Intervention de Jérôme Salomon

Réunion du jeudi 5 juillet 2018 à 10h30
Commission d'enquête sur l'alimentation industrielle : qualité nutritionnelle, rôle dans l'émergence de pathologies chroniques, impact social et environnemental de sa provenance

Jérôme Salomon, directeur général de la santé :

Merci, monsieur le président, pour ces propos introductifs. Je suis en effet directeur général de la santé depuis le 8 janvier 2018. Et, avant d'en venir au sujet de votre commission d'enquête, je pense utile de rappeler les principales missions de la direction générale de la santé.

La DGS est en charge de la promotion de la santé, de la protection de la santé publique- tous les aspects de la sécurité sanitaire –, de la lutte contre les inégalités sanitaires et sociales, géographiques et les inégalités d'accès à l'information, et enfin de l'accès aux innovations- avec une interface sur la recherche médicale.

Elle exerce, comme vous l'avez dit, la tutelle des agences sanitaires nationales, en particulier l'Agence de la biomédecine (ABM), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), sur laquelle s'exerce une tutelle multiple, Santé publique France, ainsi que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

La DGS a par ailleurs un rôle international, avec des actions au niveau européen et mondial, par le biais des instances de sécurité sanitaires européennes, dont le Health Sciences Center (HSC), et des instances internationales, dont la Global Health Security Initiative (GHSI) qui associe l'Union européenne, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et différents grands pays du monde. J'ajoute que la France adhère naturellement à l'OMS : l'OMS Euro, mais aussi à l'OMS Monde puisqu'elle est représentée à l'Assemblée mondiale de la santé. La DGS joue donc un rôle de promotion des politiques de santé à l'international.

Je souhaiterais d'ores et déjà répondre, monsieur le président, aux questions que vous avez évoquées dans votre propos introductif, en particulier sur le CNA, le HCSP et les autres directions des administrations centrales.

Effectivement, le Haut Conseil de la santé publique nous aide beaucoup, en nous fournissant des avis indépendants d'experts sur différents sujets, notamment les maladies chroniques, les maladies infectieuses, la sécurité des soins et l'environnement.

Nous participons évidemment au CNA présidé par Guillaume Garot. Mais nous participons aussi au Comité interministériel de la santé. Le dernier s'est tenu à la fin du mois de mars et se réunira tous les ans, à la demande du Premier ministre.

Enfin, avec les directions d'administration centrale, comme la DGAL et la DGCCRF, nous avons des contacts extrêmement réguliers, en particulier dans le champ de la sécurité alimentaire. Ces directions sont aussi invitées à la réunion de sécurité sanitaire qui a lieu tous les mercredis matins depuis maintenant vingt ans, sous la présidence du directeur général de la santé, avec l'ensemble des agences et des directions d'administrations centrales concernées par les enjeux de sécurité sanitaire.

Venons-en maintenant au sujet de votre commission d'enquête sur l'alimentation industrielle.

Vous l'avez certainement perçu, l'alimentation est un système très complexe, en pleine évolution, et un déterminant de santé majeur.

C'est d'abord un système complexe. Agir pour une alimentation durable favorable à la santé nécessite de s'intéresser à toute la chaîne allant de l'approvisionnement à la prise en charge des pathologies liées à l'alimentation – qui sont nombreuses.

Le schéma qui retrace les influences multiples qui déterminent l'état nutritionnel de la population, avec des boucles de rétroaction entre ces diverses influences, illustre la complexité du sujet. Il y a à la fois des enjeux de production, de consommation, mais aussi d'influences sociétales, de biologie des populations, de psychologie individuelle, d'activité physique – dans la mesure où notre alimentation dépend aussi de notre mode de vie – et d'environnement autour de la personne. Ce schéma, que nous allons vous distribuer, a été élaboré par des experts de l'OMS et de la Food and Agriculture Organization (FAO) des Nations unies, qui montrent bien la diversité des leviers qu'il est nécessaire d'activer.

C'est ensuite un système extrêmement évolutif. Les modes alimentaires se transforment rapidement, de même que les modes de vie – éloignement des lieux de production ; développement des hypermarchés avec des approvisionnements alimentaires massifs ; généralisation du travail des femmes ; développement de l'électroménager ; accès au micro-ondes ; limitation du temps passé à cuisiner ; influence du marketing sur les achats de nos concitoyens ; développement de l'alimentation hors du domicile – souvent en restauration collective, et dans un laps de temps extrêmement court, notamment pour déjeuner.

