J'estime, pour ma part, que c'est plutôt une manière de dilapider l'argent public en privant l'État de recettes. Le ministre de l'économie et des finances a affirmé : « Nous avons créé des centaines de milliers d'emplois. » Je me demande si ce « nous » inclut le Gouvernement, car, pour le coup, les seuls emplois sur lesquels celui-ci a exercé un rôle direct, ce sont les 90 000 contrats aidés qu'il a supprimés, sachant que l'on nous annonce la suppression de dizaines de milliers de contrats supplémentaires par la suite.
En réalité, vous avez simplement bénéficié de l'environnement économique mondial favorable de 2017, comme cela a été expliqué à de nombreuses reprises sur les différents bancs de l'Assemblée.
Qui plus est, ce qui m'inquiète, c'est que vous regardiez la vie en rose pour la suite. Vous affirmez dans votre rapport : « Le fléchissement de la croissance en début d'année [… ] s'apparente plutôt au contrecoup d'une fin d'année 2017 très dynamique. » Et vous ajoutez : « Le dynamisme du pouvoir d'achat des ménages dans un contexte favorable du marché du travail contribue à soutenir la croissance. » J'ignore où vous avez vu cela, car tous les indicateurs nous montrent, malheureusement, le contraire. Les premières études de l'Institut national de la statistique et des études économiques sur la conjoncture de l'année 2018 confirment, à l'inverse, un freinage brutal de l'activité au cours des deux premiers trimestres 2018.
Comment pouvez-vous parler actuellement d'un « contexte favorable du marché du travail » alors que le taux de chômage est en hausse au premier trimestre 2018 et que l'INSEE n'en prévoit pas la réduction ? La demande intérieure a diminué, et la production se contracte fortement, notamment la production industrielle. Comment pouvez-vous parler d'un « dynamisme du pouvoir d'achat des ménages » alors même que l'INSEE vous indique qu'il ralentit ? À moins que, pour vous, le pouvoir d'achat des ménages ne se résume à celui des 1 % les plus riches, qui lui, il faut bien l'avouer, se porte très bien.
Cette inversion ne doit pas plus à votre politique que l'embellie précédente. Par contre, cette fois-ci, votre politique va l'aggraver. Comment pouvez-vous ignorer que l'abaissement de la protection des salariés permettra aux entreprises de s'en débarrasser plus facilement pour conserver leurs profits si l'activité économique s'inverse effectivement ? Vous allez tailler dans les dépenses publiques et dans l'emploi public. On parle de la suppression de 120 000 postes. Vous contestez, monsieur le ministre de l'action et des comptes publics, le chiffre de 20 000 suppressions à Bercy, publié dans Les Échos. Pourtant, le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement l'a confirmé ici même. J'attends donc quelques précisions supplémentaires de votre part à ce sujet. Ignorez-vous que, entre 2009 et 2015, c'est précisément la dépense publique seule qui a soutenu l'économie française, lui permettant d'éviter la récession alors que le marché privé était atone ?
Votre rapport traite de la sacro-sainte réduction des dépenses publiques, avec des raccourcis grossiers. Vous affirmez que les dépenses de prestations sociales représentent plus de 40 % de la dépense publique et que c'est là qu'il faut commencer à réduire. Sauf que ces prestations sociales sont rien de moins que notre système de sécurité sociale, notre système de retraite et les pensions de réversion – nous n'avons d'ailleurs toujours pas compris le sort qui leur sera réservé, malgré nos nombreuses demandes – , le système d'indemnisation du chômage, les aides au logement, qui ont déjà subi un coup de rabot en 2018, et les protections contre la pauvreté et l'exclusion, comme le RSA ou le minimum vieillesse, dont vous avez le toupet de dire qu'ils coûtent un « pognon de dingue » !
Voici donc la grande idée de ce gouvernement : en pleine période de risque de ralentissement économique, dû aux problèmes structurels du capitalisme financiarisé, il faudrait s'attaquer à notre modèle social, en coupant dans les dépenses ! Dans votre rapport, vous proposez ainsi d'aller vers le « versement social unique », qui est un moyen de couper insidieusement dans les minima sociaux et les aides de solidarité nationale pour les plus pauvres. Votre future réforme des retraites par points en est l'illustration : les uns ne sauront pas combien ils gagneront à la fin de leur carrière tandis que les autres pourront s'abriter, si je puis dire, grâce aux retraites par capitalisation. Nous nous opposerons, bien évidemment, à cette réforme injuste.
Au fond, d'après un sondage récent publié par Les Échos, les Français ont déjà jugé votre politique : 75 % la trouvent injuste et 64 % la considèrent inefficace. À terme, vous le verrez, ils ne l'accepteront pas, pas plus que nous ne l'accepterons. Et ne vous faites pas d'illusions, la victoire souhaitée d'une équipe qui incarne, elle, le modèle de solidarité à la française ne changera pas, selon moi, la façon de voir des Français.