Pour agir concrètement, le collectif s'est appuyé sur une initiative lancée par des députés. À l'époque, nous avions été conviés à nous rassembler « nationalement » pour répondre à une offre de formation, mais aussi pour réapprendre et re-cuisiner dans la restauration collective. Et puis, forcément, après chaque élection, tout change…
On nous a donc laissés sans moyens et sans perspectives, alors que l'avenir des générations futures est en cause. Pour nous, la priorité est de servir quelque chose de sain dans les écoles, dans les maternelles, dans les crèches, surtout au pays des droits de l'homme. Mais nous n'avons pas voulu abandonner les outils que nous avions construits. Nous avions eu l'occasion de nous rencontrer, de partager une richesse nationale, et nous nous sommes rendu compte que lorsque les cuisiniers partageaient des compétences, le territoire s'en trouvait enrichi.
On est venu me chercher. Je suis à l'origine de la première cantine bio labellisée par le groupe Écocert de France – en 100 % bio, dont 85 % de produits locaux – et dont on a maîtrisé totalement la gestion pendant dix ans sans surcoût. Et au fur et à mesure, on s'est rendu compte que lorsque la volonté politique était posée sur un territoire, il était tout à fait possible de lancer de tels projets en faisant travailler des producteurs locaux. D'une certaine façon, on a réinventé les choses. Il ne s'agit pas de s'opposer aux industriels, mais de réindustrialiser les territoires, de monter des projets à taille humaine, pour éviter la désertification et avoir une agriculture qui compte dans le paysage dans notre alimentation.
Qu'on se nourrisse, dans certaines régions de France, avec des produits importés qui ne rassasient pas, c'est tout de même marcher sur la tête ! Grâce aux outils que nous avons mis en place et au prix d'un grand nombre d'heures de bénévolat, nous avons construit un catalogue de formations Cela va du marché public à l'éducation au goût, et à l'accompagnement en nutrition.
Nous faisons de l'audit, de la formation, du conseil, de l'accompagnement dans tous les établissements qui veulent s'engager. Le mouvement ne pourra pas s'arrêter parce que, d'une certaine façon, il n'est pas porté par nous. Il est porté par la demande des citoyens et des familles, qui s'expriment tous les quatre ou cinq ans à travers leur vote.
Cela se vérifie surtout dans les territoires ruraux où nous nous sommes rendus. Ainsi, notre département, la Dordogne, est le deuxième département de France le plus labellisé au niveau des restaurants scolaires. Nous nous sommes rendu compte que là où il y avait une volonté politique, les gens se réappropriaient le territoire. Je peux vous donner l'exemple de Saint-Pierre-de-Frugie, un village où il n'y avait plus âme qui vive ; aujourd'hui, ils sont obligés de sélectionner les gens qui veulent venir parce que le restaurant scolaire est passé en bio, et parce qu'il n'y a plus de pesticides. Je peux aussi vous donner l'exemple de Villars, des bourgs de Mussidan et de Marsaneix. Sur ce territoire, on ne pourra arrêter le mouvement, quelle que soit la loi ou la « non-loi » qui passe. Les gens ont envie de vivre dans ce cadre-là, et les populations reprennent le pouvoir.
Puis on s'est accroché, et on est rentré au comité de pilotage d'Écocert qui est, selon nous, le seul organisme de contrôle et de certification pour les paysans qui font des produits naturels. Notre objectif était d'introduire davantage de « fait- maison » dans le label, d'insister sur la saisonnalité et les produits de chaque territoire.
Le collectif a adapté un livret technique qui s'adapte à tous les territoires de France. On peut intervenir n'importe où en France, mais surtout, on s'adapte au territoire et à la saisonnalité de chaque territoire.
Ce livret technique ne semble pas grand-chose, mais c'est énorme. On est parti de 80 recettes, qui peuvent se démultiplier jusqu'à 400 recettes, dont le coût est maîtrisé, tout en procurant un revenu valorisant aux paysans. On ne se demande plus s'il est possible d'introduire les produits bio en restauration collective, puisqu'on l'a fait. Ceux qui le souhaitent peuvent s'appuyer dessus.
Mais on ressent bien que la demande est de plus en plus forte. On répond comme on peut, mais on sera vite dépassé. Le citoyen reprend vraiment sa place sur le terrain parce qu'il n'a pas envie de donner n'importe quoi à manger à ses enfants. Je ne sais pas comment cela se passe à Paris, mais je sais que la Ville a fait labelliser toutes ses crèches par le groupe Écocert. Cela a bien un sens. Je pense que le mouvement n'est pas près de s'arrêter.
Malgré de tout petits moyens, avec la commune qui était 100 % bio, nous avons organisé au mois de juin 2017 des Rencontres nationales. Nous nous sommes adressés à toute la restauration collective de France, et nous avons réussi à déplacer trente-sept départements dans ce village !
Devant le niveau d'engagement des élus locaux de nombreuses régions, on se dit que l'on ne pourra pas éviter ce qui constituera un tournant pour les générations futures. Après les scandales autour de l'amiante ou du tabac, on va nécessairement assister à des procès liés à l'alimentation, et certaines personnes seront mises en cause. Quand j'ai travaillé dans la restauration collective j'ai cuisiné des « choses industrielles », et je l'ai quittée pour redevenir un « vrai » cuisinier. Au bout d'un moment, certains vont devoir en répondre parce qu'il n'est pas possible de continuer ainsi, en rajoutant autant de produits qui ne sont pas de l'alimentation !