Parallèlement, on note une évolution des modes de production – agriculture intensive – et des process de fabrication des produits alimentaires – augmentation des produits préparés, transformés et ultra-transformés dans l'alimentation des Français. Cette augmentation est beaucoup plus rapide, en volume par an et par habitant – 4,4 % depuis 1960 – que pour la consommation à domicile – 1,2 %. L'utilisation d'additifs, d'auxiliaires technologiques, de matériaux en contact avec les denrées alimentaires caractérise cette alimentation de type industriel. La contamination de l'alimentation par les pesticides, résultant des modes de production agricole, constitue par ailleurs un sujet de préoccupation croissant, pour nous comme pour les consommateurs.

Enfin, l'alimentation, qui est un déterminant de santé majeur, est très liée aux inégalités sociales.

La nutrition est impliquée comme facteur de risque des pathologies chroniques les plus fréquentes en France. Je ne rentrerai pas dans les détails, mais on note une augmentation du diabète de type 2 – en prévalence comme en incidence.

La mortalité par cancer, notamment évitable, est importante en France. Selon un Bulletin épidémiologique hebdomadaire récent, issu de Santé Publique France, et une publication très récente, de juin 2018, du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui est affilié à l'OMS et se trouve à Lyon, 142 000 cas de cancers sont évitables en France chaque année, les facteurs de risques les plus importants étant le tabagisme avec près de 70 000 cas, l'alcool, puis l'alimentation déséquilibrée, sans oublier le surpoids et l'obésité qui sont en eux-mêmes des facteurs de risque de cancer. Face à cette situation, la France s'est dotée de Plans cancer – on a eu encore hier une copie du troisième Plan « Cancer » – et l'Institut national du cancer (INCa) est très mobilisé sur les causes modifiables de cancers évitables.

Les maladies cardio-vasculaires sont la deuxième cause de mortalité, en corrélation avec l'importance des dyslipidémies et de l'hypertension artérielle. 40 % de la population adulte souffre d'une dyslipidémie et un tiers souffre d'hypertension artérielle. Un lien a été établi entre la consommation de sel et l'hypertension artérielle, et l'OMS recommande de consommer autour de 5 à 6 grammes de sel par jour – on en est loin en France. Pourtant, dès la réduction du sel, on obtient une réduction de l'hypertension, et par conséquent du nombre des accidents vasculaires cérébraux (AVC).

Les données sur le surpoids et obésité sont issues des études menées par Santé publique France, qui est notre agence d'épidémiologie en population – étude nationale nutrition santé (ENNS), étude de santé sur l'environnement, la biosurveillance, l'activité physique et la nutrition (ESTEBAN). La prévalence de l'obésité est régulièrement mesurée, en particulier dans le cadre du Plan « Cancer » ou dans les études menées par l'ANSES.

On a réussi à casser la croissance de la courbe de l'obésité en France. On est dans une phase stable, notamment pour la prévalence cumulée de surpoids et d'obésité – autour de 50 % d'adultes touchés par ce phénomène aujourd'hui en France. Ce pourcentage n'augmente plus depuis maintenant dix ans. De la même façon, et c'est une bonne nouvelle même si on voulait faire mieux, la prévalence de l'obésité chez les enfants est stable, tout comme celle du surpoids.

La France se situe plutôt dans la fourchette basse des pays touchés par l'obésité, et c'est un des très rares pays à avoir stabilisé la courbe, même si le niveau reste trop élevé. En effet, l'obésité touche 8 millions de personnes en France, avec un coût social estimé à près de 20 milliards d'euros par an.

Les inégalités sociales, dans ce domaine, demeurent majeures, et constituent une vraie préoccupation. Il y a une très forte corrélation entre niveau social et obésité. La prévalence de l'obésité peut être de deux à quatre fois plus importante dans les populations défavorisées que pour les populations plus favorisées. Cela peut même se faire à l'échelle d'une ville, entre les quartiers favorisés et les quartiers défavorisés.

Des différences de consommation sont constatées selon le niveau social. L'alimentation des personnes de niveau socio-économique faible, caractérisées par un niveau d'éducation moindre, est plus éloignée des repères de consommation du PNNS que les personnes plus éduquées.

En quoi consiste notre rôle, en tant que ministère de la santé ?

Il consiste d'abord à donner une cohérence globale à l'intervention publique dans un objectif de santé, ce qui implique une coordination des politiques publiques sectorielles. C'est pourquoi, dans ce genre de situations et sur ce type d'actions, il faut agir de manière interministérielle et intersectorielle.

