Intervention de Amiral Christophe Prazuck

Réunion du mercredi 26 juillet 2017 à 10h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Amiral Christophe Prazuck, chef d'état-major de la marine :

Nous avons les moyens de faire beaucoup de choses en Méditerranée. Je vous ai parlé du Languedoc qui est devant la Syrie, capable de tirer des missiles de croisière, accumulant du renseignement sur ce qui se passe en Syrie et dans ses approches. Nous participons évidemment à la protection de nos approches maritimes, au titre de la défense maritime du territoire, avec notre réseau de sémaphores, et avec nos patrouilleurs devant nos côtes. Enfin, nous participons à EUNAVFOR Med, à FRONTEX, avec des patrouilleurs de haute mer. On peut donc dire, Madame la députée, que l'on a les moyens.

Ces patrouilleurs de haute mer, qu'on appelait avisos, sont les chevaux de trait de ces missions. Ils ont 40 ans d'âge. Ils sont indispensables. Il faut les remplacer rapidement par des BATSIMAR.

Qu'est-ce que je pense des opérations EUNAVFOR Med et FRONTEX ?

L'opération Sophia-EUNAVFOR Med a permis de détruire 450 bateaux de passeurs, ce qui prouve son efficacité. Maintenant, un marin qui voit des gens se noyer va les sauver. Il est formé comme cela, c'est son métier, et s'il ne le fait pas, c'est qu'« il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark »… Donc, mettre des bateaux en sentinelle entraînera systématiquement le sauvetage de ceux qui pourraient se noyer à proximité. Et à partir du moment où ils seront sur un bateau sous pavillon français, la France en aura la responsabilité.

L'action de nos patrouilleurs, dans le cadre de l'opération EUNAVFOR Med, est plutôt orientée sur le renseignement pour identifier les passeurs et les trafics d'armes ; ils ont d'ailleurs intercepté deux bateaux transportant des armes en contrebande. Mais on ne peut pas imaginer qu'un dispositif maritime aura une influence sur des phénomènes migratoires dont le sort est déterminé à des centaines ou des milliers de kilomètres à l'intérieur des terres.

Quoi qu'il en soit, pour revenir à cette mission de sauvetage, les marins font ce qui est attendu de leur éthique et de leur formation.

Peut-on aller plus loin ? Certainement. On voit bien aujourd'hui que le dispositif mis en place ne permet pas d'empêcher que des milliers de personnes prennent un risque considérable. Clairement, ce dispositif ne répond qu'à un volet nécessaire mais limité de cette crise extrêmement grave.

Maintenant, la marine française est-elle la seule marine européenne ? Vous me flattez.

Nous travaillons de manière quasi-permanente avec la Royal Navy. Les marines allemande et italienne disposent de bâtiments très performants avec lesquels nous oeuvrons tous les jours, notamment en Méditerranée. Les Belges, les Espagnols, les Portugais sont des partenaires réguliers avec lesquels nous sommes parfaitement interopérables. Nous partageons des zones d'intérêt, le Golfe de Guinée, la Méditerranée occidentale, la lutte contre le terrorisme.

En résumé, comme les Britanniques, nous disposons d'une marine « complète », du sous-marin nucléaire au porte-avions, qui bénéficie donc d'une autonomie opérationnelle adossée à des capacités interarmées de renseignement et de commandement. Pour autant, nos alliés européens contribuent de manière résolue et avec efficacité aux opérations maritimes en Méditerranée de l'OTAN, de l'UE, ou à nos propres opérations comme Chammal. Leur apport est manifeste, notre interopérabilité avec eux est totale.

Monsieur Favennec Becot, il est certain que le sommet de Yaoundé, puis celui de Lomé, ont été des éléments structurants de la sécurité maritime en Afrique. J'observe que l'amélioration de la sécurité maritime en Afrique comporte deux volets : le volet haut, qui concerne la façon dont les pays communiquent entre eux aux niveaux politique, stratégique et juridique ; le volet bas, qui concerne ce que l'on fait en mer, se parler, échanger des renseignements, agir de concert et suivre les mêmes procédures.

Je suis plutôt sur le volet bas, le volet technique, à travers les opérations Corymbe et Nemo. Grâce à la centaine d'exercices conduits en 2016 avec toutes les marines riveraines du Golfe de Guinée, nous transférons notre savoir-faire concret, de terrain, en sécurité maritime : lutter contre les trafics, la pêche illégale, la piraterie et le brigandage.

L'Europe, le ministère des Affaires étrangères, la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) opèrent plutôt sur le volet haut, sur les centres de commandement.

M. Furst a évoqué notre potentiel maritime et certaines îles inhabitées. Aurons-nous des moyens accrus ? Pour ma part, je ne pousse pas à la dépense. Je constate simplement que depuis 1982, les moyens qui avaient été définis m'ont semblé être adaptés à nos besoins. Aujourd'hui, nous sommes capables de compléter ces moyens, en particulier grâce aux satellites. Ceux-ci nous permettent de savoir, par exemple, le nombre de bateaux autour de Clipperton ; peut-être pourrons-nous les identifier un jour.

Mon objectif de court terme est de retrouver le format défini par la France en 1982 pour assurer sa souveraineté maritime. Puis je serai à même d'apporter un complément grâce à de nouveaux moyens, comme le Big Data, l'observation satellitaire et les coopérations internationales.

On a évoqué les îles du grand Sud, dans l'océan Indien. Aujourd'hui, quand nous y allons, nous le faisons avec des Australiens et des Sud-Africains, et nous patrouillons ensemble. Puisque l'on doit passer dans les zones sud-africaines et australiennes, nous leur donnons un coup de main. Et ils font la même chose quand ce sont eux qui passent dans nos zones. Ils contribuent à notre connaissance de ces zones.

C'est également le cas en Nouvelle-Calédonie. J'ai parlé tout à l'heure des Blue Boats, ces bateaux peints en bleu venus du Vietnam, qui opèrent dans tous les pays de la région. Parfois, on arrive à les attraper, parfois on les identifie sans les intercepter. C'est là que joue la coopération internationale. Nous transmettons les éléments recueillis à l'Australie, à la Nouvelle-Zélande et à tous les pays de la région. C'est le moyen de comprendre d'où viennent ces bateaux, à qui ils appartiennent, ce qu'ils font, quel est leur modèle économique, et donc lutter contre ce modèle économique à plusieurs, et pas seulement tous seuls. (Applaudissements.)

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