérente pour la marine.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.