Nous menons des actions dans le domaine de la nutrition, au sens de l'alimentation et de l'activité physique, qui se situent dans le champ plus global de la Stratégie nationale de santé (SNS) publiée fin décembre 2017 après une large concertation. L'alimentation figure en bonne place, s'agissant de l'axe relatif à la promotion de comportements favorables à la santé : alimentation saine ; réduction de l'exposition de la population aux substances nocives à la santé, dont les contaminants issus de l'environnement ou des modes de production ou d'emballages ; développement de la recherche dans le domaine de l'exposition et des risques.

Au comité interministériel de santé présidé par le Premier ministre en présence de tout le Gouvernement fin mars, a été présenté le plan national de santé publique (PNSP), intitulé « Priorité prévention ». C'est un plan qui correspond au premier axe de la SNS, destiné à lutter contre les inégalités de santé. Il comporte cinq mesures phares, auxquelles s'ajoutent quatorze mesures selon un schéma de parcours de vie. On citera à titre d'exemple : la promotion d'une alimentation saine, de qualité nutritionnelle améliorée – moins de sel, de gras, de sucre, etc. – à travers un engagement volontaire des acteurs économiques, avec un objectif de réduction de sel de 20 %, l'actualisation des menus en restauration scolaire en tenant compte des nouveaux repères nutritionnels, la promotion dans les médias audiovisuels d'une alimentation favorable à la santé, et bien évidemment la promotion du Nutri-Score qui se répand en France et qui intéresse beaucoup l'Europe comme l'OMS.

Existent par ailleurs des Programmes nationaux nutrition santé (PNNS), qui sont des plans de santé publique quinquennaux inscrits dans le code de la santé publique, et visent à améliorer l'état de santé de la population en agissant sur l'un de ses déterminants majeurs : la nutrition. Ils s'articulent avec d'autres plans, programmes et feuilles de route tels que : la Feuille de route « Obésité » ; le Programme national pour l'alimentation (PNA) ; la Stratégie nationale « Sport santé » car on voit bien qu'il y a une corrélation très forte entre l'activité physique et la nutrition ; mais également le plan national santé environnement (PNSE) ; la stratégie « pauvreté » ; le plan « autonomie » ; le plan « Écophyto », puisque l'objectif est aussi de réduire l'exposition aux pesticides et aux produits phytosanitaires ; le plan « Périnatalité », qui s'intéresse à la santé globale de la mère pendant la grossesse et pendant la période d'allaitement ; le programme « Ambition Bio 2022 » qui concerne l'accès au bio ; le plan « Biodiversité » qui vient d'être discuté.

Nous avons par ailleurs des missions très limitées, du côté du ministère de la santé, dans le domaine de l'alimentation, avec un fort contexte communautaire. On en reparlera, si vous le souhaitez, avec nos experts.

L'utilisation des additifs est strictement réglementée au niveau communautaire selon le principe dit "de listes positives". Les additifs autorisés dans les denrées alimentaires et leurs conditions d'utilisation sont répertoriés à l'annexe II du règlement (CE) 13332008 sur les additifs alimentaires après avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments – European Food Safety Authority (EFSA) – et du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et des aliments pour animaux (CPVADAAA) de la Commission européenne. Vous venez de rencontrer la DGCCRF, qui est la direction pilote de cette réglementation. L'ANSES, sur laquelle on a aussi la tutelle, apporte un appui scientifique au Gouvernement et peut être saisie par les ministères, notamment le ministère de la santé sur certains additifs alimentaires. On vient de le faire à propos du dioxyde de titane, dont on a beaucoup parlé dans la presse ces dernières semaines.

L'utilisation des auxiliaires technologiques, substances utilisées pour la fabrication des denrées alimentaires, est également encadrée au niveau communautaire. Toutefois, la législation européenne en matière d'auxiliaires technologiques est d'harmonisation partielle, et la réglementation nationale vient compléter le dispositif. La France est l'un des seuls pays à préciser leurs conditions d'évaluation, d'autorisation et d'utilisation via le décret du 10 mai 2011 qui fixe les conditions d'autorisation et d'utilisation des auxiliaires technologiques pouvant être employés dans la fabrication des denrées. L'ANSES est saisie par la DGCCRF de toute demande d'autorisation d'un nouvel auxiliaire technologique. La DGS est cosignataire des arrêtés autorisant l'utilisation de nouveaux auxiliaires technologiques.

