Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du jeudi 12 juillet 2018 à 15h00
Démocratie plus représentative responsable et efficace — Avant l'article 1er

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Je suis, au nom du Gouvernement, particulièrement favorable à cet amendement, qui vient d'être présenté par M. Lagarde, dans la lignée des efforts entrepris depuis de longues années par de nombreux députés, comme l'a rappelé M. le rapporteur général Ferrand.

L'introduction du mot « sexe » dans l'article 1er de notre Constitution est nécessaire aujourd'hui, puisque l'égalité entre les femmes et les hommes représente l'un des fondements de notre société. Depuis de nombreuses années, les Français ont clairement manifesté l'aspiration à ce que cette égalité soit mieux assurée, et le choix du Gouvernement d'en faire une grande cause du quinquennat témoigne de cette volonté. La révision de la Constitution est l'occasion de réaffirmer ce principe d'égalité entre les sexes, qui fait déjà l'objet de deux dispositions constitutionnelles, situées dans le préambule de la Constitution de 1946 et dans l'article 1er du texte de 1958. L'ajout proposé vise à compléter ces garanties, en faisant de la non-discrimination entre les femmes et les hommes un principe constitutionnel, au même titre que la non-discrimination liée à l'origine ou à la religion. La reconnaissance de ce principe n'empêchera évidemment pas d'édicter des dispositions spécifiques, en application de l'alinéa 2 relatif à la parité. Cet ajout est donc positif et essentiel.

La suppression du mot « race » constitue un sujet beaucoup plus délicat, comme l'a montré la multiplication des articles parus dans la presse. Ce sujet est délicat selon l'angle sous lequel il est abordé. Sur le plan biologique, il n'y a plus aujourd'hui de doute, puisque la catégorisation des individus, dressée au XVIIIe siècle, est réfutée par les recherches scientifiques et la biologie moléculaire contemporaine. Nous savons aujourd'hui que tous les hommes ont 99,99 % de patrimoine génétique commun entre eux : l'espèce humaine est bien unique et indivisible.

Toutefois, sur le plan historique et social, on ne peut pas nier la dimension de la race, qui, dans le passé, mais hélas dans le présent également, est apparue sous les traits de l'esclavagisme, de l'eugénisme et d'autres notions.

La signification juridique est forte. C'est précisément pour lutter contre les théories raciales, qui ont fondé le nazisme, que ce terme a été introduit dans de nombreux textes juridiques. Il ne faut jamais perdre cet élément de vue.

Supprimer le mot « race » représente évidemment un symbole puissant, mais aussi une évidence à laquelle le Gouvernement ne peut que souscrire. Pour autant, il ne faut pas que cela conduise à fragiliser notre arsenal juridique, qui nous permet de lutter contre le racisme. Le Premier ministre a d'ailleurs lancé récemment un plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme et confié, dans ce cadre, une mission à l'une de vos collègues, Lætitia Avia. Il faut garder ce qui forme l'une des condamnations majeures de la discrimination et l'un des moyens de sa répression. Le Conseil constitutionnel, s'il a eu peu souvent l'occasion de préciser ce qu'il fallait entendre par les distinctions d'origine ou de religion, le principe de laïcité lui suffisant, s'est en revanche confronté, en 2007, à une loi sur les statistiques ethniques, qui prévoyait de mesurer la diversité des origines des personnes. Il a estimé que cette loi pouvait conduire à « une classification de la population française selon des critères ethniques ».

La suppression du mot « race » à l'article 1er de notre Constitution semble aujourd'hui s'imposer, car de nombreux filets de sécurité juridiques demeurent en réalité. Ceux-ci se trouvent dans le préambule de la Constitution de 1958, qui renvoie à celui de 1946, ce dernier comptant deux occurrences du mot « race », et dans les textes et les engagements internationaux.

Nous nous plaçons donc en conformité avec les réalités scientifiques et nous nous inscrivons dans une démarche volontariste afin de rompre avec le mot « race », tout en gardant des filets juridiques précieux, qui nous permettront de continuer à lutter contre le racisme et l'antisémitisme. J'émets donc un avis favorable à l'adoption de l'amendement de M. Lagarde.

1 commentaire :

Le 18/07/2018 à 08:54, Laïc1 a dit :

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"La suppression du mot « race » à l'article 1er de notre Constitution semble aujourd'hui s'imposer, car de nombreux filets de sécurité juridiques demeurent en réalité. Ceux-ci se trouvent dans le préambule de la Constitution de 1958, qui renvoie à celui de 1946, ce dernier comptant deux occurrences du mot « race », et dans les textes et les engagements internationaux."

Pour être cohérent, vous devez nécessairement enlever le mot "race" du code pénal. Dès lors, le délit de "racisme" n'existera plus, puisque la "race" n'existe plus. Pourquoi la constitution serait-elle visée en raison du mot "race", et pas les autres textes législatifs ?

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