Les huiles minérales dans les matériaux en contact avec des denrées alimentaires (MCDA) sont également encadrées au niveau communautaire. L'EFSA intervient dans l'évaluation de ces substances. La DGCCRF est l'autorité compétente au niveau national.

La mise sur le marché des organismes génétiquement modifiés (OGM) ainsi que celle des produits qui en dérivent est également soumise à des procédures européennes, définies par la directive 200118CE relative à la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement, et par le règlement (CE) 18292003 relatif aux denrées alimentaires et aliments pour animaux génétiquement modifiés. Les États membres ont la possibilité d'évaluer les dossiers. L'ANSES intervient dans ce cadre et se prononce sur les aspects de sécurité sanitaire. Sur la base de l'avis rendu par l'agence, la DGCCRF transmet à l'EFSA les commentaires de la France sur les dossiers.

Sur les pesticides dans les aliments, existe une réglementation qui définit des limites maximales de résidus (LMR) qui ne doivent pas être dépassées, et qui prévoit des contrôles. Sur la base d'un avis émis par l'EFSA, qui propose des LMR, la Commission européenne, assistée par le CPVADAAA, se prononce sur la LMR qui sera retenue. La DGAL est l'autorité compétente qui participe au vote sur les LMR lors des réunions du CPVADAAA. Les contrôles des résidus de produits phytopharmaceutiques sont réalisés : d'une part, concernant la distribution et l'utilisation de ces produits, par les directions régionales dépendant du ministère chargé de l'agriculture, sous le pilotage de la DGAL ; et d'autre part, à partir de la mise sur le marché des denrées d'origine végétale par les directions régionales et départementales du ministère chargé de l'économie, sous le pilotage de la DGCCRF.

J'en viens à la politique nutritionnelle du ministère de la santé.

Je vous ai parlé des différents PNNS. Avant 2001, la nutrition, en tant que champ de prévention dans la politique de santé, n'était pas prise en compte. Le premier PNNS a été conçu en 2000 et lancé à la demande du Premier ministre par la ministre de la santé en janvier 2001 Dès le départ, l'une des orientations majeures du PNNS a été l'amélioration de la qualité nutritionnelle de l'alimentation de tous les Français.

Un second PNNS a été initié en 2006. En 2010, le PNNS a été inscrit dans le code de la santé publique comme un programme gouvernemental quinquennal, lié au Programme national pour l'alimentation. Cela constitue une avancée importante.

Le troisième PNNS a été prolongé jusqu'en 2018. Le rapport d'évaluation du PNNS 3 et du plan obésité, publié par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) en octobre 2017, salue un programme qui a su faire émerger une préoccupation majeure de santé, mais il souligne un problème de gouvernance globale et d'articulation, notamment, avec le Plan national de l'alimentation.

Le quatrième PNNS est en cours d'élaboration. Il bénéficiera à la fois des recommandations de l'IGAS, issues de l'évaluation du PNNS 3, et de celles du Haut Conseil de la santé publique que vous avez cité tout à l'heure, monsieur le président, et qui est présidé par Franck Chauvin.

Les PNNS, depuis l'origine, ont suivi quelques principes.

Premier principe : aborder à la fois le volet alimentaire et le volet activité physique, ce qui est à mon sens cohérent.

Deuxième principe : mettre un accent particulièrement fort sur la prévention primaire. Vous savez que la ministre, en particulier, insiste énormément sur la prévention primaire, secondaire et tertiaire, dans une démarche de promotion de la santé, qui a été très nettement renforcée par le PNSP il y a quelques semaines. Le repérage et le dépistage précoces de l'obésité et de la dénutrition – il ne faut pas oublier qu'une part importante de nos concitoyens, comme les personnes malades, les personnes victimes de troubles du comportement alimentaire et les personnes âgées, est touchée par la dénutrition –, de même que la prise en charge de ces pathologies, entrent aussi dans le champ du PNNS.

Troisième principe : prendre en compte la globalité de l'alimentation, loin d'un modèle biomédical qui se concentrerait uniquement sur la teneur en lipides, glucides et vitamines. Ce n'est pas comme cela que les Français envisagent l'alimentation. L'alimentation est un acte social majeur, inscrit très profondément dans la culture française, un moment de plaisir et de convivialité – dont certains sont exclus, comme les personnes âgées vivant dans la solitude ou les personnes sans domicile fixe. Dans ces conditions, comment concilier alimentation, plaisir et santé, sans devenir culpabilisateurs ou stigmatiser ? Le PNNS n'est pas un prescripteur de régimes restrictifs.

Dernier principe : fonder les messages qu'il transmet à la population sur une expertise collective issue de groupes d'experts. Vous avez cité l'ANSES, mais on peut ajouter le HCSP, la Haute Autorité de santé (HAS) et Santé Publique France.

Le champ de la nutrition est l'objet de discours multiples, contradictoires ou incohérents. Cette « cacophonie », pour reprendre l'expression des sociologues, loin de s'amenuiser, a tendance à s'accroître. Les pouvoirs publics ont une mission essentielle qui consiste à proposer un discours fondé sur une science du meilleur niveau international, et qui ne soit pas perturbée par des conflits d'intérêts ou par des intérêts commerciaux particuliers.

Le PNNS cherche à être en France la référence pour l'alimentation santé. La science nutritionnelle est une science relativement jeune. Elle est, par nature, pluridisciplinaire : épidémiologie, biologie, génétique, toxicologie, sciences humaines, sciences sociales, géographie, urbanisme, etc. Beaucoup plus récemment, se sont invitées les sciences de l'environnement, en raison du lien qui a été établi entre contaminants des aliments, leur consommation et l'émergence de pathologies chroniques.

Tel est le rôle du PNNS. On est conscient qu'une seule action ne modifie pas totalement la situation, mais on est vraiment attentif à agir sur des acteurs et sur des facteurs qui modifient les choix de consommation de populations très diverses, sur des territoires très divers – éléments dont il convient de tenir compte. C'est pourquoi le PNNS prévoit une diversité de stratégies et d'actions qui se veulent « synergiques » et « cohérentes », d'autant que les moyens disponibles pour l'action restent modestes au regard des sommes mises en oeuvre, par exemple pour la seule promotion de produits ultra-transformés. Quelles sont ces stratégies ?

Il existe au niveau international un consensus assez clair sur les stratégies à mettre en oeuvre. De multiples documents de l'OMS, de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), de la direction générale « Santé » de la Commission européenne, mais aussi de la direction générale du Trésor ou d'organismes privés en font l'écho. Le PNNS a contribué à mettre en place ces préconisations, même s'il y a évidemment encore beaucoup à faire.

L'information et l'éducation en matière alimentaire et nutritionnelle sont indispensables. Les Français sont des citoyens libres, qui doivent pouvoir développer des comportements en connaissance de cause. On fait appel à la rationalité des individus dont la conscience des conséquences de leurs actes est améliorée par ces actions d'éducation. Le « fond », est constitué par les repères nutritionnels du PNNS élaborés par l'ANSES avec le HCSP et Santé Publique France.

Ce sont les campagnes médias sur les aliments trop gras, salés et sucrés, sur la promotion de 30 minutes d'activité physique par jour, avec les 10 000 pas par jour et la montée des escaliers, de la consommation de cinq fruits et légumes par jour, etc.

C'est aussi la diffusion des guides du PNNS, à plus de 20 millions d'exemplaires, ou de plaquettes sur le sujet.

C'est le site mangerbouger.fr, avec plus de 400 000 pages vues par mois. Ce site propose des moyens très concrets pour aider les individus et les familles à mieux manger et plus bouger. C'est ainsi que la « Fabrique à menus » propose en trois quatre clics aux familles des journées alimentaires santé, avec menus, recettes et listes de courses. On peut ajouter à ce type d'action l'apposition du Nutri-Score, qui est de plus en plus présent dans de nombreuses marques et magasins. Il est désormais possible de le retrouver dans la restauration collective, voire à la maison puisqu'on pourra y avoir accès chez soi.

Mais l'humain n'est pas seulement un être rationnel. L'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a bien montré dans son expertise collective « Inégalités sociales de santé et nutrition » de 2014 que menée seule, cette stratégie conduit à une aggravation des inégalités de santé. Une cohérence est indispensable entre ce qui est dit et ce qui est proposé. À titre d'illustration, comment penser qu'un enfant ayant eu une éducation de qualité à l'école sur l'alimentation et la nutrition résistera au marketing d'une pâte à tartiner qui lui fait miroiter qu'il sera un héros face à ses copains s'il consomme sa tartine ? C'est difficile, et il faut évidemment y être attentif, surtout si ses parents se voient offrir pour son anniversaire des bons de réduction pour l'achat de ce produit, ou qu'en magasin on offre trois produits pour le prix de deux !

La DGS a adopté une démarche très transversale, en travaillant avec plus de quinze ou seize directions d'administrations centrales à chaque fois. On anime un comité permanent restreint de toutes les directions concernées, pour que l'environnement global des citoyens devienne favorable à la santé, qu'il s'agisse de l'activité physique ou de l'alimentation.

Pour l'alimentation, quatre points sont pris en compte.

Premièrement, la reformulation des aliments : moins de gras, de sels, de sucres, tant pour les aliments existants que pour les nouvelles recettes. Les entreprises ont la possibilité de signer des chartes de progrès nutritionnel. Des accords ont été mis en place par le PNA. L'Observatoire de la qualité de l'alimentation (OQALI) permet d'évaluer l'impact de ces chartes. Plusieurs entreprises se sont engagées dans cette voie, encore en nombre insuffisant pour créer une véritable différence, mais il fallait le souligner. J'ajoute que le Nutri-Score nous paraît extrêmement clair et accessible à tous, visuel, et qu'il plaît beaucoup, même en dehors de France – plusieurs pays veulent nous copier.

Deuxièmement, la limitation du marketing alimentaire, sujet majeur, notamment en direction des enfants et des familles de moindre niveau d'éducation, qui y sont plus particulièrement sensibles.

Troisièmement, une fiscalité comportementale, dont vous discutez souvent, et qui favorise, par le prix, des comportements favorables : c'est un outil efficace, notamment pour lutter contre le tabagisme, domaine dans lequel on a remporté de premiers succès. Il existe depuis 2012 en France une taxe sur les boissons sucrées ou avec édulcorants de synthèse, qui a été modifiée le 1er juillet 2018 pour tenir compte de la teneur en sucres des boissons.

Quatrièmement, l'étiquetage nutritionnel, dont je vous ai déjà dit un mot : plus de soixante-dix entreprises se sont engagées dans le Nutri-Score. Ainsi, les parts de marché commencent à devenir tout à fait significatives : on en est à près de 20 % du marché. Si ces chiffres sont encourageants, il y a lieu de poursuivre.

Toutes ces stratégies nécessitent un ancrage territorial pour être efficaces. Les agences régionales de santé (ARS), dans leur projet régional de santé (PRS), déclinent ces priorités avec toutes les parties prenantes, en particulier avec les associations, les ambassadeurs en santé à l'école – grande innovation de la prochaine rentrée – qui seront mis en place grâce au soutien de l'éducation nationale, et surtout l'intervention du service sanitaire. En effet, toujours à partir de la prochaine rentrée, 49 000 étudiants seront envoyés en mission « promotion de la santé » dans les établissements les plus défavorisés, notamment les établissements scolaires.

En conclusion, quelles sont les nouvelles orientations ?

On va encore améliorer la situation sur le plan nutritionnel et lutter contre les inégalités sociales en cause dans la nutrition. L'OQALI a montré qu'il n'y avait pas de différence de qualité nutritionnelle des aliments selon qu'ils étaient vendus sous marque nationale, marque de distributeur ou hard discount. En revanche, les aliments produits en limitant les pesticides et contaminants sont plus onéreux, donc moins accessibles.

Comme je vous l'ai dit, nous travaillons sur le PNNS 4 en tenant compte de la recommandation de l'ANSES et du HCSP de privilégier, pour divers groupes d'aliments, une consommation tenant compte des conditions de production diminuant l'exposition aux pesticides – selon un principe de précaution – ou aux contaminants.

Pour terminer sur les perspectives, sachez que j'ai mis la question de la recherche au premier plan. De nombreux articles scientifiques sont sortis, que je tiens à votre disposition. Certains, qui datent de 2018, montrent qu'il faut approfondir la relation entre consommation de produits ultra-transformés et impact sur la santé.

Nous entendons bien évidemment appliquer le principe de précaution, et sur la base de ces études, nous nous interrogeons sur la réduction du risque, qui est une démarche très sanitaire, et sur la réponse à donner aux questions de nos concitoyens.

Nous pourrons approfondir le sujet tout à l'heure, en réponse à vos questions, s'agissant plus particulièrement : de l'action européenne ; de la protection des populations les plus défavorisées ; de la demande accrue de produits moins transformés ; de l'action sur les secteurs économiques – côté santé, nous n'avons pas de leviers d'action ; de la fiscalité ; enfin, du moyen d'inciter – ce qui est une démarche positive – les Français à cuisiner à nouveau avec des produits bruts, des produits locaux et des produits proches des consommateurs, ce qui permettrait de limiter l'achat de produits ultra transformés.

J'espère ne pas avoir été trop long : je voulais vous faire un panorama complet.

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